L'indicateur du présent

Interviews
Grand ancien de l'anticipation, fondateur du cyberpunk devenu chroniqueur suraigu de la technophilie dans notre monde post humain... William Gibson ferait passer les frères Bogdanoff pour des médiévistes. Le présent est-il le meilleur indice du futur ? Zone est allé coincer William Gibson entre deux lignes de codes. Input.

En popularisant la technologie, votre travail a contribué à installer la mode « geek ». Maintenant que les boutonneux à lunettes ont pris le contrôle d’Hollywood – Peter Jackson étant leur leader – et de l’industrie du jeu vidéo, vous sentez vous responsable ? Êtes vous un geek vous-même ?

En un sens, oui, je suis un geek. Mais en un sens seulement. D’un côté, il est vrai que j’ai grandi avec la science fiction et toute la culture populaire… et le sport ne me concernait pas. Mais je ne suis pas un geek au sens où je ne suis pas très très « technologie » au jour le jour. Je me suis toujours plus intéressé à ce que les hackers [Pirates d’Internet, NDLR] faisaient, portaient ou écoutaient, plutôt qu’à leur activité de hacking en elle-même.

En France, le dernier roman de Don DeLillo, L’homme qui tombe [Falling man, en VO] est sorti en même temps que le vôtre. Depuis Joueurs ou Neuromancien vos deux chefs d’œuvre, vos travaux respectifs portent sur la lecture des sociétés humaines, qu’elles soient réelles ou virtuelles. Vous sentez vous proche de lui intellectuellement ?

J’ai toujours apprécié le travail de Don DeLillo, qui est à la fois très intéressant et très motivant. Quand je pense à Don DeLillo, un autre nom beaucoup moins connu me vient tout de suite à l’esprit, celui de Steve Erickson [Non encore traduit en français à ce jour, NDLR].

Cela pourrait être une question « bateau » si vous n’étiez pas un écrivain d’avant garde : qui et quelles sont vos influences ?

Je pense que personne qui n’ait été correctement « influencé » ne pourrait complètement répondre à cette question. Tous les écrivains ont besoin d’influence mais basiquement, le plus est le mieux dans ce domaine. Un écrivain qui n’aurait été marqué que par quelques influences fortes serait réellement désavantagé. Quand j’étais plus jeune, je pensais que William Burroughs ou Thomas Pynchon était mes plus grandes influences, mais avec le recul je me rend compte que j’aurais seulement aimé être comparé à eux. Les influences directes, conscientes, ne sont pas une bonne chose, le processus d’influence doit être osmotique, le plus inconscient possible. Sinon, l’écrivain que j’ai le plus apprécié ces quinze dernières années est l’essayiste et romancier Britannique Iain Sinclair.

Avez vu déjà lu votre notice sur Wikipedia, l’encyclopédie libre sur Internet, ou "googlé" votre nom pour vérifier la véracité des informations ? Est-ce que le Gibson virtuel est conforme à l’humain ?

Je vérifie ma wikibio à chaque fois que je publie un bouquin, seulement pour voir dans quelles mesure elle a été réécrite dans l’intervalle. J’utilise également les alertes Google quand un livre sort : c’est le moyen le plus facile de consulter toutes les critiques qui en sont faites. Sinon, non.

Dans Code Source, un de vos personnages dit – pardonnez la traduction approximative : « Le cyberespace est en train de naître ». Si l’on suit les théories que vous développez, le GPS et le Wifi, en permettant de localiser chaque être humain et de lui convoyer des milliers d'octets d'informations géolocalisées si besoin, impliquera que chacun puisse vivre la réalité dans laquelle il évolue comme on change de chaine à la télé…

En fait, c’est plutôt « Le cyberspace est en train de se retourner sur lui-même »… et effectivement, ce n’est plus le cyberespace de Neuromancien. Il est en train de changer de devenir quelque chose d’autre. Jusqu’à une vingtaine d’année après la sortie de Neuromancien, le Cyberespace était un lieu éloigné, une autre sphère. Les choses ont changé : nous sommes « ailleurs » lorsque toute connectivité est absente – hors du tissu cellulaire des portables, hors du réseau Wifi, hors d’Internet. Notre vie sur Terre implique les téléphones portables, le Wifi, l’Internet : c’est notre monde désormais.

Quel est le sens caché du titre en anglais de votre dernier roman Spook country? Le titre français est Code source, en êtes vous satisfait ?

« Spook country », c’est de cette façon que les troupes améraines appelaient les coins du Viêtnam où ils savaient que les VC [Vietcongs, NDLR] se cachaient et attendaient quand ils ne pouvaient pas les trouver. Cela suggère une sorte de lieu hanté. « Spook » est aussi, en argot américain, un espion. Mais cela peut aussi suggérer que quelque chose – le vieil ideal d’une nation, peut-être ? – est mort en laissant autre chose à la place. Je suis très content du titre Code source utilisé pour les traductions françaises et allemandes. Comme Borges disait, il y a quelque chose dans une bonne traduction que vous ne pouvez pas retrouver dans l’original !

Dans dix ans, comment se déroulera notre entretien ? Nos deux avatars se rencontreront ils dans Third life ? Est-ce que mon hologramme viendra frapper à votre porte ?

J’en doute ! Je ne suis pas vraiment convaincu que les mondes virtuels et les avatars représentent réellement l’avenir. Il est plus probable que nous choisirons la manière douce en réalisant l’interview par vidéo en live par liaison entre nos deux portables. Mais vous et moi aurons certainement installé un petit logiciel cosmétique pour améliorer notre apparence. La chose que nos petits-enfants trouveront certainement le plus bizarre en pensant à nous est la distinction bornée que nous faisons entre le réel et le virtuel.

Ecrire des livres et les lire… Cette technologie est elle toujours adaptée ?

Les livres ont été le premier médium de masse. La technologie reste extrêmement efficace, même si cela prend pas mal de temps pour son apprentissage.

Si l’on en croit le Washington Post, vous êtes un « commentateur distrayant de présent chaotique et surprenant ». Etant donné que votre œuvre marche à rebours depuis vos débuts en remontant vers le présent, allez vous faire des romans médiévaux ou de l’heroic fantasy dans vos prochains romans ?

Je peux certainement m’imaginer écrire des romans historiques. L’Histoire peut être une discipline spéculative dans tous les cas ! Quand le présent ressemble tant à la science-fiction, les fictions les plus naturalistes ressemble évidemment à ce que nous pensions être de la science fiction.

Vos écrits sont ils sous-tendus par une théorie globale du monde ou vous placez vous juste du point de vue d’Orion pour raconteur avec objectivité?

J’écris pour trouver les questions que j’ai envie de poser plutôt que pour donner des réponses que j’ai déjà. Je ne crois pas aux réponses de manière générale. Que l’on ait ou pas une réponse, les questions n’ont pas de prix.

Question idiote: utilisez vous un ordinateur pour écrire ou un bon vieux stylo ?

J’utilise un traitement de tecte depuis la moitié de mon troisième roman. Ne pas écrire à l’ordinateur pour un écrivain actuel reviendrait pour un charpentier à n’utiliser que des outils manuels. Parfait si cela vous convient mais personellement je suis très mauvais pour taper un texte et j’écris très lentement : les ordinateurs me sont donc d’une grande aide.

En tant qu’écrivain de la modernité, quel regard jetez vous sur une littérature française qu’on accuse souvent – à tort ou à raison – de passéisme ?

Si je pouvais acheter des implants pour lire d’autres langues que la mienne sans efforts, je choisirais d’entrée de payer pour apprendre le Français et je serais prêt à payer cher. De ce que j’imagine, votre patrimoine littéraire national est le plus intéressant au monde. Mon second choix serait certainement le japonais. Mais j’avoue ne plus beaucoup lire, même en Anglais. Ecrire de la fiction et lire sont deux activités trop similaires à mon goût. Après une journée passée à écrire, une soirée de lecture ne m’attire plus autant qu’avant. Bien entendu avec une puce neuronale pour lire le français, cela changerait tout !

Laurent Simon


William Gibson
Ed.
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Last modified ondimanche, 19 avril 2009 14:53 Read 2230 times
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