O� je suis
Val�rie Tong Cuong

Amour fort pour zombie sentimental

Elle s'appelle Agn�s. Agn�s : un pr�nom simple, sans ambage , qui sonne commun�ment sur la partition de sa vie.

Agn�s, l'h�ro�ne du troisi�me roman de Val�rie Tong Huong. Une fille aussi simple que son pr�nom, dont les aspirations se nourrissent de lampes vieillies des caf�s o� elle a l'habitude d'�tre serveuse. Une m�me d�j� �g�e sans jamais vraiment avoir l'impression d'apprivoiser ce monde des adultes o� les compromis se d�clinent en cascades.

A l'instar de nombre de bons romans, la trame d'O� je suis est modeste en rebondissements, mais �pur�e, tranchante de sa nudit� narrative. Agn�s et Juste. Juste et / est elle. Une rencontre qui, soudain, fait sens dans sa vie. Auparavant soubrette, couronn�e princesse de ses nuits africaines, les nuits t�n�bres de ce grand noir au pr�nom d'ange r�conciliateur.

Elle : fondue dans sa virilit� �pre.

Lui : plong� dans son infinie f�minit�.

Eux : un de ces couples miraculeux qui nous voient nous tapir alors qu'ils brisent sans vergogne les miroirs de nos occultations. Eux : H�ros d'un conte des temps modernes o� il ne reste plus des douze coups de minuit qu'un d�sir f�brile de faire corps avec l'alt�rit�, une envie de s'ensevelir sous un amas jubilatoire de peaux vermeil.

Seulement voil�, les princesses ont aussi leur " Alma " et Agn�s ses " harpies ". Elles violentent son espace psychique et font � chaque instant de son pr�sent un paradis perdu. Et elle, de c�der � ses tourbillons obsessionnels. Juste devenu mannequin sort et se frotte aux nuits paillet�es. Le strass fait son compagnon, sa " petite m�re " comme il avait plaisir � appeler Agn�s prend soudain la triste figure d'une p�le r�incarnation de l'ennui. " Je t'aime " qu'elle lui dit toute haletante de ses sauves illusions. " Je veux �tre aupr�s de toi " qu'elle lui susurre, douceur au poignet et voix de velours. Mais, il est des situations o� l'espoir n'est plus. Juste rend Agn�s objet, la pr�te � son ami producteur de radio, Abel au sens moral grossement pourvu. Il l'invite ainsi � donner libre cours � une chasse meurtri�re : je tue les hommes tant qu'ils me font mal. Je les �corche tant que les m�les me tuent.

Pas � pas, la narratrice revisite le sombre pass� d'Agn�s, ses " harpies " auparavant esquiss�es. Agn�s la chamailleuse, l'allumeuse � bord s'est vue consum�e sous la lueur sauvage du viol adolescent. Et les mots de Tong Cuong de d�crire avec une tangible violence la r�volte du c�ur des femmes aux abois de la brute masculinit�. Une narratrice de valeur flirtant avec les extr�mes. De la passion � la perdition, il n'y a parfois qu'une phrase parmi des milliers, qu'une pr�cision parmi tous les gravas du vocabulaire. A chaque fois, fr�lant les interstices de la grande �motion, la narratrice sait, experte, donner � son propos l'envergure palpitante des petites grandes aventures du quotidien amoureux.

Fine d'un ton d�lib�r�ment femme, habile d'une sobri�t� point amorphe d'ondulations s�mantiques, Val�rie Tong Cuong signe l� un texte impr�gn� d'un beau talent � ceci pr�s que les femmes sans doute mieux s'y reconna�tront. Identification oblige. " L'un pour l'autre, l'un sur l'autre, l'un dans l'autre ". Et elle avec nous.

           C�line Mas

O� je suis  -  Val�rie Tong Cuong            Grasset        (240 pages)
 

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