Spoiler sur Brioche
- font size decrease font size increase font size
Nous sommes aux Grains nobles, une école de dégustations de vins à St-Germain-des-prés. Ici et là, accrochées aux pierres apparentes, des toiles contemporaines – enfin, des « nus » étranges, surtout… Visages aux nez refaits, poitrines surdimensionnées, créatures félines et baroques. L’ambiance est feutrée, le lieu tamisé, et l’atmosphère semble entièrement dédiée au silence et à la sérénité… Caroline Vié apparaît subitement, vive et enjouée : son t-shirt noir est traversé d’un immense VIANDE FRAÎCHE ! Je comprends aussitôt que l’entretien va être sympa… Je m’approche et lui confie timidement qu’elle sera « mon auteure », ce soir.
Nous allons discuter tranquillement autour de Brioche, son premier roman. Le principe des rencontres Zone littéraire : autant de chroniqueurs que d’écrivains, dans un cadre élégant et raffiné… Caroline est fraîchement rigolote, avenante et instantanément volubile : le genre de femme avec qui l’on se sent tout de suite bien, en confiance, détaché de tout. J’en oublierai presque le but de la soirée… Très vite, la conversation s’oriente vers les films d’horreur ; je déplore un peu l’actualité du genre, et la fadasserie des sorties récentes. Caroline, en critique de cinéma chevronnée, en connait un rayon ! J’en perds un peu mon latin, en réalité ; piètre cinéphile que je suis… Mais son discours me passionne déjà. Elle me parle également du Manoir, ce lieu épouvantable dans Paris où l’on aime se faire peur… Brrrr, je me dis que décidément, cette soirée s’annonce vraiment bien.
De critique cinéma à romancière
« J’ai toujours écrit », me confie Caroline in media res, dans le vif du sujet. « La fiction s’est imposée d’emblée… Mais c’est quelque chose qui se travaille ! Ma Brioche a pris une dizaine d’années pour voir le jour, à partir du jour où j’ai rencontré l’« élément déclencheur »… Même si j’ai fait des choses, entre temps, notamment un livre sur un réalisateur. (John Woo, ndlr) » Caroline évoque cet « élément déclencheur » avec malice, puisqu’il ne s’agit pas moins que de l’objet central de son roman… Ou plutôt de son sujet. Attention, spoiler, spoiler ! Certains détails pourraient se voir révélés ici…
Un célèbre acteur américain (la « brioche » en question), dont on taira le nom ici (puisqu’il existe) devient un objet d’amour pour une critique de cinéma. L’héroïne est en effet tombée éperdument amoureuse de lui lors de différentes entrevues. Mais loin d’un Misery où Stephen King faisait d’un écrivain à succès une proie pour une fan déjantée, Caroline Vié parle d’amour. On peut aimer à en déraper réellement… Comme me le dit Caroline dans un clin d’œil, « l’héroïne ne le ramasse pas sur le bord de la route, elle ! » Dans Brioche, il est question d’un amour – certes fou – mais dont la protagoniste choisit d’en exprimer la part obscure, la partie la plus inavouable. Peut-on « garder pour soi » l’être aimé et tant attendu ? Quitte à le « rendre » après ? On n’est pas là dans le politiquement correct… mais il serait hypocrite de conférer aux choses de l’amour un sens forcément carré, droit, cartésien. La folie peut faire partie de l’amour. Si, si.
Des dessins pour sa fille
C’est drôle, Caroline Vié se définit volontiers comme une « gothique chamallow ». Des tatouages par-ci par-là, un macabre collier… Un style décalé qui me parle. Dans Brioche, on n’est jamais dans le glauque ou le trash : la vie intérieure de notre protagoniste l’emporte souvent sur sa folie furieuse. « J’écris très vite, je reprends beaucoup mes textes, ça sort et je retravaille ensuite, continue Caroline. Je suis faite pour écrire dans l’urgence ! Le travail d’écriture peut être douloureux, mais ludique à la fois. Ça peut paraître antinomique, mais ça ne l’est pas tant que ça ! On est dans la fiction, je me suis donc beaucoup amusée… Quand on se concentre sur comment faire évoluer une histoire, et quand on sent que tout se débloque d’un coup… C’est un vrai bonheur. Et puis, je crois beaucoup à la maturité dans l’écriture.»
Et maturité il y a, dans ce premier roman : dans cette « histoire d’humour tragique », selon les propres mots de Caroline, le style est dense, très fouillé, tellement parfois qu’on verrait difficilement une adaptation sur grand écran… En tant que critique de cinéma, notre auteure a dû entendre la question des dizaines de fois : « Je n’ai pas écrit Brioche pour ça… Sinon, j’aurais écrit un scénario ! La narration est très spéciale… » La narration comme les voix.
La voix de Caroline est d’ailleurs très chantante : des hauts, des bas, des aigus, des graves… Nous discutons très vite de tout : des stars du cinéma qu’elle a pu rencontrer dans le cadre de son travail – acteurs et réalisateurs confondus, de Will Smith à Tim Burton, en passant par Jack Nicholson, Julia Roberts ou George Clooney… Mais aussi de la vie en général, d’une certaine hypocrisie présente dans le star-system… De la Scientologie, du mariage, de la filiation, du biologique ! On resterait des heures à discuter à bâtons rompus avec Caroline, surtout que bien des idées se retrouvent dans ce chouette premier roman.
Nous parlons de sa jeune fille, aussi. Les plus grandes stars de la planète, de passage en interview avec Caroline, s’amusent depuis des années à réaliser des croquis pour sa fille… Un carnet bien garni à ce jour, qui réunit des dessins des plus grands du septième art ! Caroline Vié, c’est un peu ça, en fait : le grand écart entre l’humour et le sérieux, le glamour et le réel, les films, les dessins et la littérature… Sans oublier Scrat, bien sûr, qui la passionne.
Scrat ? Mais oui, Scrat, l’écureuil voyons… Pour Caroline, le petit personnage issu de L’Âge de glace nous résume tous un peu : en tant que professionnelle du cinéma, et en tant que femme, il est un véritable fétiche. Dans sa quête terrible et effrénée, Scrat l’obsessionnel pourrait TOUT donner : il-veut-son-gland. Mais veut-il seulement le manger, et s’en sustenter ? Bof, ce qu’il veut surtout, c’est courir après… Peu importe s’il l’attrape, finalement. Ce qui pourrait tout aussi bien définir l’héroïne de Brioche : veut-elle réellement posséder son amour d’acteur ? Ou seulement lui courir après ? Et que dire de notre propre quête à tous… Voulons-nous vraiment posséder ? Ou chercher à obtenir ? L’adrénaline en montant l’escalier, ou la lumière derrière la porte ?