À corps défendant
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Dans Rouler, un homme prenait le volant pour fuir son quotidien. Simon, qui est au Cœur du problème, opte pour une sédentarité pas forcément plus confortable. Flirtant avec le roman policier, Christian Oster interroge une fois de plus la difficulté de se confronter au quotidien, de trouver sa place dans une réalité qui échappe parfois, de plus en plus…
Conférencier à ses heures, Simon rentre chez lui, comme tous les jours lorsqu’il travaille, s’apprêtant à retrouver Diane, sa femme. Un programme simple, qui va sa femme se trouver perturbé par une rencontre imprévue : celle d’un inconnu, qui gît dans son salon, mort. Et lorsque Simon trouve Diane, recluse dans la salle de bains, il doit se contenter de son mutisme. Tant en ce qui concerne la nature de la relation qu’elle entretenait avec l’homme trépassé, qu’en ce qui concerne les circonstances à l’origine de ce tragique événement. Ce silence va d’ailleurs se prolonger puisqu’une fois habillée, sa femme quitte le domicile avec une seule exigence : qu’il ne lui pose pas de questions. Ainsi l’abandonne-t-elle, seul avec ce corps, supputant certainement qu’il saura s’en occuper. C’est beaucoup pour un seul homme. Et c’est beaucoup pour le lecteur qui pourrait avoir du mal à accorder son crédit à tant d’apparentes incongruités concentrées dans ces à peine vingt premières pages. C’est pourtant ce qui le tient, d’emblée. Car si les faits relèvent a priori du banal roman de genre (crime passionnel et énigme policière à la clef), les réactions des protagonistes échappent à toute convention, les prenant volontiers à rebours. Ainsi, à peine Simon a-t-il réalisé que Diane le trompait qu’il se voit exiger compassion et sollicitude de la part de cette femme, certes lasse et fatiguée, mais tout de même première récipiendaire légitime de reproches ou d’interrogations... Et lui qui n’a jamais fait de mal à une mouche se retrouve avec un cadavre sur les bras. Ce qu’il semble accepter avec une résignation placide un tantinet déconcertante. Tout ceci exposé dans une langue si simple, si fluide, que ces événements semblent s’enchaîner naturellement, évacuant par là-même tout soupçon d’invraisemblance.
Whodunnit ?
La question du whodunnit étant écartée, c’est sur la résolution de l’intrigue, si fuyante soit-elle, que se concentre Christian Oster. La disparition de la femme passe rapidement au second plan, devenant plutôt un alibi, voire un élément de langage permettant à Simon de justifier sa solitude vis-à-vis de son entourage plutôt qu’un réel problème de cœur. L’inversion, la contagion de la culpabilité devient alors la principale question. Car à partir du moment où il ne dénonce pas Diane qu’il sait pertinemment coupable, Simon en devient automatiquement le complice. D’autant plus qu’il franchit la barrière de l’omission en prenant en charge le corps… La mécanique enclenchée s’accélère à partir du moment où Simon décide d’aller signaler la disparition de sa femme à la police. Accueilli par un gendarme bienveillant, sur le point de prendre sa retraite, il est persuadé de dominer la situation. Certainement conscient de jouer avec le feu, mais satisfait à l’idée de le maîtriser – ayant peut-être ainsi l’impression de reprendre le contrôle sur une vie qui semble lui échapper depuis quelques jours – Simon baisse un peu la garde. L’amitié apparemment gratuite qui s’installe entre les deux hommes augure en réalité d’un duel subtil, moucheté, symboliquement initié par une partie de tennis… Un duel essentiellement verbal et psychologique, certes moins disert que celui offert par un Mankiewicz dans son Limier par exemple, mais qui n’a rien à lui envier en matière de tension. Dans les silences, les non-dits, les supputations et les évidentes suspicions qu’ils maitrise et dissémine à merveille, Christian Oster tisse en effet irrémédiablement sa toile autour du lecteur. Car dans le sillage de Simon – seul personnage dont on sait à peu près tout – l’on se doute, l’on pressent, l’on guette sans cesse les dérapages, l’on détecte quelques indices de folie, mais l’on ne voit finalement rien venir. Tout tient à la limpidité de la langue, à l’apparente simplicité des situations qui demeurent quotidiennes dans leur étrangeté, à l’enchaînement des petites phrases anodines habilement intriquées les unes dans les autres, pour mieux nous perdre avec talent. Quelle est la morale ? Y a-t-il une morale ? Doit-il y en avoir ? N’est-il pas plutôt question de fatalité ? Simon ne semble plus savoir ce qu’il cherche. Il se pourrait que d’autres le trouvent pour lui. Nous y compris…
Le Cœur du problème
Christian Oster
Éditions de l’Olivier
192 p. - 17€