Tout Schulze
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Sophie Schulze ou les philosophes à votre portée. Allée7, rangée 38 est un roman à l'image de son auteur : accessible, intelligible et sans affèteries. Voici son histoire.
Il est un peu plus de 20 heures. L'atmosphère bat son plein aux Pères populaires. Le lieu est bondé et de multiples voix se mélangent en un joyeux charivari sur fond de musique rock. Sophie Schulze se faufile dans la foule pour gagner le fond du bar. Impatience et anxiété de l'interviewer. Elle est l'auteur d'une étude sur Nathalie Sarraute et a été l'élève de Philippe Lacoue-Labarthe et Jean-Luc Nancy deux grands pontes spécialistes d'Heidegger ! De quoi impressionner... Son premier roman Allée 7, rangée 38 a de quoi vous décaper les méninges : imprégné de philosophie allemande, il regorge de références à Husserl, Arendt, Nietzche... et a pour objectif de souligner, dans la continuité de Marx, le lien intrinsèque qui unit philosophie et histoire. Elle arrive en s'excusant de son léger retard. Il émane de cette grande brune élancée, qui ressemble à Sigourney Weaver dans Gorilles dans la brume, douceur, gentillesse, simplicité, accessibilité. S'il fallait d'ailleurs choisir un seul terme pour définir son livre, ce serait celui là : « accessible ».
Nous nous installons. Surprise, c'est elle qui ouvre les festivités en me questionnant sur mon parcours. Une discussion plaisante et pertinente, à bâton rompu commence : l'enseignement de la philosophie dans les lycées et dans les universités, l'image qu'elle inspire au quidam, les années où Sophie Schulze a vécu au Niger, en Arabie Saoudite et à Moscou, le caractère rigide de la France... Aujourd'hui, en plus d'écrire, elle enseigne le droit. Mais l'écriture reste ce qui l'anime. Quand on lui demande si elle a rencontré quelque difficulté dans l'élaboration de son premier roman, elle confie avec naturel : « Non, j'adore écrire ». Allée 7, rangée 38 raconte l'histoire de Walter un enfant exclu et mal-aimé au sein de sa famille, qui quitte l'Allemagne après avoir accidentellement tué son frère. En toile de fond, une traversée de l'Histoire du XXe siècle ainsi que de celle de la pensée allemande. Habitée par ses études de philosophie, Sophie Schulze a rapidement trouvé le sujet de son premier roman : « Je voulais surtout donner envie de lire les textes philosophiques, mais aussi montrer la logique destructrice du totalitarisme qui, en excluant une seule personne, conduit à l'exclusion de tous. Mettre en avant le fait qu'il n'y a ni bourreaux, ni victimes. Mon idée était d'articuler philosophie et histoire dans la continuité de Marx. Je suis donc partie de l'histoire de la pensée allemande : Kant, Nieztche, Husserl, Marx, Heidegger et de ses tournants majeurs. Chaque vague étant associée à des événements. Mon fil conducteur repose sur la transmission d'héritage d'Husserl à Heiddeger. » Assez pour attraper la migraine? Détrompez-vous. Sophie Schulze qui décortique son livre au sujet apparemment lourd voire pompeux, c'est comme mademoiselle Agnès analysant les tendances de la mode : léger. Son envie de transmettre son amour des textes philosophiques est prégnante. Ainsi, la clarté domine l'échange. Il ne s'agit pas de donner des leçons mais de transmettre. À l'instar de son écriture d'ailleurs : sans effet de style ni fioritures : « Je suis mal à l'aise avec la description, je n'aime pas ça. C'est pourquoi je ne recherche pas le style. Et puis j'ai trop de pudeur quant au sujet. Il aurait été vulgaire d'intervenir. C'est à chacun de juger les événements. » Pour elle qui est d'origine allemande, ce roman était aussi un moyen de renouer avec ses racines et de reconstruire son héritage. « Dans mon roman, je raconte l'histoire de l'Allemagne. C'est pourquoi j'avais besoin d'un personnage crédible qui soit une victime mais qui incarne aussi l'anti-Allemagne. C'est le cas de Walter. Soumis, auteur d'un crime totalitaire, il représente l'ordinaire et le populaire ainsi que le corps par opposition à l'Allemagne intellectuelle. » L'ensemble de son roman a été solidement et minutieusement échafaudé. Une rencontre chaleureuse et enrichissante pour éclairer un premier roman intelligent et didactique qui donne envie d'aller lire ou relire Arendt et Heidegger.
Allée 7, rangée 38
Sophie Schulze
Éditions Leo Scheer
92 p. - 15 €