Xabi Molia: reprise des échanges en milieu tempéré
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C’est en voisin, détendu et souriant, que Xabi Molia vient parler de son quatrième livre. Prise de contact plutôt pacifique autour de Reprise des hostilités. Où il est question de littérature évidemment, mais aussi de voyages et de politique…
Reprise des hostilités, Supplément aux mondes inhabités. De façon générale, vous semblez accorder un soin particulier aux titres. Comment doit-on prendre le dernier?
J’ai mis beaucoup de temps à le trouver. Selon moi, un titre doit avoir deux qualités : se suffire à lui-même comme une proposition en même temps qu’il multiplie les pistes de lecture. Je ne peux donc pas clore la signification du titre mais l’on retrouve dans le livre, entre autres, le motif de la répétition : d’une vie terrestre au paradis, d’un certain nombre de motifs littéraires. Par rapport au combat politique ensuite, il y a quelque chose qui fait retour sous une forme légèrement différente : les hostilités reprennent mais dans un autre cadre.
Marin, dans votre dernier roman, Victor dans le précédent, vos héros semblent toujours en déshérence, quelque peu inaptes à nouer des relations constructives avec les autres. Faut-il y voir l’expression d’un mal-être générationnel ?
Ce sont des personnages qui expriment un mal-être existentiel qui est effectivement assez répandu aujourd’hui et qui repose sur une sorte de décalage, que je trouve très romanesque, entre le désir et l’action. Mais ce sont aussi des types de personnages que l’on trouve dans des livres que j’aime beaucoup. En cela, je n’ai fait que transporter des personnages que l’on trouve chez Flaubert ou chez Kafka, c’est-à-dire des personnages irrésolus, et qui se heurtent à des situations de malentendus, de gêne. Je trouve assez intéressantes certaines situations extraordinaires à partir du moment où elles arrivent à des gens ordinaires.
Je pense aussi que la civilisation actuelle fait de nous des êtres romanesques dans notre façon de percevoir la vie. On nous propose en permanence une multitude de parcours possibles, de voies vers une autre existence. On n’est certainement pas tous aussi mythomanes que mes personnages mais l’on partage tous ce penchant à imaginer une autre vie. Sauf qu’il est extrêmement difficile de franchir le pas. C’était encore plus vrai du personnage de mon précédent roman, qui mentait vraiment, mais c’est aussi un peu vrai de Marin qui s’imagine la fin du monde, devenir peut-être scénariste de cinéma, la jeune fille idéale, etc…
Vos romans semblent véhiculer une vision assez pessimiste de l’homme qui ne serait qu’un « supplément » totalement superflu, rompant l’harmonie de la nature.
Cette dernière phrase de Supplément aux mondes inhabités était un emprunt, une citation du Paris-match de l’époque sur Neil Armstrong. Je ne suis donc pas totalement en accord avec elle. Cela dit, j’ai relu récemment une phrase de Lévi Strauss : « Le monde a commencé sans l’homme et finira sans lui » et ce n’est pas extrêmement éloigné de ce que je peux penser. Je ne sais pas si c’est vraiment du pessimisme. Je ne le prends pas encore au sérieux. Je crée des personnages pessimistes avant tout parce qu’ils sont fondamentalement drôles, une source de jubilation.
D’où néanmoins le souci permanent de s’évader, d’échapper au monde qui nous entoure tel qu’il est. Vous imaginez ainsi un paradis d’un genre assez particulier.
Quand j’ai voulu imaginer le paradis, je me suis dis qu’il devait ressembler à ce à quoi la majorité des gens aspirent : une vie dépourvue de souci matériel, comme un grand club de vacances… Mais l’on y meurt aussi au bout d’un temps ; ce n’est qu’une transition. Cela est dû au fait que je ne suis pas du tout croyant et il me semblait plus intéressant de penser que la vie après la mort n’était pas un espèce d’infini de l’ennui mais une période de récompense en fait assez brève dont il faut profiter au maximum.
Quelle qu’en soit la forme, le souci d’évasion semble récurrent. Cette recherche d’un ailleurs transparaît aussi bien dans vos titres que dans les références fréquentes à la Lune, au paradis, comme un souci de créer sa propre géographie du monde.
Cette récurrence est certainement liée à l’idée de concevoir un peu la littérature comme un espace et donc de nommer des livres comme on peut nommer des lieux ou désigner une place à ce qu’on fait. Le contraire du lieu, mon recueil de poésie, s’attache à désigner la poésie comme un acte qui n’a pas de place assignée, de non lieu permanent. Il est vrai aussi que j’ai un imaginaire exotique car je voyage beaucoup et tous ces mondes lunaires et souterrains m’intéressent.
A la fin du livre figure une liste d’auteurs qui vous ont inspiré pour l’écriture de ce texte. Constituent-ils un héritage littéraire que vous souhaitez prolonger ou plutôt rompre ?
Il n’a été possible d’écrire pour moi qu’à partir du moment où j’ai vu qu’il était possible de réécrire, de faire une œuvre singulière à partir des textes des autres. C’est la thématique de mon roman Fourbi, qui est celle de la reprise, du pastiche.
Exposer la dimension littéraire d’un texte c’est aussi signaler que ce livre est constitué de références. Je trouve intéressant de les reprendre consciemment et de m’en démarquer plus consciemment aussi. Et même si je ne suis pas le seul à faire de tels emprunts, au final, la combinaison que j’en fais demeure singulière. Il peut toutefois m’arriver de refuser des textes qui sont trop proches de ceux que je veux faire. Par exemple, quand j’ai terminé la première version de Reprise des hostilités, sortait Au piano de Jean Echenoz, qui y parcourt un peu le même territoire que moi. Cela m’a évidemment déstabilisé mais ce n’est pas oppressant dans la mesure cela arrive en permanence. Il faut plutôt y voir un moyen d’établir des échos.
La filiation avec Houellebecq est systématiquement établie lorsque l’on présente votre oeuvre? Vous y reconnaissez-vous ?
Ce qui est un peu dommage, c’est qu’on a l’impression que c’est lui qui a inventé l’idée d’un roman français avec une idée observatrice ou descriptive du monde. Il l’a peut-être remis au goût du jour en rompant avec une forme du roman un peu plus fermé sur lui-même (autofiction ou expérimentation). Mais c’est oublier que Houellebecq lui-même est dans une filiation qui est celle, réaliste, du roman français du XIXè siècle. Cela dit, le rapprochement ne me gêne pas plus que ça parce que je pense que Houellebecq ça a de la valeur. Mais j’ai une préoccupation qui, j’espère, fera que l’on me distinguera de lui. C’est l’idée que dans la banalité de l’existence, il puisse d’introduire de l’extravagance et notamment une imagination nourrie de désirs. Je m’intéresse à la façon dont la fiction peut s’introduire dans la vie des gens. Tout cela est très proche de Jean-Philippe Toussaint qui raconte des histoires de jeunes hommes qui sont très velléitaires et à qui il n’arrive jamais rien.
Le thème du politique, sous-jacent dans les précédents romans, est central dans celui-ci avec le personnage de Bel, un populiste en puissance. Faut-il voir dans votre livre une sorte de manifeste ou du moins de mise en garde à l’intention des candidats actuels ?
Non, je ne crois pas qu’il y ait quelque chose de l’ordre du message, ni de la prophétie car je ne crois pas que, actuellement, l’écriture ait tant de pouvoir. Quand la littérature est messagère, elle a d’ailleurs tendance à m’ennuyer. Mais j’ai été interpellé par deux faits politiques qui m’ont fait réaliser qu’il se passait des choses dont il me semblait important de rendre compte : le retour et la métamorphose d’un certain populisme qui est beaucoup plus insidieux, masqué, mais qui possède une certaine légitimité parce qu’il se coule dans des formes respectables.
En France, j’avais été particulièrement frappé par les alliances qui avaient été faites au moment des régionales du milieu des années 90 entre la droite traditionnelle et l’extrême droite pour gagner des conseils régionaux. Ensuite, il y a la droite de Berlusconi, qui est populiste, incohérente. A la différence des fascistes, ce ne sont pas des idéologues, mais plutôt des aventuriers de la politique. Ils sondent l’opinion et utilisent des peurs, des désirs, capables d’en changer selon les opportunités – ce qui est le cas de Bel qui essaye d’abord d’exploiter l’image traditionnelle de la France avant de se tourner vers l’art contemporain pour se forger une image plus jeune. La situation que je décris est à l’heure actuelle totalement fictive car il n’y a pas en France une droite populiste qui se situerait entre une droite traditionnelle et une extrême droite beaucoup plus idéologique comme celle de Le Pen. Mais ce genre de partis existe en Italie et dans d’autres pays d’Europe…
Là encore c’est donc le potentiel romanesque des situations et des personnages qui vous a orienté vers ces personnages plutôt que la volonté de délivrer un message ?
Ce qui m’a beaucoup intéressé est le type de langage développé par ces hommes politiques. Cela peut produire des discours très inventifs car ce sont un peu des discours "attrape-tout" : des néologismes, des références littéraires mal digérées, du latin, de l’argot. Mon personnage est ainsi rempli de contradictions : mal dégrossi et nourri de diverses références.
J’ai eu moi-même une expérience de militantisme dans l’association Ral’front, dont je me suis inspiré pour décrire le fonctionnement d’une association militante. Mais j’en suis sorti extrêmement déçu parce qu’on était dans la diabolisation de l’adversaire et l'utilisation de clichés idéologiques inopérants. Nous ne sommes plus menacés par le fascisme. Il n’y a pas à hésiter sur le combat mais il se situe sur un terrain éminemment plus complexe parce qu’il nous confronte à des personnages qui mélangent des élans de générosité, une très grande dureté verbale, la stigmatisation, l’espoir et des mesures sociales et répressives. Ils sont beaucoup plus intéressants d’un point de vue romanesque car ils ne sont pas intégralement détestables. J’ai tenté de reprendre cette idée avec Joseph Bel. Je voulais qu’au fil des pages, le lecteur glisse d’un personnage à un autre, qu’il ait des côtés troublants parce qu’on se rend compte qu’il y a pire que lui.
La deuxième partie du roman s’intitule « Histoire des vaincus » . Or, ce sont plutôt des hommes de l’ombre qui ressortent. Passerait-on à côté des héros réels de l’histoire ou tels qu’ils nous sont présentés par une certaine réalité historique ?
J’ai la passion des oubliés, des farfelus, des extravagants qui ont eu des grandes idées qui n’ont mené à rien. Si, avec la littérature, je peux faire honneur à leur mémoire, c’est plutôt une belle occasion. Mais il y a aussi un jeu avec le lecteur pour démêler le vrai du faux. Certaines anecdotes sont totalement vraies et d’autres non. Mais tout est écrit avec le même degré de fiabilité. C’est donc au lecteur d’adopter une attitude de méfiance. Pour moi un roman n’est pas un livre de vérité. Cette capacité à produire du faux sous les apparences du vrai est quelque chose que j’ai trouvé chez Georges Perec. C’est une façon de signifier ce qu’est la littérature par rapport à d’autres discours. Contrairement au discours des sectes ou des politiques, qui recourent au langage de la certitude, le romancier est dans le questionnement permanent. Ce qui requiert de la part du lecteur une distance, un état de vigilance. Un livre doit être suspect d’inutilité.
On peut trouver dans votre écriture un emprunt à la méthode cinématographique du montage (utilisation des fragments, des sauts temporels). Vous avez d’ailleurs réalisé quelques courts-métrages. Avez-vous souhaité établir un dialogue entre les deux arts ?
La technique des allers-retours, le mode de narration par des scènes en fragments est quelque chose qui est déjà pratiqué dans beaucoup de livres. Je n’ai pas eu l’impression de faire un emprunt particulier au cinéma en la matière.
En revanche, je suis autant influencé par les films que j’ai vus que par les livres que j’ai lus. Par exemple, Supplément aux mondes inhabités était une sorte de variation sur Taxi driver. Mais je crois à une indépendance de deux mediums. J’aime l’idée qu’un roman ne soit pas adaptable et qu’un film ne vaille que par lui-même.
Photo: Sebastien Dolidon
Laurence Bourgeon
Reprise des hostilités
Xabi Molia
Ed. Le Seuil
352 p / 19 €
ISBN: 2020888080
Reprise des hostilités, Supplément aux mondes inhabités. De façon générale, vous semblez accorder un soin particulier aux titres. Comment doit-on prendre le dernier?
J’ai mis beaucoup de temps à le trouver. Selon moi, un titre doit avoir deux qualités : se suffire à lui-même comme une proposition en même temps qu’il multiplie les pistes de lecture. Je ne peux donc pas clore la signification du titre mais l’on retrouve dans le livre, entre autres, le motif de la répétition : d’une vie terrestre au paradis, d’un certain nombre de motifs littéraires. Par rapport au combat politique ensuite, il y a quelque chose qui fait retour sous une forme légèrement différente : les hostilités reprennent mais dans un autre cadre.
Marin, dans votre dernier roman, Victor dans le précédent, vos héros semblent toujours en déshérence, quelque peu inaptes à nouer des relations constructives avec les autres. Faut-il y voir l’expression d’un mal-être générationnel ?
Ce sont des personnages qui expriment un mal-être existentiel qui est effectivement assez répandu aujourd’hui et qui repose sur une sorte de décalage, que je trouve très romanesque, entre le désir et l’action. Mais ce sont aussi des types de personnages que l’on trouve dans des livres que j’aime beaucoup. En cela, je n’ai fait que transporter des personnages que l’on trouve chez Flaubert ou chez Kafka, c’est-à-dire des personnages irrésolus, et qui se heurtent à des situations de malentendus, de gêne. Je trouve assez intéressantes certaines situations extraordinaires à partir du moment où elles arrivent à des gens ordinaires.
Je pense aussi que la civilisation actuelle fait de nous des êtres romanesques dans notre façon de percevoir la vie. On nous propose en permanence une multitude de parcours possibles, de voies vers une autre existence. On n’est certainement pas tous aussi mythomanes que mes personnages mais l’on partage tous ce penchant à imaginer une autre vie. Sauf qu’il est extrêmement difficile de franchir le pas. C’était encore plus vrai du personnage de mon précédent roman, qui mentait vraiment, mais c’est aussi un peu vrai de Marin qui s’imagine la fin du monde, devenir peut-être scénariste de cinéma, la jeune fille idéale, etc…
Vos romans semblent véhiculer une vision assez pessimiste de l’homme qui ne serait qu’un « supplément » totalement superflu, rompant l’harmonie de la nature.
Cette dernière phrase de Supplément aux mondes inhabités était un emprunt, une citation du Paris-match de l’époque sur Neil Armstrong. Je ne suis donc pas totalement en accord avec elle. Cela dit, j’ai relu récemment une phrase de Lévi Strauss : « Le monde a commencé sans l’homme et finira sans lui » et ce n’est pas extrêmement éloigné de ce que je peux penser. Je ne sais pas si c’est vraiment du pessimisme. Je ne le prends pas encore au sérieux. Je crée des personnages pessimistes avant tout parce qu’ils sont fondamentalement drôles, une source de jubilation.
D’où néanmoins le souci permanent de s’évader, d’échapper au monde qui nous entoure tel qu’il est. Vous imaginez ainsi un paradis d’un genre assez particulier.
Quand j’ai voulu imaginer le paradis, je me suis dis qu’il devait ressembler à ce à quoi la majorité des gens aspirent : une vie dépourvue de souci matériel, comme un grand club de vacances… Mais l’on y meurt aussi au bout d’un temps ; ce n’est qu’une transition. Cela est dû au fait que je ne suis pas du tout croyant et il me semblait plus intéressant de penser que la vie après la mort n’était pas un espèce d’infini de l’ennui mais une période de récompense en fait assez brève dont il faut profiter au maximum.
Quelle qu’en soit la forme, le souci d’évasion semble récurrent. Cette recherche d’un ailleurs transparaît aussi bien dans vos titres que dans les références fréquentes à la Lune, au paradis, comme un souci de créer sa propre géographie du monde.
Cette récurrence est certainement liée à l’idée de concevoir un peu la littérature comme un espace et donc de nommer des livres comme on peut nommer des lieux ou désigner une place à ce qu’on fait. Le contraire du lieu, mon recueil de poésie, s’attache à désigner la poésie comme un acte qui n’a pas de place assignée, de non lieu permanent. Il est vrai aussi que j’ai un imaginaire exotique car je voyage beaucoup et tous ces mondes lunaires et souterrains m’intéressent.
A la fin du livre figure une liste d’auteurs qui vous ont inspiré pour l’écriture de ce texte. Constituent-ils un héritage littéraire que vous souhaitez prolonger ou plutôt rompre ?
Il n’a été possible d’écrire pour moi qu’à partir du moment où j’ai vu qu’il était possible de réécrire, de faire une œuvre singulière à partir des textes des autres. C’est la thématique de mon roman Fourbi, qui est celle de la reprise, du pastiche.
Exposer la dimension littéraire d’un texte c’est aussi signaler que ce livre est constitué de références. Je trouve intéressant de les reprendre consciemment et de m’en démarquer plus consciemment aussi. Et même si je ne suis pas le seul à faire de tels emprunts, au final, la combinaison que j’en fais demeure singulière. Il peut toutefois m’arriver de refuser des textes qui sont trop proches de ceux que je veux faire. Par exemple, quand j’ai terminé la première version de Reprise des hostilités, sortait Au piano de Jean Echenoz, qui y parcourt un peu le même territoire que moi. Cela m’a évidemment déstabilisé mais ce n’est pas oppressant dans la mesure cela arrive en permanence. Il faut plutôt y voir un moyen d’établir des échos.
La filiation avec Houellebecq est systématiquement établie lorsque l’on présente votre oeuvre? Vous y reconnaissez-vous ?
Ce qui est un peu dommage, c’est qu’on a l’impression que c’est lui qui a inventé l’idée d’un roman français avec une idée observatrice ou descriptive du monde. Il l’a peut-être remis au goût du jour en rompant avec une forme du roman un peu plus fermé sur lui-même (autofiction ou expérimentation). Mais c’est oublier que Houellebecq lui-même est dans une filiation qui est celle, réaliste, du roman français du XIXè siècle. Cela dit, le rapprochement ne me gêne pas plus que ça parce que je pense que Houellebecq ça a de la valeur. Mais j’ai une préoccupation qui, j’espère, fera que l’on me distinguera de lui. C’est l’idée que dans la banalité de l’existence, il puisse d’introduire de l’extravagance et notamment une imagination nourrie de désirs. Je m’intéresse à la façon dont la fiction peut s’introduire dans la vie des gens. Tout cela est très proche de Jean-Philippe Toussaint qui raconte des histoires de jeunes hommes qui sont très velléitaires et à qui il n’arrive jamais rien.
Le thème du politique, sous-jacent dans les précédents romans, est central dans celui-ci avec le personnage de Bel, un populiste en puissance. Faut-il voir dans votre livre une sorte de manifeste ou du moins de mise en garde à l’intention des candidats actuels ?
Non, je ne crois pas qu’il y ait quelque chose de l’ordre du message, ni de la prophétie car je ne crois pas que, actuellement, l’écriture ait tant de pouvoir. Quand la littérature est messagère, elle a d’ailleurs tendance à m’ennuyer. Mais j’ai été interpellé par deux faits politiques qui m’ont fait réaliser qu’il se passait des choses dont il me semblait important de rendre compte : le retour et la métamorphose d’un certain populisme qui est beaucoup plus insidieux, masqué, mais qui possède une certaine légitimité parce qu’il se coule dans des formes respectables.
En France, j’avais été particulièrement frappé par les alliances qui avaient été faites au moment des régionales du milieu des années 90 entre la droite traditionnelle et l’extrême droite pour gagner des conseils régionaux. Ensuite, il y a la droite de Berlusconi, qui est populiste, incohérente. A la différence des fascistes, ce ne sont pas des idéologues, mais plutôt des aventuriers de la politique. Ils sondent l’opinion et utilisent des peurs, des désirs, capables d’en changer selon les opportunités – ce qui est le cas de Bel qui essaye d’abord d’exploiter l’image traditionnelle de la France avant de se tourner vers l’art contemporain pour se forger une image plus jeune. La situation que je décris est à l’heure actuelle totalement fictive car il n’y a pas en France une droite populiste qui se situerait entre une droite traditionnelle et une extrême droite beaucoup plus idéologique comme celle de Le Pen. Mais ce genre de partis existe en Italie et dans d’autres pays d’Europe…
Là encore c’est donc le potentiel romanesque des situations et des personnages qui vous a orienté vers ces personnages plutôt que la volonté de délivrer un message ?
Ce qui m’a beaucoup intéressé est le type de langage développé par ces hommes politiques. Cela peut produire des discours très inventifs car ce sont un peu des discours "attrape-tout" : des néologismes, des références littéraires mal digérées, du latin, de l’argot. Mon personnage est ainsi rempli de contradictions : mal dégrossi et nourri de diverses références.
J’ai eu moi-même une expérience de militantisme dans l’association Ral’front, dont je me suis inspiré pour décrire le fonctionnement d’une association militante. Mais j’en suis sorti extrêmement déçu parce qu’on était dans la diabolisation de l’adversaire et l'utilisation de clichés idéologiques inopérants. Nous ne sommes plus menacés par le fascisme. Il n’y a pas à hésiter sur le combat mais il se situe sur un terrain éminemment plus complexe parce qu’il nous confronte à des personnages qui mélangent des élans de générosité, une très grande dureté verbale, la stigmatisation, l’espoir et des mesures sociales et répressives. Ils sont beaucoup plus intéressants d’un point de vue romanesque car ils ne sont pas intégralement détestables. J’ai tenté de reprendre cette idée avec Joseph Bel. Je voulais qu’au fil des pages, le lecteur glisse d’un personnage à un autre, qu’il ait des côtés troublants parce qu’on se rend compte qu’il y a pire que lui.
La deuxième partie du roman s’intitule « Histoire des vaincus » . Or, ce sont plutôt des hommes de l’ombre qui ressortent. Passerait-on à côté des héros réels de l’histoire ou tels qu’ils nous sont présentés par une certaine réalité historique ?
J’ai la passion des oubliés, des farfelus, des extravagants qui ont eu des grandes idées qui n’ont mené à rien. Si, avec la littérature, je peux faire honneur à leur mémoire, c’est plutôt une belle occasion. Mais il y a aussi un jeu avec le lecteur pour démêler le vrai du faux. Certaines anecdotes sont totalement vraies et d’autres non. Mais tout est écrit avec le même degré de fiabilité. C’est donc au lecteur d’adopter une attitude de méfiance. Pour moi un roman n’est pas un livre de vérité. Cette capacité à produire du faux sous les apparences du vrai est quelque chose que j’ai trouvé chez Georges Perec. C’est une façon de signifier ce qu’est la littérature par rapport à d’autres discours. Contrairement au discours des sectes ou des politiques, qui recourent au langage de la certitude, le romancier est dans le questionnement permanent. Ce qui requiert de la part du lecteur une distance, un état de vigilance. Un livre doit être suspect d’inutilité.
On peut trouver dans votre écriture un emprunt à la méthode cinématographique du montage (utilisation des fragments, des sauts temporels). Vous avez d’ailleurs réalisé quelques courts-métrages. Avez-vous souhaité établir un dialogue entre les deux arts ?
La technique des allers-retours, le mode de narration par des scènes en fragments est quelque chose qui est déjà pratiqué dans beaucoup de livres. Je n’ai pas eu l’impression de faire un emprunt particulier au cinéma en la matière.
En revanche, je suis autant influencé par les films que j’ai vus que par les livres que j’ai lus. Par exemple, Supplément aux mondes inhabités était une sorte de variation sur Taxi driver. Mais je crois à une indépendance de deux mediums. J’aime l’idée qu’un roman ne soit pas adaptable et qu’un film ne vaille que par lui-même.
Photo: Sebastien Dolidon
Laurence Bourgeon
Reprise des hostilités
Xabi Molia
Ed. Le Seuil
352 p / 19 €
ISBN: 2020888080
Last modified ondimanche, 19 avril 2009 22:52
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