Ornela Vorpsi: de l'Art !
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Retour avec grâce d'ornela Vorpsi, auteur d'un jolie doublé avec les sorties coup sur coup de Tessons roses et de Vert venin. La romancière, photographe n'a qu'un mot, l'esthétisme de/dans l'art.
Vous donnez à chacuns des deux titres de vos romans une couleur. Les avez-vous pensez comme un duo malgré leurs différences ?
Ornela Vorpsi : J’ai choisi ces deux titres, parce que je sortais les livres en même temps. Je voulais qu’ils se répondent à la manière de clignotants. En italien, Vert venin a un autre titre. La mano che non mordi, La main que tu ne peux pas mordre, c’est très difficile à traduire en français et comme je sortais Tessons roses en même temps, je voulais un lien logique entre les livres avec ces couleurs. D’ailleurs, il y a quelque chose de très important avec Vert venin, il ne s’agit pas du vert de migration, mais d’abord d’une couleur qui revenait dans le livre. Vert venin, les herbes, la couleur de l’abeille que porte la mère, la coulée du mal être, de la maladie. Une sorte de leitmotiv incessant dans le livre. Pour Tessons roses, c’était plus simple, la jeune fille parlait souvent de ce petit morceau de verre rose, avec lequel elle jouait avec d’autres filles à des jeux sexuels. Et puis comme j’avais choisi de faire des photos en noir et blanc, je voulais y mettre de la couleur.
Tessons roses est un récit illustré par vos photos, Vert venin est un roman fragmenté sur le voyage, deux livres graphiques. Comment les avez-vous construits ?
Il est vrai que Vert Venin n’est pas orthodoxe. J’ai essayé d’en faire une composition graphique. Il y a d’abord une colonne vertébrale linéaire coupée par plusieurs segments. La construction m’est venue d’une manière instinctive, assez organique. J’avais envie de faire un livre de voyage contre le voyage, sur quelqu’un qui n’aime pas trop voyager mais qui est obligé de se déplacer. Je voulais confronter ce personnage avec le genre humain qui, contrairement à lui, adore se déplacer avec cette sensation que les merveilles se trouvent toujours plus loin, dans cet ailleurs qui n’existe pas. J’ai pensé Vert Venin, comme un voyage horizontale, entre Paris-Sarajevo, Sarajevo-Paris et coupé par des voyages dans les réminiscences, les souvenirs. Tessons roses est une petite histoire à laquelle je tenais beaucoup. Quand on lit un livre, on se fait toute une scénographie dans sa tête et j’avoue avoir un léger despotisme car je ne voulais pas laisser trop de place au lecteur. C’est pour cela que la narration est ponctuée de photos, elles permettent de tracer le chemin. Si je n’avais pas illustré le livre, le lecteur se serait fait ses propres images alors que je voulais jouer avec lui. Tessons Roses a finalement un côté ludique.
Quel a été le point de départ de cette colonne vertébrale dont vous parliez ?
J’ai écrit Vert venin pour plusieurs petites choses qui m’étaient très chères. Et à partir de ces détails j’ai conçu tout le livre. Par exemple, le mouvement des objets dans le tiroir, j’ai toujours été fascinée par ces mouvements sans qu’on s’en rende compte. Il était aussi important pour moi de savoir comment on pouvait devenir voleur, la naïveté des enfants lorsqu’ils veulent jouir de tout. Tout comme la scène à Rome : un chien mange des boulettes de viande, une scène qui va complètement changer le destin d’un couple albanais qui s’étonnera de voir comment un chien peut manger des boulettes alors qu’en Albanie, on n’a pas la culture des animaux. Pour Tessons roses, je voulais écrire sur la sexualité entre petites filles. Chaque personne devenue adulte cherche à oublier la sexualité son de l’enfance. En grandissant on oublie tout ça. Je voulais parler de ces êtres qui ne sont pas éduqués et pas formatés. Des personnes qui subissent simplement la loi de la nature. On ne peut donc pas les condamner de perversion. C’est un terrain où il n’y a pas d’hommes.
Un livre sur le voyage, un autre écrit en résidence, où est-ce que vous écrivez ?
Tessons rose est différent de Vert venin. Je l’ai écrit durant trois mois et demi de canicule terrifiante au Japon à la Villa Kujoyama où j’étais en résidence. Je suis restée cloitrée à cause de la chaleur, condamnée à écrire… Quand je voyage, je suis perdue, dans l’anonymat. Le temps ne passe pas, je ne sais pas quoi faire. J’ai un vrai problème avec le déplacement et la nouveauté. Le début de Vert venin je l’ai véritablement écrit à Sarajevo. Pendant des jours, j’étais gênée par le lieu qui me rappelait de manière étonnante l’Albanie. Je me suis enfermée dans l’hôtel pour écrire sur le voyage. Il y a des rencontres que j’y ai faite, qui se retrouvent dans le livre. Pourtant tout n’est pas autobiographique.
Justement vos précédents romans étaient marqués par une forte empreinte autobiographique alors que les suivants semblent développer un peu plus la fiction...
Si on prend un beau visage et qu’on met une lumière des années trente, on obtiendra une Marlène Dietrich, si on place une lumière en dessous, on aura un vampire. L’autobiographie existe jusqu’à ce que la manipulation littéraire défigure ou colore le récit. Je ne suis pas tout à fait une pure auteure de fiction car j’ai besoin de choses vraies. J’ai besoin d’un vrai partage. C’est ce que j’attend aussi des livres que je lis. J’ai besoin du partage quand je lis un livre. C’est pour cette raison que j’aime le roman qui me fait réfléchir et la narration toute simple, même bien faite ne me suffit plus. Il me faut des romans qui pensent. Pour aller ailleurs, on est souvent bombardé d’histoires, à travers la télévision, les rencontres qu’on fait.
Romancière, photographe, vous développez toujours un travail sur l’esthétisme, quel regard portez-vous sur l’art aujourd’hui ?
Il faut que l’art retrouve son terrain. Je continue de travailler sur l’art et donc sur la photo en prenant beaucoup de distance avec l’art contemporain. Je le dis souvent en interview, mais je trouve qu’il y a trop d’abus dans l’art contemporain. Il y a des engagements politiques sans profondeur. Ce qui m’agace beaucoup. Je trouve très étonnant le fait que la provocation marche toujours. Marcel Duchamp l’a fait dans les années vingt. On parle toujours du travail de Sophie Calle, que c’est une grande artiste mais ça ne me suffit pas de voir en photo ses cadeaux d’anniversaire accumulés. On les dit subversifs, ça ne me suffit pas. Par exemple aujourd’hui, un artiste dit à un individu peu cultivé de regarder une poubelle d’une autre façon, mais moi si je vois déjà la poubelle d’une autre façon, qu’est-ce qu’il a à me proposer cet artiste ? Il faut revenir sur des vraies valeurs, des vraies notions parce que l’être humain a besoin de ça ; on oublie l’esthétisme. La beauté m’est très chère et on doit la communiquer. Le partage est l’unique consolation de la vie.
Photo: Sebastien Dolidon
Charles Patin_O_Coohoon
Tessons rose et Vert venin
Ornela Vorpsi
Ed.
0 p / 0 €
ISBN:
Vous donnez à chacuns des deux titres de vos romans une couleur. Les avez-vous pensez comme un duo malgré leurs différences ?
Ornela Vorpsi : J’ai choisi ces deux titres, parce que je sortais les livres en même temps. Je voulais qu’ils se répondent à la manière de clignotants. En italien, Vert venin a un autre titre. La mano che non mordi, La main que tu ne peux pas mordre, c’est très difficile à traduire en français et comme je sortais Tessons roses en même temps, je voulais un lien logique entre les livres avec ces couleurs. D’ailleurs, il y a quelque chose de très important avec Vert venin, il ne s’agit pas du vert de migration, mais d’abord d’une couleur qui revenait dans le livre. Vert venin, les herbes, la couleur de l’abeille que porte la mère, la coulée du mal être, de la maladie. Une sorte de leitmotiv incessant dans le livre. Pour Tessons roses, c’était plus simple, la jeune fille parlait souvent de ce petit morceau de verre rose, avec lequel elle jouait avec d’autres filles à des jeux sexuels. Et puis comme j’avais choisi de faire des photos en noir et blanc, je voulais y mettre de la couleur.
Tessons roses est un récit illustré par vos photos, Vert venin est un roman fragmenté sur le voyage, deux livres graphiques. Comment les avez-vous construits ?
Il est vrai que Vert Venin n’est pas orthodoxe. J’ai essayé d’en faire une composition graphique. Il y a d’abord une colonne vertébrale linéaire coupée par plusieurs segments. La construction m’est venue d’une manière instinctive, assez organique. J’avais envie de faire un livre de voyage contre le voyage, sur quelqu’un qui n’aime pas trop voyager mais qui est obligé de se déplacer. Je voulais confronter ce personnage avec le genre humain qui, contrairement à lui, adore se déplacer avec cette sensation que les merveilles se trouvent toujours plus loin, dans cet ailleurs qui n’existe pas. J’ai pensé Vert Venin, comme un voyage horizontale, entre Paris-Sarajevo, Sarajevo-Paris et coupé par des voyages dans les réminiscences, les souvenirs. Tessons roses est une petite histoire à laquelle je tenais beaucoup. Quand on lit un livre, on se fait toute une scénographie dans sa tête et j’avoue avoir un léger despotisme car je ne voulais pas laisser trop de place au lecteur. C’est pour cela que la narration est ponctuée de photos, elles permettent de tracer le chemin. Si je n’avais pas illustré le livre, le lecteur se serait fait ses propres images alors que je voulais jouer avec lui. Tessons Roses a finalement un côté ludique.
Quel a été le point de départ de cette colonne vertébrale dont vous parliez ?
J’ai écrit Vert venin pour plusieurs petites choses qui m’étaient très chères. Et à partir de ces détails j’ai conçu tout le livre. Par exemple, le mouvement des objets dans le tiroir, j’ai toujours été fascinée par ces mouvements sans qu’on s’en rende compte. Il était aussi important pour moi de savoir comment on pouvait devenir voleur, la naïveté des enfants lorsqu’ils veulent jouir de tout. Tout comme la scène à Rome : un chien mange des boulettes de viande, une scène qui va complètement changer le destin d’un couple albanais qui s’étonnera de voir comment un chien peut manger des boulettes alors qu’en Albanie, on n’a pas la culture des animaux. Pour Tessons roses, je voulais écrire sur la sexualité entre petites filles. Chaque personne devenue adulte cherche à oublier la sexualité son de l’enfance. En grandissant on oublie tout ça. Je voulais parler de ces êtres qui ne sont pas éduqués et pas formatés. Des personnes qui subissent simplement la loi de la nature. On ne peut donc pas les condamner de perversion. C’est un terrain où il n’y a pas d’hommes.
Un livre sur le voyage, un autre écrit en résidence, où est-ce que vous écrivez ?
Tessons rose est différent de Vert venin. Je l’ai écrit durant trois mois et demi de canicule terrifiante au Japon à la Villa Kujoyama où j’étais en résidence. Je suis restée cloitrée à cause de la chaleur, condamnée à écrire… Quand je voyage, je suis perdue, dans l’anonymat. Le temps ne passe pas, je ne sais pas quoi faire. J’ai un vrai problème avec le déplacement et la nouveauté. Le début de Vert venin je l’ai véritablement écrit à Sarajevo. Pendant des jours, j’étais gênée par le lieu qui me rappelait de manière étonnante l’Albanie. Je me suis enfermée dans l’hôtel pour écrire sur le voyage. Il y a des rencontres que j’y ai faite, qui se retrouvent dans le livre. Pourtant tout n’est pas autobiographique.
Justement vos précédents romans étaient marqués par une forte empreinte autobiographique alors que les suivants semblent développer un peu plus la fiction...
Si on prend un beau visage et qu’on met une lumière des années trente, on obtiendra une Marlène Dietrich, si on place une lumière en dessous, on aura un vampire. L’autobiographie existe jusqu’à ce que la manipulation littéraire défigure ou colore le récit. Je ne suis pas tout à fait une pure auteure de fiction car j’ai besoin de choses vraies. J’ai besoin d’un vrai partage. C’est ce que j’attend aussi des livres que je lis. J’ai besoin du partage quand je lis un livre. C’est pour cette raison que j’aime le roman qui me fait réfléchir et la narration toute simple, même bien faite ne me suffit plus. Il me faut des romans qui pensent. Pour aller ailleurs, on est souvent bombardé d’histoires, à travers la télévision, les rencontres qu’on fait.
Romancière, photographe, vous développez toujours un travail sur l’esthétisme, quel regard portez-vous sur l’art aujourd’hui ?
Il faut que l’art retrouve son terrain. Je continue de travailler sur l’art et donc sur la photo en prenant beaucoup de distance avec l’art contemporain. Je le dis souvent en interview, mais je trouve qu’il y a trop d’abus dans l’art contemporain. Il y a des engagements politiques sans profondeur. Ce qui m’agace beaucoup. Je trouve très étonnant le fait que la provocation marche toujours. Marcel Duchamp l’a fait dans les années vingt. On parle toujours du travail de Sophie Calle, que c’est une grande artiste mais ça ne me suffit pas de voir en photo ses cadeaux d’anniversaire accumulés. On les dit subversifs, ça ne me suffit pas. Par exemple aujourd’hui, un artiste dit à un individu peu cultivé de regarder une poubelle d’une autre façon, mais moi si je vois déjà la poubelle d’une autre façon, qu’est-ce qu’il a à me proposer cet artiste ? Il faut revenir sur des vraies valeurs, des vraies notions parce que l’être humain a besoin de ça ; on oublie l’esthétisme. La beauté m’est très chère et on doit la communiquer. Le partage est l’unique consolation de la vie.
Photo: Sebastien Dolidon
Charles Patin_O_Coohoon
Tessons rose et Vert venin
Ornela Vorpsi
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Last modified ondimanche, 19 avril 2009 23:48
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