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Entretien avec Arnaud Viviant
Le Journal de l'ann�e 2000 : une commande de votre �diteur que vous avez accept�e imm�diatement ?
Oui, l'id�e me plaisait m�me si la t�che s'est parfois av�r�e difficile, longue, ne serait-ce que par la dur�e que ses raisons d'�tre engendraient. Je ne crois pas que le fait d'�crire " � la demande " nuise � la spontan�it� ou � la qualit� du texte ; j'aime � penser que je marche dans les sillons laiss�s par Val�ry, qui disait de ses po�mes command�s qu'ils �taient les plus beaux. Ennui d'�crire � certains moments ? L'objectif n'�tait finalement pas de tenir un Journal au jour le jour, mais de retracer ce qui, en l'espace d'un an, et � travers mon �il de journaliste, avait �t� marquant.
Vous �tes parti de la volont� de ne pas trop parler de vous-m�me, de ne pas vous d�voiler. N'avez-vous pas eu la sensation d'�tre constamment sur une corde raide, au bord d'un pi�ge qui finirait par en dire plus que ce que vous ne le vouliez ?
Se situer entre une d�marche personnelle et intime, garder cette voie m�diane, a en effet �t� tr�s ardu, voire impossible � certains moments. On est toujours tent� d'aller plus loin, d'en dire plus. Cependant je pense �tre parvenu � effectuer le compromis qui rend ce Journal int�ressant, profond m�me s'il ne parle pas de moi, plus vaste m�me s'il effleure certains domaines qui me touchent. Je souhaitais parler du g�n�ral de mani�re intime et vice-versa, pouvoir �tre intime d'une fa�on plus large, plus impr�cise� Sans pr�tention aucune de ma part, je crois qu'on peut comparer ma d�marche � celle de Malraux qui �crivait des Anti-M�moires ; j'ai �crit un Anti-Journal.
Vous �voquez � plusieurs reprises la col�re qui s'est empar�e de certaines personnes dont vous parlez dans Ego Surf.
On a beau souhaiter ne pas accorder au Journal un trop d'intimit�, il y a certaines choses qu'on ne peut pas ne pas aborder. Certaines personnes qui donnent un tour nouveau aux r�flexions, dont la pr�sence et l'interaction mettent en relief la pertinence de ce qui est dit. Certaines personnes qui font partie d'un univers auquel on ne peut �chapper, le sien, m�me si l'on a d�cid� d'en faire une large abstraction. J'ai eu de longues discussions et m�me des disputes � ce sujet avec les deux ou trois figures qui reviennent r�guli�rement dans Ego Surf . Pour pr�server ces relations j'ai accept� de faire de leurs noms des initiales, de transformer l�g�rement la r�alit� ou d'attribuer � d'autres leurs propos�
Surpris de ces r�actions : pourtant vous avouez-vous m�me avoir ressenti une certaine d�possession � �tre couch� sur le papier par d'autres�
Cela avait �t� le cas avec Christine Angot. Avant que ne paraisse Quitter la ville, nous discutions de cette peur des gens � se voir d�crits, d�voil�s, dans des miroirs qui ne leurs appartiennent pas. Malgr� la libert� que l'�crivain a l'impression quant � lui de leur donner. Dans le dernier roman de Christine, bien que tout de ce qu'elle ait �voqu� soit strictement conforme � la v�rit� et aux faits, je n'ai pu m'emp�cher de me sentir �tranger � cet Arnaud Viviant l� dont elle parlait. Je ne pouvais me reconna�tre sous sa plume�
Vous �crivez un Journal imtime ? Le publieriez-vous avant ou apr�s votre mort ?
Je ne tiens pas de Journal r�gulier. J'ai bien s�r commenc� quelques pages � chaque moment un peu difficile ou exaltant de ma vie, mais ces �crits n'ont pas d�pass� le stade de v�ll�it�s correspondant � des �tats d'�me passagers� Cela ne me d�rangerait pas d'�tre publi� de mon vivant. La situation dans laquelle je me suis trouv� tout au long de l'ann�e, c'est-�-dire dans l'obligation de me positionner au c�ur de la controverse sur la publication de Journaux (pour ne parler que de Renaud Camus) �tait assez dr�le puisque je pr�parais moi-m�me, dans le secret absolu �videmment, un Journal qui serait publi� l'ann�e suivante.
A combien d'exemplaires Ego Surf a t-il �t� tir� ? Vous �voquez plus particuli�rement certains microcosmes, notamment le milieu de l'�dition parisienne : � qui vous adressez-vous ?
Je me fous compl�tement du tirage, d'une cible, du chiffre de vente et autres d�tails de ce genre. C'est le job et le souci de mon �diteur, moi j'�cris. Je me soucie bien plus du processus de cr�ation lui-m�me : j'ai par exemple �t� tr�s attentif au choix de la mise en page, de la typo, et des illustrations anciennes puisque je tenais � ce qu'elles symbolisent le si�cle qui vient de s'�couler�
Il y a un certain entrem�lement entre les �v�nements que vous avez choisis de mettre en valeur, qui reviennent de mani�re r�currente, et ceux sur lesquels vous ne vous attardez que l'espace de quelques pages�
L'ann�e peut �tre abord�e autour de quelques grands p�les qui forment ma trame principale dans le Journal : le s�quen�age du g�nome humain, l'explosion Internet, l'affaire Pinochet, les �lections am�ricaines� Des sujets capitaux. Je ne pouvais �videmment pas �tre exhaustif, mais ces quelques points relient l'ensemble, contribuent � lui donner une coh�rence. La structure forme une esp�ce de broderie, avec des �l�ments explor�s en filigrane. Ces �l�ments sont un peu comme des mini-romans, non achev�s, en suspens ; je voulais �baucher une quantit� cons�quente de petits portraits vivants. Oui, des mini-romans, le terme est assez exact.
De quoi naissent l'essentiel de vos r�flexions dans le Journal ?
Encore une fois : de la commande. Du mouvement de l'autre dans ma direction, de sa volont� de tirer de moi quelque chose. Vous savez, moi, j'ai une position passive vis-�-vis de l'existence. Il me faut un certain temps pour int�grer l'information, la dig�rer, revenir dessus et �ventuellement entreprendre un processus de construction autour d'elle. Je suis un spectateur, qui plus est un spectateur peu critique. Par contre, si l'on me demande de me positionner face aux choses, elles m'apparaissent naturellement comme �tant un sujet sur lequel il faut r�fl�chir. Et je serais alors capable d'argumenter et de vous th�oriser n'importe quoi �
" Savoir rester au bord de cette piscine sans eau qu'est la r�ussite " ?
Je d�teste la r�ussite. Je d�teste le mot r�ussir. Je veux parvenir, et oui, on peut me consid�rer comme un parvenu. Ma position envers la vie est ouverte, une forme d'ecclectisme. Je me suis int�ress� � de multiples domaines que j'ai explor� au cours de ma carri�re professionnelle - musique, t�l�vision, radio, litt�rature... - et j'esp�re qu'il continuera � en �tre de m�me. La r�ussite comporte une dimension limitative, un aboutissement qui ne laisse pas la place � un apr�s. Alors que parvenir poss�de � mon sens une dimension plus vaste ; c'est accomplir un chemin, arriver quelque part pour repartir aussit�t�
La sexualit�, et de fa�on plus large l'amour, suscitent des interrogations et des r�flexions qui tissent le Journal de part en part�
N'est-ce pas un sujet sur lequel on peut revenir �ternellement ? Comment d�finir l'amour ? C'est d'ailleurs l'objet d'une des conversations avec mon amie de chez Balland. Et si la seule qui me convienne est celle de Vailland " L'amour, c'est deux personnes qui s'aiment ", c'est parce qu'elle exprime clairement et simplement que la tentative m�me de d�finition est vaine, qu'elle ne peut aboutir qu'� un pl�onasme, � une redondance.
Et l'Orgasmatron ? Vos encouragements � une r�invention de l'h�t�rosexualit� relativement au renouvellement permanent dont fait preuve l'homosexualit�
Il est n�cessaire de repenser le corps et la sexualit� dans l'amour. De leur donner la place qu'ils ont de fait. Je n'ai pas de solution � apporter au " pi�tinement " et � l'esp�ce de stagnation qui semble traverser l'h�t�rosexualit�. Mais n'est-il pas �vident qu'une dimension d'h�donisme est � prendre en compte, que le couple doit r�apprendre � pr�server sa sexualit� et son intimit� de toutes les tensions qu'il traverse ? Au milieu des enfants, du travail, et m�me des nouvelles technologies qui finissent par transformer le rapport que l'on a avec l'autre et avec soi-m�me ? Je suis intimement convaincu que l'esp�ce de bulle, de sph�re priv�e qui seule permet l'�panouissement du couple, doit �tre reconsid�r�e, que l'on doit lui accorder la valeur presque salvatrice qu'elle poss�de�
Vous prenez � part le lecteur, lui glissez de bons mots et certaines r�flexions charg�es d'ironie qui ne peuvent que lui plaire�
Il faut se sortir du Moi Je, inclure le lecteur aux propos, qu'il ne se sente pas � l'ext�rieur de l'int�rieur, comme ce que l'on ressent � la lecture de beaucoup de Journaux intimes. Sortir du sempiternel Mon Cher Journal, s'�chapper de cet Ego si envahissant� Propos recueillis par J. L. N.
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