Révolte ou révolution?
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Leonard Vincent est un homme du monde. Après un récit paru en 2012, Les Érythréens, c’est au-delà des frontières grecques et en territoire romanesque qu’il nous entraîne aujourd’hui dans les pas de Max, le « héros » d’Athènes ne donne rien.
La crise économique frappe la planète, et l’Europe en particulier. C’est une banalité de le dire. Essais, pamphlets, appels à la révolte et mouvements protestataires en réaction à cette situation ne cessent de fleurir. Aussi n’est-il certainement pas inutile de décaler le regard et de lorgner du côté de la littérature afin de voir si elle s’interroge sur cet état, et comment elle peut s’emparer d’un tel sujet. Car derrière les chiffres et les polémiques surgies quant à l’analyse des tendances et aux tentatives d’inversion de certaines courbes, il y a bel et bien des hommes, qui en subissent les conséquences de plein fouet, tentent de résister, souffrent souvent, se disloquent parfois. Autant d’humeurs, de réactions et d’émotions que seul le recours à la subjectivité offert par la littérature peut tenter d’approcher au plus juste et au plus sensible.
Ainsi Yannick Haenel installait-il à la rentrée dernière ses Renards pâles dans un territoire parisien, géographiquement réaliste, mais factuellement – du moins en partie - fantasmé. Telles des vigies, ou des lucioles clignotant dans un monde déclinant, ses personnages prônaient une radicalisation du discours, une insurrection révolutionnaire et urbaine comme solution unique pour un changement réel et une amélioration potentielle.
C’est également dans la rue que Léonard Vincent choisit de se poster pour observer les rumeurs, les fureurs et les effets de la situation économique. Mais n’oubliant pas que toute révolution implique - au sens propre - un mouvement, il déplace son (anti)-héros à Athènes, métropole violemment affectée, qui a en outre, la particularité d’être considérée comme le berceau de la démocratie et par conséquent propice au surgissement de l’expression populaire a priori en toute liberté.
Donner, recevoir ?
Ainsi la crise est-elle avant tout une expérience physique qui se sent, se ressent, se palpe et s’observe au quotidien. Max le constate dès son arrivée. Sa démarche n’est pas d’abord politique. Il cherchait avant tout à fuir une ville, un milieu, un microcosme parisien dans lequel il ne trouvait plus sa place. Par un concours de circonstances, de réseaux de connaissances subrepticement réactivés, mais néanmoins également mû par une certaine curiosité citoyenne, le voici en route pour Athènes. Autant en quête d’un vent nouveau que d’une meilleure connaissance de lui-même. Tenter une maïeutique in situ en quelque sorte.
La tentation de l’introspection s’avérera toutefois de courte durée tant Max se trouve d’emblée happé par le chaos et la violence environnante. Arpenteur du jour et de la nuit, passant de mains en mains et de bras en bras, il se livre en quelques jours à un décryptage anatomique de la Grèce exsangue, dans une chaleur étouffante qui ne fait qu’accroître la tension.
En chemin, il fera l’expérience de la différence, prendra conscience du fait qu’il peut également être l’étranger d’un autre et s’initiera furtivement aux rudiments des techniques de guérilla urbaine. Tandis qu’autour de lui tout suinte, explose, exulte, exhume comme autant de symptômes et de déclencheurs de l’urgence environnante qui incite à vivre chaque instant comme s’il était le dernier. Athènes ne donne rien n’est donc nullement une lecture paisible. Expérience physique, autant que politique, cet ouvrage nous interroge sur la possibilité d’une adéquation entre révolution personnelle et révolution collective.
Et si Athènes ne donne rien, ni pour elle-même ni à ceux qui s’y invitent, est-ce de la faute de la cité ou de ceux qui, à l’image de Max et de nombreux citoyens du monde contemporain occidental, souffrent d’un déficit de capacité à recevoir ? Quand l’argent vient à manquer, se pose en effet la question de la survie, mais encore faut-il être prêt à recevoir ce qui nous est offert. Se dessine ainsi en contrepoint une éthique du don, sans contrepartie, petite révolution à échelle personnelle qui pourrait transformer en profondeur nos relations aux autres…
Faut-il préférer la révolte à la résignation ? Telle peut être une clef delecture de cet ouvrage. Ceux qui attendraient une réponse ferme et définitive s’en trouveraient cependant déçus, Léonard Vincent se gardant bien de plaquer tout jugement moral sur son Max après lui avoir fait tâter des deux. Car s’il peut sembler démissionnaire dans son exil, c’est riche d’une épiphanie humainement constructive qu’il décide de se rapatrier, et, sans doute, devenir un autre. Anti-manuel d’économie, ce roman capte la vie au plus près, délivrant un compte-rendu sensoriel, suffocant et stimulant de ces épisodes de tension. Preuve qu’une révolution se fomente, se décrète, puis éclate, se vit et s’expérimente. Rappelant ainsi qu’une flamme est toujours prête à être rallumée.
Athènes ne donne rien
Léonard Vincent
Éditions des Équateurs
205 p. – 18 Euros