Au-delà-des-mots
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Dans une alternance de courts chapitres, empruntés à la voix poétique d'un vieil homme et à celle, plus tourmentée, d'une jeune femme, Alain Cadéo nous invite à vivre une histoire à la fois ordinaire et exceptionnelle : celle d'un écrivain amoureux... de la boulangère de son village. Un petit roman poétique et tragique, dont on sort troublé et enivré, comme si le charme désuet d'une histoire sentimentale toute simple pouvait encore opérer.
À une époque où la littérature ressemble trop souvent à une quête de reconnaissance ou à une ode à la célébrité, il y a des œuvres qui font du bien, avec de vrais personnages à l’intérieur, des images ancrées dans le réel - ou parfois dans les étoiles - comme autant de petites preuves d’humanité... Avec Zoé, Alain Cadéo se fait narrateur omniscient et se plaît à jouer des focalisations (ici à l’intérieur, là à l’extérieur) en donnant la part belle à un écrivain qu’on devine désargenté et maudit, rongé de solitude. Henry, la soixantaine, passe son temps dans ses écrits à remuer son passé - tout comme son présent d’ailleurs - à coups de futurs proches. Zoé est quant à elle la jeune et prometteuse boulangère d’un petit village de province. Elle essaie tant bien que mal de dompter ses démons en convoquant ses propres fantômes. Jusqu’au jour où leurs destins se croisent… et que leurs poésies respectives finissent par s’aimer.
Carnets de correspondances
Les voix des deux amants se cherchent dans l’obscur, mais ne se répondent jamais. Emmurés dans leurs silences respectifs et dans leurs vies retirées, l’homme et la femme s’invoquent mutuellement dans leurs papiers, l’une dans son journal intime, l’autre dans ses cahiers – mais dans la vraie vie, au-delà des échanges de banalités et de ceux de la monnaie, qui permettent le pain quotidien, seuls leurs regards parviennent à se toucher. Jamais dialogique, le roman déploie alors une relation épistolaire et distante, intime et exploratrice… Mais aussi sournoise, sourde, silencieuse, solitaire. Zoé finit par trouver un savoureux stratagème : c’est ainsi au renfort de petits messages papiers, coincés dans de vulgaires miches de pains, que leurs voix peuvent enfin trouver leurs échos. L’harmonie de leurs maux leur permettra-t-elle de s’aimer dans le réel ? Alors bien sûr, on aurait parfois aimé moins de fioritures… Mais la poésie permet souvent ces atouts charmes, tout comme elle excuse les abondances et les excès ; et les différents styles employés par l’auteur pour faire vivre ses personnages créent de toute façon une véritable unité de lecture. Alain Cadéo file le parfait amour avec les mots, et fait surtout de ses soupirants des prolongations de son talent. Dans cette baroque et jolie histoire d’amour, la boulangère et le client ne sont finalement plus des marionnettes sociales : et même s’ils devaient être séparés, leurs esprits et leurs corps ne feraient qu’un, là où il y a « perfection, patience infinie », et « l’équation d’une promesse ». Ils s’aimeraient bien au-delà des mots.
Zoé
Alain Cadéo
Mercure de France
151 pages - 14,80 Euros