Une inquiétude surabondante
- font size decrease font size increase font size
Il faudrait lire L'inquiétude d'être au monde d'un seul trait. Ce livre est à la lisière entre la philosophie, la poésie et l'essai politique, un « Objet livre non identifié », en somme. Camille de Toledo y questionne notre existence post-XXe siècle, et le vertige de vivre dans un monde devenu "ubuesque"!
Dans ce court texte de 60 pages, qui a été écrit et lu à Lagrasse pour la première fois en août 2011 lors du Banquet du livre, Camille de Toledo aborde notre rapport au vide laissé par la folie du siècle dernier, et nos tentatives pour vivre avec : « une sédimentation de fictions/ et la prison que nous construisons/ pierre après pierre, dans l'espoir/ de nous libérer du vertige ». L'auteur évoque le drame d'Anders Behring Breivik, le tremblement de terre japonais, Aimé Césaire ou encore Pascal. Dans sa structure même, ce texte évoque l'inquiétude, par des phrases aux rythmes bouleversés, des vers coupés net. Coupés net comme le souffle arrêté de l'Ile d'Utoya face au spectacle de la mort donnée gratuitement par un jeune homme : des balles pour rien, le drame de la génération perdue, aux pulsions incontrôlables issues d'une « une synthèse inédite des fictions américaines/ et des démons européens.»
Et dans tout ce bazar, l'Europe, qui s'obstine à tenter de combler ce besoin de consolation impossible à rassasier, en brandissant quatre mots vains : « nations, identités, assurance, médicaments ».
Qohelet des temps modernes
Depuis plusieurs années déjà l'artiste Camille de Toledo a dédié son travail littéraire et artistique à l'évocation de ce vertige d'être au monde.Dans son univers créatif, on ne trouve pas de solution ni de happy end. Vertige, tout n'est que vertige et c'est ce socle même, fondé sur un « trou » («Nous portons en nous tous les trous du vingtième siècle ») qu'il faudra désormais apprendre à apprivoiser, à défaut de combler les brèches. Il dit notre difficulté à avancer avec tout ce désastre sur les bras, les fantômes du siècle dernier, le « pop fascism » matérialisé par les délires meurtriers de personnes aux apparences normales. Constatons que ce thème occupe beaucoup de place dans le travail littéraire actuel, comme dans nos consciences toutes personnelles. La romancière Mazarine Pingeot a publié à la rentrée de septembre Pour mémoire, chez Julliard, roman dans lequel un jeune adolescent est hanté par la Shoah et la culpabilité d'en avoir été épargné.
Notre génération cherche du sens et - comme l'a si bien dit Woody Allen - « Si Dieu existe, [Nous espérons] qu'il a une bonne excuse ». Alors, pour oublier ce vertige, nous nous sommes lancés dans des divertissements pascaliens, formidable esquive avec au premier rang l'absurdité du temps perdus sur les réseaux sociaux, les jeux vidéos : Camille de Toledo dénonce les excès de toute cette culture hypra-technologiques qui fait que des gamins finissent par « s'emparer des joystick de la simulation ».
Que faire alors ? « Il ne nous reste, disons, que la prière et la gymnastique » écrit Camille de Toledo. On est proche d'En attendant Godot ! Et quand le Messie se pointe, Camille de Toledo recommande de lui offrir à boire pour le saouler « une bonne fois pour toutes » !
L'inquiétude d'être au monde
Camille de Toledo
Éditions Verdier
58 p. - 6,30 €
À noter que Camille de Toledo vient d'ouvrir un site web - Toledo Archives - sur lequel on peut télécharger gratuitement les dix premières pages de ce livre :
http://toledo-archives.net/oeuvre/l-inquietude-d-etre-au-monde