13 Nov 2010 |
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Helena était jeune et passionnée. L’inconscience propre à cet âge l’a poussée à mettre aveuglément les pas dans ceux de l’homme qu’elle aimait. Jusqu’à celui de trop, qui la conduit à la prison de la Petite Roquette. À sa sortie, est-elle vraiment libre ? Le souvenir de son bonheur passé semble en faire une éternelle captive. Judith Perrignon mène avec justesse et émotion une entreprise de compréhension rétrospective.
Un chagrin a souvent tendance à être relativisé, voire raillé, car considéré comme banal et passager. Chez certaines personnes cependant, il peut être durable, au point de relever de l’incompréhensible pour ceux qui n’en souffrent pas. Afin de le rationaliser, des scientifiques se sont efforcés d’élaborer des théories, des classifications sensées apporter des remèdes à cette mélancolie tour à tour perçue comme une posture romantique puis comme une maladie requérant une médicalisation. Voire l’enfermement dans les cas les plus extrêmes. Quant à savoir ces procédés ont fait leurs preuves, c’est une autre question… En ce qui concerne Helena Dantec, la logique est inversée. Jeune femme probablement assez secrète mais pleine de vie, elle sortait de l’adolescence dans un relatif bonheur, animée par le grand amour tel qu’on le vit à cet âge : déraisonnablement sans doute, mais pleinement, dans une complet dévouement à l’autre qui, faute de réciprocité, peut s’avérer dangereux. Helena a indubitablement prouvé le sien en s’associant de son plein gré au braquage d’une bijouterie, pourtant élaboré dans le plus grand secret, par celui qu’elle aimait. Mais il n’est pas donné à tout le monde d’être Bonny et Clyde. Pour certains, la roue de la fortune ne tourne pas même une fois. Helena a ainsi été stoppée net : aussitôt identifiée, arrêtée, jugée et incarcérée. Car à aucun moment elle n’a tenté de nier sa participation aux faits, préférant le mutisme aux lamentations. C’est sans doute cette reconnaissance, voire revendication, de responsabilité, plus encore que le fait qu’elle taise le nom de son complice, qui a suscité la plus grande incompréhension des juges. Reflétant un état d’esprit certainement dominant au début des années 60, ils ne pouvaient concevoir les femmes autrement que faibles, peu réfléchies, et par conséquent forcément manipulées si elles avaient participé à de tels faits. Une vision protectrice certes, mais aussi condescendante. Bouleversant ce schéma de pensée, Helena devient paradoxalement le symbole d’une liberté féministe – sans jamais être idéologique – avant l’heure. Sa posture la conduit entre les murs de la prison de la Petite Roquette, aujourd’hui disparue, qui marquera à jamais son existence. «Ta mémoire ne doit pas être une autre prison. » Le silence défensif qu’elle avait commencé à développer dans les tribunaux se mue en mode de vie à partir de son incarcération, et bien après sa libération. Énigme pour les bonnes sœurs en charge de la prison, comme pour ses codétenues – sa grossesse est passée inaperçue jusqu’au jour de son accouchement – elle le demeure aussi pour sa mère, puis pour sa fille, pendant toute sa vie. Comment dès lors raconter une femme qui s’obstine dans la non verbalisation de ses sentiments, émotions, doutes et chagrins ? Par ceux des autres. Par leurs mots, leurs souvenirs, leurs incompréhensions qui dressent d’elle un portrait en négatif. Bâti comme une enquête à rebours, le roman de Judith Perrignon remonte le cours du temps au fil de lettres sans réponse expédiées par une mère, Mila, à sa fille emprisonnée ; par les questions d’une fille, Angèle, à sa mère auprès de qui elle s’efforce de percer le secret de sa naissance ; par un journaliste qui avait couvert le procès d’Helena et se trouve malgré lui impliqué dans le destin de cette famille. Des évocations à sens unique qui s’étoffent progressivement, donnant notamment lieu à des remémorations émouvantes de l’amour qui a uni Mila à Angèle, et en disent finalement long sur une femme dont le chagrin reposait sur des sentiments si peu politiquement corrects que le silence était devenu une nécessité. Car avouer que sa passion pour l’homme qui l’avait pourtant abandonné était trop exclusive pour ménager le moindre espace à un peu d’amour maternel est difficilement dicible. Les murs de la Petite Roquette - lieu hostile mais aussi dernière trace d’une époque où elle avait connu le bonheur - ont beau être tombés, le chagrin auquel elle se raccroche demeure inconsolé. Il continuera de vivre après elle, faisant ainsi d’Angèle, involontairement et a posteriori, la courroie de transmission d’une histoire qu’elle aurait aimé écrire autrement. Au point de se demander si le chagrin n’est pas héréditaire… S’il n’est à souhaiter à personne, il peut aussi être perçu comme un aiguillon, aussi douloureux que stimulant. Car de ces personnages tristes au premier abord, Judith Perrignon en fait émerger des personnalités aussi touchantes que déterminées. De quoi repenser nos propres chagrins… Judith Perrignon Stock 204 p.- 17 €
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