Viol story
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Faisant de son dernier roman un terrain de jeu où la liberté n’aurait aucune raison de s’arrêter aux portes de la violence, Philippe Djian assène dans “Oh…” le récit implacable d’une femme en proie à des sentiments défiant les lois de la bienséance : Michèle tombera amoureuse de son violeur.
Philippe Djian s’est vu décerner le 14 novembre le prix Interallié pour son dernier roman, “Oh…”. Remis par des journalistes à un journaliste-écrivain, le jury a tellement aimé l’ouvrage qu’il a décidé de passer outre le statut de simple romancier de Philippe Djian et de le récompenser. Ainsi se clôt la saison des prix littéraires. Ainsi s’ouvre un abîme d’incompréhension sous mes yeux de néophyte, certes, mais néanmoins lectrice. J’ai pourtant tout essayé. Essayé de comprendre, essayé de voir ce que je n’avais pas vu, essayé de passer outre mes certitudes, essayé d’écouter ceux qui l’ont aimé. Et ils sont nombreux. Ainsi, François Busnel, animateur de l’émission La Grande librairie sur France 5 et critique pour L’Express, a adoré « son style au burin » car « c’est avec un burin que l’on sculpte les plus belles statues. Les statues de Philippe Djian ont la beauté mate de ces blocs de pierre dont on a conservé tous les contours, surtout les plus saillants. Ça égratigne, c’est plein d’aspérités, ça râpe. Mais qu’est-ce que c’est bon ! » Ah ? Le plaisir se dilue pourtant rapidement dans une écriture mécanique, pénible, qui décortique minutieusement l’âme de Michèle, héroïne et narratrice de 50 ans. Coincée dans les rouages d’un quotidien âpre, figée dans l’inéluctabilité du temps qui passe, elle affronte un viol, cerise sur le gâteau d’une vie déjà malmenée : son père est en prison pour avoir tué les 70 enfants d’un club Mickey; son amant est le mari de sa meilleure amie; son fils, sans emploi, a décidé d’emménager avec sa petite amie enceinte d’un autre; sa mère cumule les jeunes amants, elle-même finit par tomber amoureuse de son violeur et j’en passe. Sans déflorer d’autres détails lugubres qui confinent au grotesque tant leur accumulation finit par faire sourire, le récit conte la souffrance et son amie la déchéance. Peut-être celle de la société contemporaine. Sans aucun tabou en tout cas. Son auteur l’a dit lui-même : « Je mets en avant une histoire invraisemblable, une espèce de catalogue. Ça n’est pas crédible. La littérature n’a jamais servi de mon point de vue à décrire la réalité. (…) En même temps, on vit dans ce monde de cinglés et je m’amuse avec ça. »
Inconfortable
Sans aucun jugement aussi. Si l’on peut accorder à Philippe Djian une qualité dans l’écriture de son dernier titre, c’est bien celle-ci. Quoi que Michèle fasse ou non, quoi qu’elle décide ou subit, son créateur montre mais ne juge pas, mettant à nu nos propres paradoxes. Au risque d’imposer une certaine froideur, ce qui donne lieu à des phrases telles que « Vers 17 heures, je repense à mon violeur. » Ce qui donne également un livre écrit d’une traite, presque sans respiration : pas d’alinéas, un premier et long chapitre de 218 pages que clôturera un second de 8 pages. Le lecteur est ainsi lui aussi pris au piège des journées qui défilent, inexorablement. Je ne sais pas s’il poussera le même « Oh… » que l’héroïne en le refermant, ce « Oh… de suspension, aérien, presque dans un soupir de soulagement » que voulait Philippe Djian, mais la traversée sera rude. Il rejette d’ailleurs le confort. Vous en serez pour vos frais, avec un quelque chose de Michel Houellebecq dans cette cruauté et ce cynisme teinté de fatalisme. Le prix Interallié avait d’ailleurs déjà fait une exception pour La possibilité d’une île. C’était mon premier Djian. Comme avec un Houellebecq entre les mains, j’étais soulagée de l’avoir fini.
“Oh…”
Philippe Djian
Gallimard
242 p. – 18,50 €