Le fil(s) d’Ariane
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Aussi noir et troublant que le premier opus de son auteur, L’Ascendant nous régale à nouveau de réflexions universelles savamment planquées dans la banalité d’un quotidien bousculé.
Au jeu du chat et de la souris, Alexandre Postel est décidément très fort. Il partait certes avec une poignée de points d’avance, Un Homme effacé ayant conquis l’an dernier nos quelques exigences ainsi que celles du jury Goncourt qui lui décerna le prix du premier roman. Mais une deuxième œuvre n’est-elle pas encore davantage scrutée quand son aînée s’est ainsi fait remarquer ? Après une copie quasi-parfaite, ne guette-t-on pas d’un œil sournois l’échec, rassurant, qui prouvera que le succès ne relevait que de la chance du débutant ? Loupé. Alexandre Postel confirme au contraire une plume acérée, un style dense, un rythme poignant, un don pour d’élégantes métaphores et un certain talent à se déjouer des apparences, nous tendant une fois encore le miroir de nos certitudes. Mais les points communs entre ses deux romans s’arrêtent ici.
Découpé cette fois en six chapitres, un nombre de journées suffisantes pour faire basculer une vie, L’Ascendant raconte la descente aux Enfers ‒ littéralement ‒ d’un vendeur de téléphones portables après le soudain décès de son père. Sauf qu’il est impossible d’aller plus avant dans les détails de cette intrigue sous peine d’en dévoiler l’horreur et de gâcher le plaisir de l’effroi. Et bien que cette découverte, du narrateur comme du lecteur, n’est en réalité que le point de départ d’un douloureux voyage introspectif : les affres de la filiation constituent en réalité le cœur du récit. Le fils va petit à petit se retrouver sous l’emprise du seul souvenir de son père jusqu’à, passivement, endosser ses pires habits. Peu importe d’ailleurs, tant qu’il peut s’en approcher enfin, tenter enfin d’en percer les contours et les mystères, après une vie à se côtoyer sans se connaître. Mû par la culpabilité de n’avoir pas su s’y prendre avec cet homme rustre et solitaire, de ne lui avoir pas accordé peut-être assez de lui, il va plonger dans son passé. La tête la première.
Les raisins verts
De ce transfert, des « souvenirs oubliés » ressurgiront. À se demander finalement qui libère qui dans cette histoire d’enfermement ? Tentant par là-même de régler ses propres comptes avec une vie bien trop morne pour être qualifiée d’heureuse, le narrateur va finir par se tromper de chemin, du moins par s’écarter du sien. Comparant sa vie à « un long couloir hanté de femmes que je n'avais pas su aider », il va fantasmer sur celle qu’il a enfin les moyens de sauver. D’un regard sensuel et tendre posé sur une proie jusqu’à une caresse aussi délicate que déplacée, du « je » au « nous », du poste d’observateur au rôle d’acteur bancale, le fils se perd dans des habits trop grands pour lui, dans un labyrinthe dont la véritable clé n’est pas celle que son père gardait toujours autour de son cou, et Alexandre Postel nous dérange. Nous fait osciller entre moments de compréhension et de révolte. Qui ne voudrait pas secouer un pantin en déroute ? Mais que ferait-on, nous, à sa place ? Qui sommes-nous pour juger finalement ? Et quoi de mieux qu’un roman sans nom de lieu ni de personnages pour nous questionner ? L’autre force de l’auteur est de faire naître de cet anonymat une tragédie grecque, aux ressorts universels et au fatalisme implacable. De décrire d’une écriture volontairement sans éclats les plus abjects dénouements. Portant à nouveau un titre à multiples tiroirs, ce second roman est beau et rude, doux et terrible. N’y a-t-il donc point de salut dans l’hérédité ? « Quand on vous parle de libre arbitre et de responsabilité personnelle, vous trouvez l’idée naïve. En somme, il n’y a pas de mots qui corresponde à la manière dont vous envisagez les actes que vous avez commis. Comme s’il y avait un vide dans le vocabulaire, c’est ça ? » C’est ça.
L’Ascendant
Alexandre Postel
Ed. Gallimard
128 p. – 13,50 €