23 Jui 2011 |
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Le comble pour un écrivain non juif, fils d’une nonne et d’un curé ayant tous deux renoncé à leurs vœux ? Obtenir le National Jewish Book Award avec l’improbable autobiographie fictive d’un poète yiddish. Peter Manseau, 38 ans, l’a fait.
Histoires d’identités Dans ce roman, deux histoires s’entrecoupent. Celle d’un jeune Américain goy devenant par hasard et par amour traducteur du yiddish alors qu’il ne connaissait rien à cette langue. Et celle d’Itsik Malpesh, le poète fictif dont ce jeune traducteur nous transmet l’autobiographie. À l’origine de ces deux fictions entremêlées et alternées au fil de chapitres ayant pour nom chaque lettre de l’alphabet hébraïque, une troisième histoire tout aussi passionnante : celle de l’auteur, Peter Manseau : né en 1974 à Boston, d’une mère nonne et d’un père prêtre qui ont tout deux renoncés à leur vœux, il a suivi des études de théologie pour finir par exhumer des livres yiddish antiques au Yiddish Book Center. Après avoir publié un roman autobiographique relatant son histoire, The story of a Priest, a Nun and Thier Son , il est récompensé par le National Jewish Book Award, pour Chansons pour la fille du boucher, qui résonne alors comme un écho à son propre destin. La trame de ce roman puise en effet dans ce mélange d’identités qui se croisent, se rencontrent finalement dans un ciment commun : l’amour d’une femme et celui d’une langue, le yiddish. De là s’ensuit une formidable réflexion sur l’attachement aux racines et sur le lien, très fort, au langage qui constitue l’essence même d’un peuple et de ce qu’il devient. Le Juif errant Au-delà de ce parallèle personnel, ce livre a tout d’une grande fresque romanesque qui tient autant de Dostoïevski que de Bashevis Singer. Itsik, c’est un peu le Juif errant représenté par Chagall : le poète yiddish en fuite vers l’Amérique avec pour seul bagage sa langue maternelle, et à travers lui, l’histoire complexe du XXe siècle. S’il perd des choses au fil des épreuves que traverse le jeune Itsik Malpesh, jusqu’à son arrivée à Amérique, une obstination demeure: son rêve de poésie. Car le jeune poète n’erre pas sans but. Par amour d’une femme et d’une langue, il veut devenir poète. Cela ne peut se faire qu’en yiddish et son destin est lié à sa langue, car sa langue est le ciment du souvenir, de la nostalgie et donc de la poésie. C’est ce caractère fondamental du lien entre l’émotion du souvenir et la langue yiddish que Peter Manseau a brillamment exploité pour créer une trame romanesque intelligente et sensible.
Chansons pour la fille du boucher Peter Manseau Traduit de l’anglais (États-Unis) par Antoine Cazé Christian Bourgois 534 p. - 23 €
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