Ariel Kenig sans barrières

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Son premier roman, Camping Atlantic, disait déjà la révolte de la jeunesse face à son milieu, son héritage. La Pause nourrit cette même hargne, mais son cri est devenu plus sourd, son expression moins violente. Pourtant, la force qui s’en dégage n’a fait qu’accroître. Rencontre avec un jeune auteur de talent, à qui l’on souhaite de devenir… grand !

Zone : On a envie d’abord de vous interroger sur vos titres : alors que Camping Atlantic avait cette connotation ricaine, un peu provocatrice, La Pause, bien que plus « signifiant », est plus consensuel, moins fort. Ca va bien avec l’accalmie du ton de vos romans…

Ariel Kenig : Ce que j’aimais beaucoup dans le titre Camping Atlantic, c’était son côté plastique. Je le trouvais désuet, en même temps assez amusant… J’aimais aussi le fait qu’il soit un nom de lieu car mes deux romans se rattachent à un espace, le premier un camping, le second aux usines Renault. En fait, j’ai décidé de garder ce titre quand Gabriel Matzneff l’a adoubé !
Quant à La Pause, ce n’est pas moi qui ai choisi ce titre, je ne l’aime pas vraiment, j’avais en tête F3, toujours dans cette idée de rattachement à un lieu. Ceci étant, je comprends tout à fait sa pertinence par rapport à l’histoire.

Les héros de vos romans sont chaque fois des adolescents en position de refus face à l’héritage familial, leur milieu, leur culture : alors que dans Camping Atlantic cette révolte est violente, exacerbée, dans La Pause, elle est bien plus tranquille, silencieuse même, avec ce garçon qui décide simplement de s’enfermer chez lui. On est passé d’un mode « premier degré » à un mode plus réfléchi…

Pour moi, les deux révoltes sont « premier degré », il n’y a pas de trace de cynisme, le narrateur colle au personnage par l’intermédiaire de ce « je ». Cette transition de la violence, c’est un peu celle du héros (à mes yeux, c’est le même) qui a grandi d’un livre à l’autre. Je pense que la violence est restée la même, bien que s’exprimant différemment. Elle se fonde sur l’idée suivante : "qu’est-ce qu’on fait avec ce qu’on a ? Quels sont nos seuls moyens ?" Je me pose toujours cette question avant de commencer un livre : je fais le bilan de ce que j’ai et de ce que je n’ai pas, puis une fois le bilan établi, je me demande : "qu’est-ce que j’en fais ?" J’espère que mes deux héros ont une violence comme ça, j’espère aussi que mes livres constituent chaque fois un acte de violence. Pour moi écrire est un acte de violence, entre autres.

Vous voulez dire que si la violence du héros de La Pause comporte moins de visibilité, démontre plus d’apaisement, que celle du héros de Camping Atlantic, elle doit être porteuse d’autant de sens, d’intensité ?
Oui. Je pense que l’expérience du héros de La Pause est justement très violente même s’il y a moins de sang, qu’elle est moins tournée vers l’extérieur. Je pense qu’elle est plus dangereuse pour lui et pour les autres dans ses conséquences. Toutefois, dans ce second roman, ce qui peut être la preuve d’un apaisement, c’est qu’il y a beaucoup plus d’amour, une vraie capacité à aimer qui se développe: de la mansuétude, de la tendresse. Mon héros essaye peu à peu de construire un "nous" avec sa copine, A., tout en n’y croyant
pas, car « c’est trop difficile ». En même temps, c’est une solution possible, bien qu’elle apparaisse d’emblée trop compliquée, c’est du coup un défi. Ce sera le sujet de mon prochain roman, ce défi du nous.

Vous écrivez Camping Atlantic à 22 ans, vous en avez maintenant 24, pourquoi des préoccupations si graves à votre âge, les pauvres gens, le milieu ouvrier… ?
A 20 ans, si tu veux écrire en France, il existe deux possibilités : sortir d’une grande école et pondre son livre, soit être un pseudo junkie et raconter ses soirées de débauche. Il y a aussi ceux qui se focalisent sur la jeunesse, mais moi je n’y crois pas, je veux dire que la notion de génération n'existe pas pour moi. Bref, entre un roman d’énarque et un autre sur la jeunesse dorée, il y a forcément quelque chose à faire.
Sur le sujet même de mes livres, ce qui me touche personnellement quand j’écris, c’est de m’attacher à des gens de peu. Je ne veux pas les attaquer ou m’en moquer, et peut-être d’ailleurs que Camping Atlantic, plus vindicatif, manquait en l’occurrence de premier degré. Il s’agissait plus d’une parade que d’une moquerie. Dans les milieux que j’évoque, il y a zéro corps, zéro culture, pour moi ça veut dire pas d’âme. Quand tu n’as pas de corps, tu n’es plus rien. Je trouve ça assez traumatisant. Si tu regardes des ouvriers ou des gars au camping, c’est juste difficile d’avoir un corps. Il ne s’agit pas de compassion, et c'est ce qui était intéressant littérairement : ce sont des milieux où le corps que tu peux avoir doit se construire, n’existe pas de lui-même, il y a une démarche à faire. Je ne dis pas qu’il y a zéro corps en général, bien sûr, il y a des exceptions mais c’est plus compliqué. Les milieux sociaux sont excessivement normés et c’est difficile de s’en sortir. Dans les d'autres milieux, aussi normés, il n’y a pas ce danger de mort comme dans la pauvreté.

Parlez-moi de votre projet Quitter la France

Quitter la France c’est la fin de la trilogie, où je voulais que l’intime et le social se télescopent. J’ai fini de l’écrire, c’est le télescopage de manière très formelle de moi dans cette France d’aujourd’hui.

Et le théâtre, vous en écrivez aussi, ça vous a pris comment ?
Le théâtre… D’abord parce que j’ai envie d’avoir tous les soirs rendez-vous au même endroit ! Avoir quelque part où aller. Ensuite, assez naïvement je trouve qu’il y a beaucoup de choses à faire par rapport à ce que je vois, j’entends – et cela rejoint ce que j’essaie de faire en littérature – rendre accessible des formes pouvant paraître rebutantes au départ. Pour ça, je puise mon inspiration dans l’art contemporain, je cherche à avoir une écriture « blanche ». Le théâtre prend corps rapidement, il peut parler facilement aux gens, c’est un mode d’expression très direct. J’ai aussi une passion infinie pour les acteurs. Et puis aussi, j’en ai marre de ce que je vois dans les théâtres privés ou publics, des mises en scène nulles, des textes faibles. Je trouve que tout ça manque singulièrement d’exigence.

Le théâtre et la littérature, ça ne fait pas beaucoup ?

J’ai de fait beaucoup de projets en cours, qui tous cependant se rejoignent dans l’écriture. J’ai envie de montrer les mêmes choses sous différentes formes. Comme je n’ai pas eu d’éducation littéraire, théâtrale ou universitaire, rien de très normé, il y a pour moi une transdisciplinarité entre ces arts très naturelle. Je n’ai pas été construit par des barrières, pas conçu dans le cloisonnement. J’aborde tout de la même façon, avec la même énergie, avec le même dessein, avec la même envie.
Ils sont aussi très complémentaires dans le rapport à l’autre : quand tu restes longtemps seul, tu as envie d’être avec les autres, quand tu passes beaucoup de temps avec les autres, tu rêves de solitude. Comme mon travail se nourrit d’arts aussi différents que le théâtre, la musique, la littérature ou le cinéma, c’est un retour des choses qui me semble honnête. Après bien sûr, il y a une boulimie personnelle qui t’empêche d’arrêter : la peur du vide…
Je m’arrête là parce que c’est cliché !

Vous aimez vous enthousiasmer pour les gens, plus ou moins connus. Vous avez des héros dans la vie ?

J’ai beaucoup d’enthousiasme pour beaucoup de gens parce qu’ils sont un soutien quotidien dans ma vie en général. Et puis surtout, comme les gens ne lisent pas, ne vont pas au théâtre, ne voient pas de films – j’entends par là lisent le Goncourt, vont voir une pièce avec Jean Dujardin, vont voir Astérix et Obélix – je pense que c’est important du coup de parler des autres, de ce qu’ils font, des travaux qui peuvent paraître pas forcément accessibles tout de suite, qui en même temps sont infiniment compréhensibles et pertinents aujourd’hui.
Moi j’ai été énormément touché par beaucoup de gens, ils sont nombreux, si je devais vous les citer, cela signifierait faire des choix… Bon quand même, un exemple, Christine Angot, sauf son dernier livre que je trouve le plus raté ! Sinon, au delà des auteurs, des
cinéastes que j’aime profondément, je m’intéresse en ce moment beaucoup aux acteurs et j’ai très envie d’écrire pour Pascal Grégory.

Photo: Sebastien Dolidon
www.dolidon.fr

La Pause, d’Ariel Kenig, éditions Denoël,
145 pages, 14,50 euros.

Maïa Gabily


Ariel Kenig
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