Toboggan

Chroniques
Il y a en lui quelque chose de renversant. C'est ce nom difficilement prononçable, Pliskin, et ce personnage, Bétremieux, comme exténué d'avoir croché dans le néant, ces bras toujours étendus à force de vouloir rattraper l'amour flétri avec Clémentine. C'est la vie mise bout à bout de ce personnage médiatique qui mange ses mots de peur d'en manquer, pas rétracté mais presque, qui, à défaut d'exaltation en continu, se ronge la confiance.

Youri Bétremieux, un homme pour qui les confidences ténues des Miss en dentelle ou en bas de laine n'ont plus d'opacité sémantique. Youri anime une émission télé"Secrets de femme", là où les belles, les roucouleuses des ondes, viennent lui colporter la rumeur des volutes de leurs foyers. Il y a le désir des femmes, leurs attentes et leurs réalisations qui vertèbrent ses analyses. Et puis, il y a ses rêves à lui, qui a fui la grisaille de la routine par la bonde foncée des vies siphonnées.

Parmi eux, sa fille. Yasmine, un nom de princesse. Il l'a conçue avec Clémentine et l'emmène passer des week-end à Disneyland, comme si, au fond, la société de consommation et le monde édulcoré des cartoons de Mickey avaient la faculté de polir le grès irrégulier de ses matins.

C'est un type assez triste qui nous côtoie au début du roman. Qu'a-t-il de vrai si ce n'est cette accessibilité qu'il croit maximale et que la télé lui offre sur plateau ? Ses frustrations d'esseulé, ses branlettes solitaires avec toujours le même geste précis et cadencé, les diktats de l'apparence, les bons coups avec une attachée de presse bien connue, tout cela l'ennuie et nous saoule à satiété comme si le vide d'une existence boiteuse pouvait soudain servir à quelque chose. Provoquer en nous une envie papillonnante d'abandonner la herse de nos vanités.

Et puis, il y a le sexe aussi. De la sodomie aux habitudes charnelles les plus ordinaires, Youri et le narrateur jubilatoire décrivent ce petit monde des chuchotements entre les femmes qui ont mal au sexe et les hommes qu'aucune position n'arrive à satisfaire. Dialogue de sourds entre le masculin et le féminin, espace de malentendus où les mecs ne pensent qu'à carapater dare-dare pour peu qu'en face les attendent une peau douce et des fesses suffisamment musclées. Et les femmes de vouloir le meilleur de ces verges frénétiques. C'est un monde fou qui est décrit, monde détraqué dans lequel Youri en vient à prêter son sexe pour donner au plus offrant cette infime sentiment de puissance. Jouissif.

Au bout de dix minutes, on se pince les joues pour procéder à une vérification du réel. Pliskin : l'esbroufe caracole en tête avec dans son escarcelle un style délirant, on a peine à y croire tellement c'est bon. Les éléments du rythme, le fait qu'on le suive, qu'on ne le lâche plus. Tout ça revient, implicitement et explicitement même quand on se penche sur le texte.

Empêtré dans sa marmite à névroses, Youri est dans les mains d'un narrateur qui recolle un à un les retours de pulsions sans jamais arriver à le maîtriser vraiment si ce n'est dans ce style hors du commun mélangeant nuance et débordement épidermique. Une écriture du talent des plus détonantes.

Entrez dans le coup de feu Pliskin.



Céline Mas

Toboggan
Fabrice Pliskin
Ed. Flammarion
475 p / 18 €
ISBN: 2080681087
Last modified ondimanche, 28 août 2011 19:39 Read 2584 times