#114 - Du 05 janvier au 20 janvier 2009

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Rencontre avec Philippe Jaenada


Votre titre : c'est l'ennemie jamais nomm�e, dont on se demande si elle existe r�ellement ou si elle n'est qu'un r�ve du personnage principal�

J'aime relier des d�tails presque anecdotiques de l'histoire, mais qui la sous-tendent, � ce qui lui est primordial : le titre. Cette grande � bouche molle, c'est l'objet d'une course effr�n�e. Celle vers qui le h�ros qu�te et enqu�te sans m�me en avoir conscience, son objectif ultime, son but. But qu'il n'atteint pas �videmment. Jaenada ne comprend pas pourquoi il court, et c'est grosso modo ce qui nous arrive � tous. Tout est �ph�m�re, nos motivations et ce qui nous semble important se r�v�lent souvent n'�tre qu'une mouche minuscule.

Et pourtant l'explosion de violence finale, lorsque Jaenada doit se tirer hors du champ de port�e du flingue de la grande, n'est pas une mouche minuscule �

L'explosion en question est bien douce, juste un petit coup de genou dont il tire une satisfaction sur l'instant, mais qui lui fait r�aliser ensuite que la situation dans laquelle il s'est fourr� est compl�tement grotesque. Toute cette aventure, tous ces p�riples, tout �a pour un mis�rable coup de genou et un sourire d�form� de la grande dans l'ascenseur�La bouche molle, qui cr�e une attente chez le lecteur au cours de l'histoire (o� est-elle ? qui est-elle ? que fait-elle ?), c'est un symbole de vie, de sensibilit�, de sensualit�, mais aussi des aboutissements d�risoires�

Histoire polici�re qui avorte : Et on tuera tous les affreux de Boris Vian vous a influenc� ?

Lorsque je me suis int�ress� de pr�s � la litt�rature, vers vingt ans, j'ai effectivement commenc� par Boris Vian, qui a sans aucun doute infl�chi les directions que j'ai emprunt�es. Ici, c'est surtout Un priv� � Babylone de Richard Brautigan dont je me suis inspir�. J'ai relu beaucoup de polars parce que c'est ce que je comptais faire pour ce roman. N�fertiti dans un champs de canne � sucre, c'�tait tr�s lourd � porter, tr�s intime, et je souhaitais faire quelque chose de plus l�ger, de plus reposant.

L'issue de votre roman est totalement surr�aliste, on ne savait pas o� on allait en commen�ant la lecture et on ne le sait toujours pas � la fin. Le saviez-vous vous-m�me?

Je savais pertinemment en commen�ant le roman que je ne poss�dais pas les capacit�s de construire un roman policier, alambiqu�, parfaitement structur� et aux d�nouements spectaculaires, inattendus, formidablement complexes. Ce qui m'importait n'�tait pas la r�solution de l'�nigme. De plus, dans les polars, le moment qu'on attend le plus c'est justement la r�solution, le coup de th��tre, mais c'est tellement court, tellement rapide ! La jouissance de savoir enfin est si br�ve�

Alors vous pr�f�rez frustrer le lecteur dans son d�sir de r�solution plut�t que lui donner un plaisir qui vous semble trop �ph�m�re�

C'est vrai que certains ont �t� d��us par ce faux d�nouement. Un producteur de cin�ma m'avait m�me contact�, apr�s avoir lu la moiti� du bouquin, pour en acheter les droits. Nous avons pris rendez-vous, et une semaine apr�s, lors de l'entrevue, il me dit constern� que c'est la cata, que la fin doit �tre r��crite� Ce que j'ai refus� de faire bien entendu.

Alors quelle le�on de cette aventure ?

Pas de le�on. Jaenada n'a rien appris. Assimiler la vie � une �cole, c'est trop simple ! Trop acad�mique ! Il arrive bien souvent que les �v�nements auxquels nous sommes confront�s ne donnent pas de le�on particuli�re. Rien n'a chang�, et c'est aussi ce qui, � mon sens, fait la beaut� de la vie : tout ne sert pas. Jaenada se retrouve sous la pluie, errant et la vision un peu brouill�e sur la rue qui l'entoure, o� il croit reconna�tre les personnes qui ont compt� au cours de son aventure. La seule chose qui s'est transform�e est probablement le regard qu'il porte sur les gens. Un regard moins fade qu'au d�but, plus attentif � la foule, qui lui para�t d�sormais plus touchante, plus �mouvante. Jaenada se d�couvre une forme d'amour pour l'humanit�, et peut �tre aussi un certain courage. Mais ce nouveau regard sur les gens n'est pas forc�ment utile.

Alors que rapporte-t-il de cette aventure ?

Une robe ray�e new-yorkaise. Pour sa fianc�e. Pour Anne-Catherine. Elle l'a, d'ailleurs ! Mais on l'a achet�e ensembles� Jaenada a tout laiss� en route, tout jet� �papiers, agenda, photos � mais rapporte cette petite robe�

Jaenada, c'est vous ?

C'est moi Philippe Jaenada. Tout dans ce livre, except� les meurtres et les bagarres �faut pr�ciser ! - est autobiographique. Ce qu'il ressent, la loose, le manque d'intuition et de confiance en soi, les lieux d�crits, ses phobies et ses passions, tout �a c'est moi. Clin d'�il avec mon premier roman, Le chameau sauvage, qui est un peu un auto-portrait.

Et ce doute permanent sur votre intelligence ?

Mes �tudes. De maths. Je r�sonne en �quations en permanence, je me pose trop de questions, surtout j'aligne trop d'inconnues au milieu des si et seulement si de mes probl�mes. Ma d�marche est analytique � outrance, ne pas faire bien m'obs�de et me paralyse et donc je finis par d�multiplier mes chances de faire mal.

Jaenada : un grand timide ?

J'ai vraiment v�cu certaines sc�nes de timidit� d�crites dans le roman. J'ai jou� cet arbre au th��tre, j'ai fui le lever de rideau � Cannes aux c�t�s de Depardieu, j'ai d� faire consciencieusement un speech devant une salle vide et une pauvre femme � la bouche grande ouverte�

Vous �tes aussi victime de " coursophilie " ?

Lui oui ! Je suis un grand fan de courses de chevaux, et c'est tr�s significatif : Jaenada se laisse entra�ner au rythme de la vie comme on se fait entra�ner par le suspense d'une course. Pas tr�s courageux, mais suffisamment t�m�raire pour suivre un courant parfois rapide. Enfin il se fait tirer plut�t� Le monde des courses est un peu comme le monde � une �chelle r�duite : le mensonge et la vanit� y r�gnent, on fonde tout sur des espoirs qui mena�ent de s'effondrer � chaque instant, on est constamment sur un fil rouge. L'illusion nous entra�ne dans ses courses, mais des courses vers quoi, pour quoi ? Pas de r�ponse.

Les descriptions moqueuses de l'agence de d�tectives D�clic ?

Je voulais offrir aux lecteurs quelques st�r�otypes marrants des romans policiers des ann�es quarante.

Le choix des lieux ?

Trois p�les reviennent en permanence dans mes livres : Paris, Veules-les-Roses et New-York. Trois points de rep�res de mon univers. J'ai envie de faire de mes livres des contes, avec cette dimension tr�s visuelle, imag�e. Paris pour le cocon connu de mes personnages, le lieu rassurant et o� commence l'aventure. New York pour le moment effrayant et paum�. Veules-les-Roses, c'est plut�t un clin d'�il : c'est l'endroit tranquille o� je me retire pour �crire. Et puis je ne voyage pas beaucoup, donc faut compenser !

Jaenada est un peu maso : tyrannis� par son patron, par sa fianc�e, par son boulet auto-stoppeur� Vous n'avez pas trop souffert d'avoir �t� si bien accueilli par la critique litt�raire de cette rentr�e ?

Maso, ah bon� Tout ce qui para�t dans la presse � mon sujet me fait plaisir et me rassure, que ce soit flatteur ou que �a me descende. Ce qui m'est insupportable, c'est le silence.

Propos recueillis par F.Z.


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