Bombay explose les genres

Chroniques

Le chaos de la capitale commerciale de l’Inde aux 18 millions d’habitants génère une littérature à son image : violente et baroque. Analyse et sélection de deux spécimens issus de cette jungle urbaine.

Oubliez Bollywood, ses comédies musicales gnangnan, les saris chatoyants et les histoires d’amour impossibles sur fond d’alpages suisses. Il y a bien plus intéressant au coeur de Bombay, à commencer par sa langue : en effet, la ville a la taille critique suffisante pour générer son propre langage, le bambaya, un mélange de marathi, d’anglais et d’hindi. Si vous voulez vous familiariser avec cette ville superlative, deux solutions : y aller ou compulser Bombay Maximum City (Buchet/Chastel, 2009) de Suketu Mehta. Ce journaliste d’origine indienne implanté aux États-Unis y décrit sur près de 800 pages son retour au pays, sur fond de guerre des gangs, de prostitution et de drogues. Et

dresse un portrait insoupçonné de la ville, bien loin des images d’Épinal. Un exemple : les hijras, ce troisième sexe – tantôt eunuques, tantôt travestis – dont la communauté tient le marché lucratif de la prostitution. Métamorphosée en à peine quelques années au point d’accueillir maintenant les sièges sociaux de Jaguar et Land Rover, propriété
du groupe Tata, la ville produit une littérature surpuissante. Chez ces émigrés indiens comme Vikram Chandra ou Jeet Thayil, généralement partis aux États-Unis, le mélange de sordide et de grâce, de sacré et de profane, produit un résultat détonant. Nul besoin d’imagination quand la réalité dépasse la fiction.

Narcopratiquant
Avec les drogués, c’est pile ou face : le désert intellectuel ou l’ouverture des portes de la perception, chères à Aldous Huxley. Avec Jeet Thayil, on tape plutôt dans la deuxième catégorie. Ce premier roman halluciné emmène le lecteur dans l’intimité d’une fumerie d’opium des années 1970 aux années 2000 en compagnie d’une hijras (voir ci-dessus) prénommée Fossette. Évidemment décousu parce que très haut perché, le roman dessine tout de même en creux le portrait d’un personnage plus fascinant que tous les autres : Bombay.

Narcopolis,
Jeet Thayil, traduit par
Bernard Turle, Éditions
de l’Olivier, 298 p., 22 €.

Gangs of Bombay
Après Bombay côté drogue, voici Bombay côté armes. Dans ce polar ultra-informé de 1 037 pages (en première édition) qui a demandé huit ans d’enquête à l’auteur, on suit les pas d’un petit flic de quartier qui prend dans ses filets un poisson beaucoup plus gros que lui : Ganesh Gaitonde, roi de la pègre, qu’il retrouve « suicidé » dans son bunker. L'enquête sera naturellement prétexte à une visite presque exhaustive de la ville, entre exploration des bas-fonds et montée dans les gratte-ciels.

Le Seigneur de Bombay,
Vikram Chandra, traduit
par Johan-Frédérik Hel Guedj,
Robert Laffont,
1 037 p., 24 €.

Last modified onlundi, 04 novembre 2013 12:19 Read 3078 times