Emmanuel Adely : « la langue des livres est morte »

Interviews
Le Dessous des livres : Emmanuel Adely, auteur en quête d'éditeur

Romancier composite à éditeurs multiples (Joelle Losfeld, Minuit, Seuil, Stock) et essayiste un peu barré, Emmanuel Adely jette sur le paysage littéraire et la création artistique une vision bien trempée. Entre la volonté du marché et l’ambition de l’artiste, il y a un fossé que la réalité peine à combler. Interview.

La saison des prix se termine, quel regard jetez-vous sur cette « vénérable institution », écornée tous les ans, pour une raison ou une autre ?

Les prix ? Ils ont une utilité très éventuelle, j’en ai un peu la même vision que les éditeurs : ils ne sont qu’une expression du marché. Il n’y a tout de même pas que du mauvais : J’ai participé l’année dernière au prix 15 minutes après [Distinction décernée un quart d’heure après le Goncourt, il avait récompensé Rhésus de Helena Marienské (Editions POL). Il n’a pas été reconduit cette année faute de financements, ndlr]. Nous étions libres de toute pression puisque les éditeurs ne s’y intéressaient pas. A part le Wepler, qui fonctionne sur le principe du jury tournant, mon opinion est donc assez négative. C’est une institution purement mondaine, qui revient chaque année un peu comme le Beaujolais nouveau : une tradition très franco-française ou plutôt complètement germanopratine. Quel intérêt pour un lecteur qui n’a pas besoin d’eux pour lire ? Quant aux gens qui lisent peu, dommage qu’ils n’entendent parler des livres qu’au moment des prix littéraires : ce ne sont vraiment pas les meilleurs qui sont primés ! Cette année c’est d’ailleurs particulièrement inintéressant. Donc, dans le principe oui, mais dans les faits, c’est raté. En réalité, je ne suis ni pour ni contre, cela ne me concerne pas.

On attend d’un essai un verbiage strict, des raisonnements, un début et une fin. Ce n’est pas le cas dans Edition limitée, sorte d’Ovni moitié création littéraire, moitié réflexion sur l’Art. Pourquoi ce choix si drastique dans la forme?

La forme est inattendue, oui. La ponctuation est anarchique depuis longtemps chez moi. J’écris toujours comme cela au départ, comme pour mon roman Mad about the boy (Ed. Joelle Losfeld). Cela permet aux gens de mettre leur propre ponctuation dans le texte et le transforme en une espèce de « work in progress » permanent. Cela me facilite le travail quand je lis et que je donne à entendre ces textes : cette forme d’écriture est beaucoup plus proche de la pensée et de l’oralité, plus chaotique.

Le livre est-il un produit comme un autre ? Sans une volonté de fer de la part des auteurs et des éditeurs, il risque de ne se résumer qu’à sa finalité, comme n’importe quel obljet manufacturé…

L’idée d’Edition limitée vient d’un partenariat avec une école de design, pour établir un parallèle entre le processus de création littéraire et celui d’un objet. Intéressant : les designers procèdent de travaux complètement libres qui se fondent ensuite dans le moule qu’on leur impose en fonction de contraintes économiques ou industrielles. Du coup leur idée devient très ciblée. J’osais penser qu’en tant qu’écrivain, ces contraintes n’existaient pas et que la création était libre. Et puis à force d’y réfléchir je me suis rendu compte que littérature aussi provenait d’un façonnage inconscient : un écrivain va souvent composer consciemment ou inconsciemment pour toucher tel ou tel éditeur. Il en résulte une sorte de formatage, surtout présent dans la forme romanesque. La poésie est par essence plus libre.

En même temps le fait que vous, écrivain intransigeant, soyez édité, tend à prouver que ces éditeurs ne sont pas si mauvais que vous le prétendez !

C’est vrai, mais le fait d’être édité m’a moi-même surpris, même si mes relations avec mes éditeurs n’ont jamais été simples. J’en suis à mon quatrième, et j’ai quitté tous les précédents pour des raisons différentes. L’un, Minuit, voulait retoucher mon roman, l’autre a tout simplement refusé mon manuscrit, quant au troisième, il ne voulait pas éditer un si gros bouquin. Mais je n’ai pas envie de les essayer tous, il est de plus en plus difficile d’expliquer pourquoi on a été viré du précédent ! Mais cela reste moins dur que de se faire éditer pour un premier roman.

Faut-il être nécessairement pessimiste ? La littérature survivra aux éditeurs !

L’édition française souffre de deux maux : les syndrome de l’entonnoir que je décris tout au long d’Edition limitée et celui de "la rédaction". Les écrivains ont tendance à faire des devoirs proprets de terminale ou de première avec introduction / thèse / antithèse / synthèse / conclusion et un imparfait du subjonctif de temps en temps, histoire de prouver qu’on est bon élève. C’est une des raisons de la mort de la langue littéraire : actuellement un livre ne décrit pas le monde tel qu’il est, parce qu’il ne le peut plus : c’est comme du latin. La langue des livres n’existe pas dans le monde réel : par manque d’audace des écrivains et des éditeurs. Et paradoxalement, les écrivains qui contribuent à inventer cette langue n’ont absolument aucun écho : je n’ai vu que deux entrefilets sur la mort d’Edouard Levé, à l’œuvre si exigeante que malheureusement personne n’en parle. Il sera peut-être reconnu après sa mort, mais il va falloir sortir un jour ou l’autre de la vision très XIXe de l’artiste maudit. Place à autre chose !

Edition Limitée,Inventaire/Invention, 5 euros
Et aussi J'achète,Inventaire/Invention, 7 euros

Laurent Simon


Emmanuel Adely
Ed.
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Last modified onmercredi, 01 juillet 2009 22:31 Read 2292 times

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