Rompre le charme
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Entre les silences sourds d'une vie et ceux d'un écrivain, que se passe-t-il? Quel processus ou quelle nécessité pousse l'écrivain à s'aventurer sur le chemin interdit, l'ultime, celui de la "mère"? Une belle question soulevée avec beaucoup de sensibilité dans le dernier roman d'Amanda Sthers: Rompre le charme.
"Tu m'as dit : il faut y aller. Tu m'as dit que le livre d'un écrivain sur sa mère, c'était son seul vrai livre." Ces quelques mots prêtés par Amanda Sthers à son éditeur Jean-Marc Roberts pourraient bien résumer les raisons qui font que ce livre est bien son meilleur. Dans ce roman très personnel Amanda Sthers se raconte. Elle se raconte dans les silences pesants de sa famille. Un vaste champ de mines qu'elle ose traverser. Advienne que pourra. Comme si elle n'avait pas le choix. Prendre son secret et lui dire "Va, vis, et deviens". Et si, en plus, elle parvenait à en délester ceux qui le portent et qui finiront peut-être écrasés par lui?
Rompre le charme, c'est l'histoire d'un secret de famille qui pèse lourd, avec, en creux, le portrait d'une mère. Ni sublime, ni dégradée. Un portrait si juste, si vrai? Une mère qui a fait ce qu'elle a pu, mais qui a perdu en route une part considérable de sa sensibilité lorsque son frère Benoît s'est suicidé. Dans le regard d'Amanda, narratrice, écrivain, elle a laissé place à une autre mère, une "fausse mère" qui est venue remplacer la vraie, morte avec son frère suicidé.
Voilà, c'est lancé, écrit et envoyé aux imprimeurs de Stock. Le mot. Le mot qui révèle une part du secret, une part des problèmes et qui fait d'elle "sous cette foutue trempe d'écrivain, un vulgaire tortionnaire".
Le livre la mère
Doit-on privilégier la famille ou l'écriture? Préserver les siens ou aller au bout de l'acte même d'écrire? Elle est ainsi Amanda Sthers. Livre après livre, elle nous a prouvé qu'elle n'était pas la jeune femme blonde, l'air candide, que son image renvoyait. Explosive. Si, dans les interviews télévisées, elle affirme qu'après la publication de Rompre le charme sa famille ne s'est finalement pas fâchée, on est en droit de s'interroger. Car après tout, tout est fiction: cette fausse mère, les yeux d'enfant de la narratrice. Tout ce qui a existé devenant enrobé dans une bulle fictionnelle aux prénoms volontairement changés.
Il y a cinq ans déjà Le Dillettante publiait un autre livre de cette famille : ce qui allait être le dernier livre de Marc Vilrouge: Le livre impossible qui évoquait cette thématique: l'écriture qui démange, qui dérange. On en a déjà parlé ici. (http://www.zone-litteraire.com/litterature/chroniques/le-livre-impossible-a-oublier.html)
Des livres impossibles habitent tous les écrivains. Des livres limite qui deviennent fiction, certes, mais au prix de quelques torsions violentes des sentiments existants, toujours fébriles, fragiles, que sont les sentiments qui unissent l'enfant à ses parents. S'il y a dans ces livres "impossibles" tant de virtuosité c'est que cette flamme borderline qui pousse l'écrivain à aller sur ce terrain si contrasté qu'est celui de l'amour paternel ou maternel fouille au plus profond de chaque être.
Amanda Sthers a décidé de faire ce livre-là. Comme s'il était question de survie. Elle s'est déjà racontée dans d'autres de ses livres. Ce qui fait son talent réside dans sa faculté à être bien présente, à chaque fois, en tant qu' Amanda, tout en nous embarquant dans une véritable trame fictionnelle. Procédé très réussi dans son livre Keith Me.
Sa musicalité toute personnelle, son style intime sans jamais être trop voyeuriste, sont désormais bien ancrés dans le paysage littéraire français. Et si dans ce roman elle confesse: "Je sais que ce sera mon dernier livre", on sait déjà que tout est fiction, puisqu'elle est en train d'écrire un livre sur l'artiste Johnny Hallyday. À suivre...
Rompre le charme
Amanda Sthers
Stock
16, 50€ - 144 p.