Mister Dalloway

Interviews
Jérôme Lambert s’est fait remarquer en 2003 avec un joli premier livre surfant avec l’autofiction, La Mémoire neuve (ed.l’Olivier), une dose de poésie et quelques grammes de finesse en plus. En janvier, il a surpris son monde avec Finn Prescott, deuxième roman réussi dans la droite lignée des auteurs anglais victoriens, plein de délicatesse et d’ironie. Version courte, il raconte le bilan d’une vie ratée. Version longue, il questionne le fait de grandir, l’amitié, l’amour, la création, la singularité. Ca tombe bien, on avait envie d’en parler avec lui…

Zone-litteraire : Voici votre incipit : « la première fois que j’ai entendu parler de Finn Prescott, c’était la veille de son enterrement ». Il y a ce titre de la poétesse anglaise Sylvia Plath Le jour où Monsieur Prescott est mort. Hasard ou filiation ?

Jérome Lambert : En fait, je me suis fait rattraper par ce titre. Je voulais que mon roman parle d’une personne, d’un destin quel qu’il soit. Comcernant juste l’onomastique, j’ai choisi Finn au hasard, j’avais rencontré quelqu’un qui portait ce prénom que je trouvais joli. Pour le patronyme, j’aime effectivement beaucoup Sylvia Plath, et j’ai donc pris le nom de ce personnage qui donne le titre à son recueil de nouvelles. Ca c’était la situation au début de l’élaboration du roman, il y a presque trois ans.
J’écris le livre et puis soudain je me tourne vers des écrivains qui n’ont rien à voir avec Sylvia Plath, des auteurs victoriens, James, Warthon ou pré-victorien comme Jane Austeen. J’avais envie de raconter, d’être dans le pur récit du roman, moi c’est ce que j’aime en tant que lecteur. Je me suis inspiré d'Ethan Frome d’Edith Warthon pour introduire l’histoire de Finn Prescott et j’ai donc commencé par son enterrement. C’est seulement en ouvrant le premier jeu d’épreuves de mon roman que j’ai réalisé à quel point ma phrase initiale était proche du titre de Sylvia Plath. J’ai trouvé ça finalement très cohérent et je me suis dit : ne changeons rien !

La vie de Sylvia Plath est un paradoxe entre son désir de s’affranchir de sa condition de femme par l’écriture et son aspiration à être une femme au foyer accomplie. Ce même type de désirs contradictoires agite Finn Prescott : par exemple sa vocation ratée de pianiste (il devient médecin). Similitude volontaire ?

Tout est raté chez Prescott ! En revanche, la proximité entre Plath et lui est une fausse piste. Le parallèle est cependant juste au sens où Finn se pose en permanence la question de la création sous toutes ses formes, artistique, médicale. Il est dans la projection permanente de ce qu’il doit être, veut être. Et puis à force, il se heurte sans cesse au vide, à ce qu’il n’arrive pas à être.

Pour en revenir aux auteurs victoriens, vous les avez toujours lus ?

Edith Wharton, c’est un auteur que j’ai beaucoup lu adolescent puis plus, notamment parce que travaillant dans l’édition, je me suis abreuvé de littérature contemporaine. Au moment de la mise en écriture de ce roman, je me suis rendu compte que j’avais envie d’un retour aux classiques dans mes lectures personnelles : Herman Melville, Edith Wharton, Henri James… Jane Austen, par exemple, je m’y suis mis – et je le dis sans honte! – après la vision du film adapté d’Orgueil et préjugés. Bref, c’est un peu un concours de circonstances. Edith Wharton, j'ai lu l’œuvre intégrale, je me suis immergé non seulement dans son écriture mais aussi dans son siècle, son époque, son milieu social... La lecture des romans victoriens a donc été comme un élan, mais aussi la Rose pourpre et le lys de Michel Faber, pastiche assumé du roman victorien. J’ai trouvé l'exercice très fort, au sens littéraire du terme.

Ils ont donc été des modèles pour la rédaction de Finn Prescott ?

Le roman victorien a moins été un modèle qu’un tremplin, pour me dire qu’en fait on pouvait raconter autre chose que ce qui était le cas de la Mémoire Neuve, et de bien d’autres romans, soit la fameuse autofiction française dont on ne sort pas depuis cinq ans. Je n’avais pas spécialement envie de m’en démarquer mais je savais en revanche que je n’en avais plus envie en tant qu’écrivain. J’avais envie de raconter une histoire, d’écrire à la troisième personne, de difracter la fameuse question de l’autobiographie, de la projection de l’écrivain dans son personnage. C’était un exercice très ludique, parce qu’expérimental, parce qu’aussi j’ai la chance d’avoir un éditeur qui me laisse aller à mon rythme, sans me presser « parce que sinon on va t’oublier dans les pages livres de Elle » !
Du coup, j’ai travaillé à une première mouture du roman pendant un an : confronter deux personnages, devenus Tomas et Finn, à des retrouvailles. Que fait-on de quelqu’un qu’on a pas vu depuis dix ans, dont on a été très proche ? A-t-on quelque chose à se dire ? Si oui lesquelles ? Si non, pourquoi on n’a rien à se dire ? Et puis une nécessité est née chez moi de savoir qui était finalement ce Finn Prescott. C’est alors que le virage victorien a eu lieu.

Qu’est-ce que vous aimez chez ces auteurs ?

Avant tout, l’élégance, qu’elle soit stylistique ou sentimentale. Je trouve très touchant la façon de dire les sentiments agitant ces hommes, ces femmes, couples et familles, d'exprimer cette violence - car c’est forcément violent aussi - de façon élégante. J’aime cette élégance qui n’exprime jamais la frontalité avec la violence des sentiments, de la société. Je trouve ces auteurs très « consolateurs » par rapport à la brutalité du monde en général. L’écriture est pour moi l’espace qui se prête le mieux à l’expression de cette forme de douleur au monde.
Il y a aussi la générosité de ces textes et de ces auteurs, ainsi Wharton qui a l’air de parler d’une aristocratie fin de race new-yorkaise alors qu’elle parle de tout le monde et qu’il faut vraiment pas vouloir le voir pour la réduire à cela. Enfin l’humour, le sarcasme, la légèreté du ton qui m’ont vraiment aidé quand j’écrivais Finn Prescott, cet art anglo-saxon de la chute, par exemple les emballements de Finn sur son destin romanesque, qui sont saqués face au réel. J’ai essayé cependant de ne pas être dans la cruauté à la Flaubert, de préserver une sorte de douceur et de bienveillance envers mes personnages, mais ca m’intéresse quand même de leur dire « Du calme ! Rien de grave » !

Vous racontez la vie de Prescott, qui à 40 ans est un peu l’homme aux illusions perdues. Il fait le temps d’une nuit le bilan de sa vie ratée avec Tomas, ancien camarade de fac croisé par hasard. Tomas aussi se dit déçu par sa vie car il aurait aimé être « unique ». Cette singularité par rapport aux autres : posture de héros
romanesque ou un désir propre à notre société ?


Ce n’est pas un hasard si j’ai écrit Finn Prescott après mon premier texte, bien plus autocentré. Même si je n’aime pas ce mot, je pense qu’on peut quand même parler de « tendance » d’aujourd’hui à vouloir exister dans la singularité. Créer est devenu l'expression d’une volonté d’accomplissement.
On peut de fait y voir un alter ego au héros romantique qui a un destin à accomplir. Mais cette action doit se faire noblement or, chez Finn, ce sont toujours par de pauvres moyens. Par exemple il se dit « quels sont les gens qui s’accomplissent ? Les artistes, alors je serai artiste ». Je doute personnellement que les vrais artistes se le disent, c’est une nécessité pour eux. Je pense qu’il y a quelque chose de biaisé dans notre modernité, dans cette idée de « je veux être célèbre ou riche » sans penser à ce qu’on veut être intimement. C’est précisément le mur que se prend Finn dès son adolescence.

Les critiques ont souvent parlé de votre roman comme d’un roman d’apprentissage...

C’est un type de roman qui m’a beaucoup construit à l’âge où j’en avais justement besoin, soit l’adolescence, où on a besoin de s’identifier à quelqu’un, quelque chose, peut-être pas un modèle, mais un possible de vie. Concernant les romans d’apprentissage, je pense que beaucoup de romans le sont, Moby Dick par exemple en est un à partir du moment où on découvre un personnage au début du livre qui a changé à la fin, le lecteur aussi doit en ressortir changé. Autre exemple,Le Grand Meaulnes, reste l'histoire d'un parcours. Avec Finn Prescott j’ai plus voulu faire un bilan qu’un parcours, même si lui ne cesse d’évoluer en apparence ; il fonctionne de fait à l'inverse du roman d’apprentissage où on peut apprendre, devenir soi-même sur 500 metres ; au contraire, Prescott voyage, il s’interroge des années et il en ressort en ayant rien appris ni de lui ni du monde.

Dans La Mémoire Neuve, où on est, comme vous le disiez, dans l’autofiction. Il est surtout beaucoup question d’amitié et c’est aussi le cas dans Finn Prescott…

Oui, bien sûr, j’ai d’ailleurs un de mes romans en jeunesse qui s’appelle Meilleur ami. Ce qui m’intéresse dans l’amitié, c’est l’absence de frontière, pas dans la perversion, mais dans l’ambiguïté au sens beauvoirien du terme, c’est à dire là où il y a un flou : on a pas à questionner cette zone, qui n’est ni gênante, ni excitante, elle est saine. Dans la Mémoire Neuve l’amitié était présente mais plus sous la forme des liens familiaux de cette bande de cousins, toute cette meute assez informe dans les sentiments….

Ce n’est pas parce qu’on est cousins qu’on est amis…

Pas forcément. Mais c’est cet espèce d’âge d’or où on est empli d’amour au sens propre encore plus pour des gens qui sont de la même famille, les personnalités sont dessinées de façon très vague, on aime spontanément. Et puis arrive ce Clément qui vient foutre sa merde ! Pour Finn Prescott, je l’ai dit, le point de départ était l’amitié, les retrouvailles d’une amitié qui fut très forte. Que fait-on de cette amitié qui a cessé d’exister ? On essaie de la ressusciter ? Après, Tomas a-t-il été amoureux de Finn ? Ont-ils couché ensemble ? Moi je m’en fous mais si ça intéresse quelqu’un tant mieux ! Cela veut dire qu’il y a des zone de suspens et de non-dits, qui sont ce qui m’intéresse le plus dans la lecture et l’écriture.

Justement parlons-en, de ces zones de « blancs », il y en a beaucoup dans votre premier roman, aussi dans Finn. Et pourtant, bien que vous soyez dans un récit de l’intime, ces suspensions dans votre écriture sont comme une mise à distance
de votre part. Ou volonté de faire travailler le lecteur ?


Bien sûr, c’est ça. C'est pas drôle si on raconte tout ! Moi par exemple, les thrillers, j'aime bien sans être fan : je trouve stimulant, excitant pour un lecteur ou spectateur de chercher, mais on a quand même la solution à la fin. Dans Finn Prescott, les réponses ne sont pas données. J’aime bien pouvoir projeter le fantasme, au sens large du terme, dans la lecture que je fais d’un roman. Il y a des choses évidentes, écrites noir sur blanc, et puis après le reste ! C’est là qu’on mesure si un auteur est généreux, selon la place qu’il vous laissera en tant que lecteur. C’est pour ça que je parle des auteurs victoriens en ces termes même si chez eux tout est extrêmement cadré. Ils ont pourtant créé autour de leurs livres une communauté de lecteurs et j’aime rencontrer les gens qui aiment les mêmes livres que moi. Former un cercle de lecteurs, c’est ce dont parle Geneviève Brisac dans sa préface à un roman que j’adore, Laura Willowes de Sylvia Townsend Warner. En tant qu’écrivain je cherche à susciter cela chez le lecteur, même si je n’en serai jamais témoin. Savoir ce que les lecteurs ont pensé de mon livre, cela me touche infiniment, savoir ce qu’ils échangent entre eux sur ce que j’ai écrit est un vrai bonheur.

Une chose qui frappe dans vos livres, c’est l’image des parents dans l’incompréhension qu’ils ont de l’enfant qui grandit, absents mentalement, sensiblement. L'impression que chez vous l’apprentissage se fait plus par les rencontres que par la famille.

En effet, je crois qu’il est indispensable et salvateur de marquer la rupture. Après, chacun peut la vivre de façon violente ou sereine. Il y a un moment où les parents accompagnent, mais quand l’enfant cesse d’être un enfant, on rentre justement dans la phase d’apprentissage, selon moi avec l’extérieur.
Dans les romans, les parents sont des personnages qui me touchent énormément quand ils sont sensiblement décrits. Les parents de Finn par exemple sont dans l’incapacité totale d’accepter qui est leur fils et en même temps il y a cette scène que j’ai voulu comme un contre-pied où le père dit à Finn de prendre soin de lui. Les parents sont désarmés par ce que leur enfant devient quelqu’un qui leur échappe et surtout sur qui ils n’ont pas de prise, ne peuvent plus consoler alors qu’en réalité ces adultes n’ont plus besoin d’être consolés en tant qu’enfant mais en tant qu’adulte… Il y a une zone assez tragique où il n’y a plus de rencontre possible entre parents et enfants. Attention, je ne parle pas de génération mais de filiation.


Pour finir, vos personnages dans les deux romans tiennent beaucoup de Mrs Dalloway ...

C’est étrange parce que j’ai l’impression de connaître Virginia Woolf : j’en ai lu des petits bouts mais plutôt ses essais, beaucoup de gens autour de moi m’en ont parlé, des gens pour qui c’est un auteur fondateur, et pourtant je n’ai jamais lu ses romans ni nouvelles.
Je crois que c’est parce qu’assez jeune je me suis bloquée sur Virginia Woolf dont je trouvais l’écriture ardue, la lecture difficile. Si on m’avait dit alors que Woolf était dans le même « stream of consciousness » que Joyce ou Proust, j’aurai plongé dedans, sauf que je ne l’ai pas fait. Je n’ai toujours pas lu Les Heures, Mrs Dalloway, etc. Alors que tous les gens qui en parlent, les préfaces sur elle, les préfaces de Virginia Woolf elle-même sur des auteurs que j’aime, chaque fois me disent : mais c’est ça pour toi l’écriture, ça la lecture… Je n’ai pas encore rencontré cet écrivain. Mais j'y viendrais !

Photo: Sebastien Dolidon

Maïa Gabily

Finn Prescott
Jérôme Lambert
Ed. L'Olivier
191 p / 16 €
ISBN: 2879295411
Last modified ondimanche, 19 avril 2009 22:53 Read 2906 times