Aux âmes, etc.
- font size decrease font size increase font size
Quête identitaire qui passe par la reconstitution généalogique. Voilà une manière de percevoir La peine du menuisier. Mais c’est aussi et surtout l’histoire d’un décalage générationnel entre un père et sa fille. Dans le Finistère des années cinquante, archaïque et campagnard, Marie-Yvonne l’héroÏne et narratrice est « née vingt ans après tout le monde ». Le menuisier avait cinquante deux ans. Elle est ainsi très tôt confrontée à la mort, omniprésente dans cette famille. Des âmes enfermées dans des cadres photos, conservées dans les secrets et les non dits. L’enfant s’interroge donc sur la disparition des enfants, des vieux et tente de retracer son arbre généalogique. Elle s’emploie indirectement à percer le secret du Menuisier, ce père solitaire, taciturne et silencieux. « Ombrageux, inaccessible. Je l’ai peu vu sourire. (…) Nous avons fait connaissance dans un mutisme absolu. » Cette absence de la parole représente le fil conducteur du roman et la filiation entre Marie et le Menuisier. De l’abîme silencieux, Marie Legall fait surgir la parole enfouie et reconstruit une relation avec son père. À partir de bribes de souvenirs, elle recompose, par les mots, cette histoire manquée. Elle lève ainsi les questions laissées sans réponse lorsqu’elle était enfant, les secrets, les non-dits et les murmures.
L’écriture est pudique et précise. Les phrases et les mots sont taillés pour tendre à une vérité juste et profonde Les pages qui se tournent sont chargées d’émotions intenses qui ne peuvent laisser insensible. Difficile de ne pas être touché par cette non rencontre entre un père et sa fille. Un effet qui tient d’ailleurs moins au récit en tant que tel qu’à la manière dont il est raconté. Un livre magnifique.
Marie Le Gall
La Peine du Menuisier
Editions Phébus
282 p. - 20 €
INTERVIEW
A l'occasion de la publication de son premier roman, Zone littéraire avait rencontré Marie Legall il y a quelques mois.
Le sujet de votre premier roman La peine du menuisier est-il né d’une nécessité ou d’une envie ?
D'une nécessité absolue, comme si j'avais été dictée par une voix plus forte que la mienne.
Comment avez-vous procédé pour l’écrire : avez-vous réalisé un synopsis préalable ou avez-vous écrit au fil de vos souvenirs d’enfance pour ensuite réorganiser l’ensemble ?
Je n'ai pas de souvenirs à proprement parlé. Des émotions violentes, des impressions des "flashs" et des bribes de phrases. Tout a été reconstitué comme on reconstitue un puzzle. Je croyais trouver certaines pièces et d'autres se plaçaient "sous ma main". Il y a eu en dernier lieu une re-composition des textes. Je n'ai donc pas écrit de façon linéaire.
La mort est omniprésente dans votre roman, surtout au début. Cette fascination de votre narratrice était-elle un passage obligé pour retrouver sa filiation ?
Elle n'avait pas le choix. Son roman commence par la mort d'un enfant, c'est le fil conducteur de sa recherche ("c'est une âme que je poursuivais"), de sa quête identitaire à travers ces âmes, ses ancêtres et l'image du menuisier.
Malgré le caractère tragique des souvenirs évoqués et de la relation avec votre père, votre écriture reste toujours pudique, bien que bouleversante. Comment avez-vous travaillé ?
Il y a eu de longs moments de silence, deux, trois mois sans écrire. L'histoire se construisait dans ma tête. Je lâchais prise aussi, trouver le mot juste était ma préoccupation. Lorsque je me sentais prête, je prenais la plume. Il n'y a donc pas eu de véritable angoisse de la page blanche.
Comment se fait l’apprentissage du langage dans une famille où le silence domine ?
Par les livres. Et puis, on parle toute seule, dans sa tête. On se raconte des histoires. Et on parle tout haut ensuite, faisant les questions et les réponses.
Qualifieriez-vous Marie de « rêveuse »?
Oui, mais active aussi même si la rêverie fait partie intégrante de sa personnalité.
Vous dites « être entrée en lecture comme on entre en religion ». Pouvez-vous développer ?
La vie était dans les livres. Je croyais aux histoires. J'avais foi en elles comme en un Dieu. Elles disaient le vrai, le chemin.
Ce premier roman a –t-il été douloureux à écrire ?
Parfois très douloureux, certains mots étaient des larmes versées, notamment au moment de la description de la mort de René-Paul, (frère de la mère de la narratrice) ou de celle de Françou (frère du menuisier). Et puis il y a eu l'épilogue qui, après avoir été écrit d'un seul jet, a eu pour conséquences de provoquer un malaise chez la narratrice et une immobilisation de 3 heures. Mais il y a eu des moments de bonheur aussi que j'espère développer dans d'autres récits.