Anna Gavalda
Anna Gavalda DR

Plus belle la vie

Chroniques

À nouveau, Anna Gavalda l’assène crûment dans son dernier roman mais, à nouveau, Anna Gavalda redonne la foi. Malheureusement, les hirondelles ne font pas toujours le printemps : La Vie en mieux se montre inégal. Une première partie décevante laissera heureusement la place à une suite succulente.

Parce que c’est elle, je me jette sur ses romans dès leur parution. Depuis Je voudrais que quelqu’un m’attende quelque part, je fais partie des inconditionnels, de cette frange de lecteurs qui défend une plume que certains qualifient de niaise et facile mais que beaucoup d’autres jugent gracieuse et poétique. Anna Gavalda possède ce don, au même titre qu’un Didier van Cauwelaert, de sublimer le quotidien le plus banal, de faire d’un détail insignifiant un objet bouleversant et, parfois même, de réaliser les rêves de ceux qui aspirent à un autre horizon. Car l’auteur maîtrise le mal de vivre et c’est peut-être ce que l’on pourrait finir par lui reprocher. Comme nombre de ses personnages précédents, Mathilde et Yann, outre leur vingtaine d’années au compteur, ont pour seul point commun de s’être empêtrés dans une vie qui les éteint et d’être aujourd’hui sclérosés, la faute à une certaine politesse vis-à-vis des attentes, du paraître, de la société… des autres. Ils sont les protagonistes et les narrateurs des deux histoires qui composentLa Vie en mieux. Deux romans — deux nouvelles? — sans autre lien, deux portraits de Parisiens loin de leurs idéaux, loin d’être heureux. Mathilde vit en colocation dans un 110 m² du XVIIIe arrondissement. Officiellement jeune, jolie et étudiante en histoire de l’art, elle passe ses journées à rédiger « des commentaires bidon» sur des sites Internet pour le compte de son beau-frère et à tenter d’oublier pourquoi elle est si malheureuse en se drapant dans l’insouciance du shopping. Yann est aussi diplômé qu’on puisse l’être mais n’a su dégoter qu’un travail de vendeur et vit aux crochets d’une petite amie chez qui il ne sait plus ce qui l’insupporte le plus, les émoticônes de ses textos ou sa carte de fidélité au supermarché du coin. Il ne dit pas non plus qu’il est malheureux, il sait même qu’il a tout, mais il lui arrive de s’imaginer sauter dans la Seine. Jusqu’à ce que…
Jusqu’à ce que l’une oublie son sac à main bourré d’argent dans un café et l’autre aide son voisin à monter chez lui un meuble bleu. Elle rencontrera l’homme mutique et abrupt qui lui aura pris son sac. Il tombera sur le couple virevoltant qui habite l’étage du dessus. Et tous deux prendront leurs jambes à leur cou. Fuiront la gangrène et claqueront la porte. Vivront le printemps, enfin. Rien de surprenant, dirait-on, dans un roman d’Anna Gavalda, elle qui a pour habitude de susciter et magnifier la mue de ses personnages. Mais on ne peut le nier : impossible de ne pas se laisser hisser à bord. Pourtant, elle n’a pas insufflé le même quotient de magie dans ses deux portraits.

La vie en deux
Quant l’histoire de Yann fonctionne du début à la fin, celle de Mathilde peine à convaincre. La faute à un parler « jeune » qui agace, qui force le trait au point de nous donner l’impression désagréable d’avoir à mâcher le journal intime d’une pré-adolescente. Mathilde manque de crédibilité, même dans sa soudaine traque du prince cuistot (encore un !) et malgré l’épreuve qu’elle aura subie enfant. Le seul moment où la plume d’Anna Gavalda nous hape dans cette première partie, justifiant le fait que nous n’ayons pas encore lâché prise, est celui d’une lettre d’amour retrouvée ouverte dans le sac à main. Six pages flattant les sens. Un temple de gourmandise. « Du creux de tes salières perlait un suc vinaigré qui piquait la langue et du bombé de ton épaule venait sa consolation ; le frais, le grainé fin, la chair fondante d’un cul de poire. » On ne quitterait plus la table. Mais il le faudra bien et le réveil sera forcément amer. Anna Gavalda se rattrapera heureusement dans la seconde partie de La Vie en mieux pour nous transporter le temps d’un dîner qui durera l’éternité. La cuisine, le couple, leurs enfants, le repas qui sera servi, le vin qui l’accompagnera, la façon dont sera dressée la table, la manière d’éplucher une clémentine, le toucher d’une paume qui lisse la nappe, le tombé d’une chemise, les rires, les regards... Le diable se niche dans les détails de cette soirée qui bousculera la vie de Yann. Une scène aussi délicate qu’intense, qui fourmille d’images que l’on souhaiterait ne jamais oublier. Une écriture si vivante que l’on entend quasiment penser les protagonistes, y compris leurs digressions. « Allez, allez… Circulez. Ça arrive à tout le monde de se faire niquer par son âme, non ? Cette petite bulle, là… cette salope qui remonte sans crier gare pour te rappeler que ta vie ne t’arrive pas à la cheville […]. » Ceux qui ont renoncé ou ceux qui n’y ont jamais pensé, bref ceux que l’on envie peuvent passer leur chemin. Pour les autres, je partagerais une anecdote. Une amie s’était fait interpeller dans le métro tandis qu’elle lisait Ensemble, c’est tout : « Quelle chance vous avez : vous n’en êtes qu’au début ! » C’est le meilleur que je vous souhaite avec ce dernier et élégant opus.

La vie en mieux
Anna Gavalda
Le Dilettante
290 p. – 17 €

Last modified onmercredi, 14 mai 2014 15:08 Read 3214 times