La voix du mal
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Les voyages d’un écrivain ne sont pas toujours géographiques : ils peuvent être aussi très intérieurs, comme autant de chemins vers soi. Ou de retours vers son propre passé… Aux États-Unis pour enquêter sur le massacre de Newtown, Amanda Sthers se confronte à des coups de feu, des cris, des pleurs fantômes. Et peut-être aussi à des bruits familiers. Parfois, le passé a certaines sonorités qu’on ne peut entendre qu’armé de talent…
Si le titre du nouveau roman d’Amanda Sthers est étrange et provocateur, l’œuvre en elle-même ne l’est pas : dégagée de faux semblants, l’écriture est simple et naturelle, presque familière. Toujours très engagée, et forte de ses qualités de dialoguiste, l’auteure fait résonner les voix ; telle une profiler, la narratrice - qui n'est pas loin de l’auteure - nous plonge au cœur d’un drame. Un dialogue intérieur en somme, au sein même du récit, sans pour autant aller chercher l’explication absolue, ou les sources du mal… Car il s’agirait là plutôt d’un constat froid et amer. En décembre 2012, à Newtown (Connecticut), le jeune Adam s’est armé d’un fusil et a tué sa mère avant de débouler dans une école, d’abattre vingt enfants, six adultes, et de se donner la mort. Pour faire court.
Sommes-nous réellement au cœur d’une enquête ? Une question qui a fait couler de l’encre télévisuelle tout récemment… Et qui a alimenté la critique, souvent avide de leçons à donner et de coquilles à relever, même anodines. Un voyage intérieur aux confins de la peur, plutôt ? Il n’y a pas pire horreur que le réel... En perpétuel mouvement, la narratrice se promène entre les genres. Tout en sensibilité, dans cet ailleurs littéraire, elle propose une plongée dans l’esprit humain et dans ce qu’il a de plus incompréhensible. Ou de schizophrène. Comme cette narratrice qui fusionne avec l’auteure.
Adam était-il un adolescent très perturbé ? Était-il autiste ? Avait-il prémédité quoi que ce soit ? Ou a-t-il agi sous le coup d'une pulsion ? Au fond, on ne sait pas bien ce qu’est venue chercher la narratrice sur le continent américain, mais on la comprend : à défaut de trouver des raisons, d’expliquer ou de venger on cherche parfois à bouger, à donner du sens, à mettre de la matière dans du vide. Quitte à en rester sans voix. Faut-il toujours, dans une œuvre de fiction, chercher à briser les silences ?
Nouvelle ville
Dans ce bref roman, c'est la frustration sexuelle des Américains que vise Amanda Sthers. Ou comment, à partir de la métaphore du gun, dans une société puritaine très ambivalente sur la liberté personnelle, on arrive à remplacer le manque de sexe libre, par les coups de feu libres. Aux États-Unis, temple de l’individualisme, ce n’est un secret pour personne : on se procure un permis de port d’arme et les jouets mortels qui vont de pair aussi simplement – ou presque – qu’un permis de pêche dans un bureau de tabac. C’est ce qu’a fait Amanda Sthers, pour se confronter au réel : dans les pas du meurtrier, elle passe son fameux permis, recueille les applaudissements et, affublée de son diplôme tout frais, peut aller au supermarché du coin récupérer son trophée. Mais elle ne sait même pas tirer, confesse-t-elle… Monde schizophrène que celui de l’auto-défense, on se gargarise d’un sentiment de puissance pour tenter d’échapper aux sirènes inéluctables des monstres tapis dans l’ombre. Monde obscène que celui de l’ultra-violence banalisée par les médias, on valorise et on promeut l’éducation en nourrissant des contradictions.
La démarche de l’écrivain qui part enquêter est-elle réellement naïve ? Ou simplement humaine et empathique ? Ne peut-on pas penser qu’une telle immersion dans le sordide fera forcément naître la réflexion ? Le regard porté sur un tel drame américain est forcément très européen : très excentré, et sûrement très français. Mais les efforts de Michael Moore dans son propre pays n’avaient de toute façon pas eux-mêmes suffi. Et il y aura toujours des écrivains pour refaire le monde. Ainsi Newtown ne sera plus comme avant, c’est une nouvelle ville à présent. Amanda Sthers y est allée.
Les érections américaines
Amanda Sthers
Ed. Flammarion
126 p. - 12 euros