L'imageur de mots

Interviews
Les écrivains sont-ils de bons cinéastes ? Après tout, du stylo à la caméra, le fossé est immense. Homme de l’image, puisque tout à la fois dessinateur, photographe et réalisateur, Philippe Pollet Villard se consacre aujourd’hui à l’écriture. Après l’homme qui marchait avec une balle dans la tête, il sort son deuxième roman La Fabrique de souvenirs en janvier. Son expérience et son analyse des deux métiers révèlent avec justesse la réalité du travail à accomplir des deux côtés de la barrière…

Zone : Vous êtes avant tout un homme de l’image, le monde des mots, ce n’est pas, à la base, votre univers de prédilection ?

PPV C’est vrai. J’ai pour moi de n’avoir aucun diplôme. J’ai littéralement cramé mes études. Avec le recul, je trouve que c’est un avantage car j’ai appris en suivant mon désir.
J’ai voulu me lancer dans le travail de l’image car dessiner était la chose que je savais faire le mieux étant enfant et je l’ai fait. Fabriquer l’image, faire de la photo, du dessin animé, de la direction artistique, des films de pub, des clips. De là j’ai eu envie d’apprendre le jeu. Je suis entré dans un cours de théâtre. En faisant des improvisations, j’ai eu envie d’écrire des dialogues. Et petit à petit d’aller plus loin et d’écrire un livre. On se rend compte au bout d’un moment, milieux mis à part, que face au travail de l’image ou à celui de l’écrit, on rencontre les mêmes peurs et les mêmes problématiques. Une fois qu’on les dépasse dans un domaine, on peut les dépasser dans un autre.

Vous êtes-vous lassé de l’image ?

J’aime l’image en général, que se soit la sculpture, l’art antique, la photo de mode contemporaine. Mais aujourd’hui, je la trouve mortifère. C’est en tout cas le sentiment qu’elle me procure : un effet névrotique. L’écriture peut l’être aussi. Cependant l’image est très technique, il vous faut la maîtriser. Elle réclame tellement de paramètres, que vous pouvez difficilement partir dans une improvisation comme le ferait un musicien par exemple. Cette dimension m’allait très bien parce qu’il faut faire des plans, des dessins…Puis j’ai ressenti un besoin d’avoir plus de liberté d’action. Dans le cinéma, les contraintes sont énormes. Sur le plan technique mais aussi sur le plan relationnel et affectif. Tout ce jeu désespérant de la séduction. Les décisions passent par ce prisme là. Je trouve cette pratique déplacée car en l’occurrence elle déplace le type qui a juste envie de raconter des histoires.

Comment avez-vous abordé le travail d’écriture ?

Je me suis dit : je vais y passer le temps qu’il faut, mais je vais écrire. Fabriquer un film est une épreuve. Il faut être convaincu du film que l’on est en train de faire et il faut réussir à convaincre les autres. C’est un véritable engagement. A plus forte raison parce que je joue aussi dans mes films : l’investissement est donc aussi physique. L’engagement en écriture est différent. Il faut trouver le courage de croire en soi afin de se mettre en situation de lecteur de soi même. Vous ne pouvez pas comme dans le cinéma vous retrancher derrière l’énergie de votre équipe de tournage. Aucune excuse possible. Si un film ne se fait pas, on peut toujours se dire que c’est parce qu’on n'a pas reçu le budget, qu’on n'a pas pu avoir tel acteur… Ecrire c’est se mettre face à soi et combattre ses peurs.
Quand j’ai commencé, j’allais parallèlement à des cours de théâtre avec mes textes. Je lisais aux élèves des chapitres de l’homme qui marchait avec une balle dans la tête sur lequel je travaillais à l’époque. Parfois eux s’emparaient d’un extrait qu’ils lisaient à la première personne. Cela donnait des choses assez extraordinaires pour l’écrivain que j’étais à ce moment.
J’étais sorti de mon ordinateur et j’avais réussi à faire passer l’émotion chez les autres. Ce qui m’a convaincu d’aller encore plus loin dans l’écriture. J’avais tout simplement un vrai désir d’écrire.

Les liens entre la littérature et le cinéma ne sont plus à démontrer. Les adaptations littéraires sont légions, les écrivains scénaristes nombreux, mais les écrivains réalisateurs sont rares. Est-il difficile pour un écrivain de passer de l’écriture à la réalisation ?

Pourquoi une personne qui écrit aurait envie de mettre en image ? On ne voit pas d’emblée le rapport entre les deux moyens d’expressions. Qu’est ce qui fait qu’une personne se met à écrire, qu’une ait envie de jouer et qu’une autre fonctionne avec l’image ? Chacun est différent. Moi je pense en images, il est donc facile pour moi de réfléchir en termes de plans, de lumière etc. Pour ma part, je travaille de manière assez instinctive. J’ai envie de raconter une histoire. Parfois elle me vient en images, parfois avec des mots. Mais je serai incapable de dire quels sont les liens entre les deux. En réalité je ne crois pas qu’il soit facile de passer de l’un à l’autre sans difficultés. Après tout un charpentier ne saura pas ou n’aura pas forcément envie de faire des meubles, pourtant les deux domaines ne sont pas si éloignés. Il en va de même pour l’écriture et la réalisation. Ce sont deux métiers distincts. Le travail de l’image réclame nombre de compétences techniques: la lumière, le décors, la photographie, le cadrage, la direction des acteurs, ce dernier étant conséquent quand on a fait qu’écrire des livres. Pourquoi des écrivains installés iraient se coltiner un apprentissage aussi lourd ! Certes il y a beaucoup de films, pour ne pas dire une majorité, qui se font sur les épaules du premier assistant. C’est comme un nègre. Il faudrait interroger des auteurs qui sont passés à la réalisation et leur demander leur part de responsabilité dans le film. Un écrivain qui passe à la réalisation cinématographique est motivé par un désir fort de le faire et de dépasser quelque chose.

Vous vous avez fait l’apprentissage inverse...

Complètement. Ca été pour moi une véritable abnégation de m’extraire des problématiques de l’image pour me livrer à un exercice beaucoup plus ancien. L’écriture me donne un sentiment beaucoup plus profond. Une vraie satisfaction.

Pour terminer, parlez-nous un peu de vos films…

Jacqueline dans ma vitrine est un long métrage dont je ne suis pas satisfait. Ma place sur le trottoir, la baguette et le Mozart des pickpockets sont des films qui fonctionnent sur un même registre : celui du tragi-comique. Tous se passent dans le même genre de quartiers : Barbès, Pigalle et recréent cette ambiance de rue. Ils mettent en scène des histoires de prostituées, de malfrats, de pickpockets. Tous ont en commun le registre comique mais ils sont aussi à la charnière du tragique parce qu’ils racontent tous l’histoire de personnages en situation difficile ou à la dérive qui essaient de s’en sortir. C’est un registre que je situerai entre le film social et la grosse comédie. C’est peu exploité en France je trouve contrairement aux pays anglo-saxons où l’on fait beaucoup de comédie sociales. En France on sépare les deux genres. On a d’un côté le film d’auteur à caractère social et de l’autre la comédie qui traite des histoires de couples et autres sujets.

Doreen Bodin


Philippe Pollet Villard
Ed.
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Last modified onmercredi, 01 juillet 2009 22:31 Read 2580 times