Rencontre avec Richard Morgieve
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N'êtes vous pas "hors du temps" ? Cet intimisme de chaque page…
C'est vrai que je me situe en dehors de ces nouvelles vagues d'écrivains, probablement parce que j'écris depuis plus longtemps, que nous poursuivons des objectifs différents et que je ne suis pas "médiatique" sauf depuis peu, mais cela est tout à fait involontaire.
Constatez-vous une évolution marquée de votre style ? L'avez-vous "découvert" ?
L'écrivain, comme chacun, n'est pas un être unique, je veux dire par là statique. Mon écriture évolue au fil de ma carrière et des événements déterminants de mon existence. L'histoire de ma vie personnelle et celle de ma vie professionnelle sont une et indissociables ; ce qui marque la sphère intime conditionne tout le reste, c'est à dire mon activité d'écrivain.
Publier deux romans au sein d'une rentrée abondante : pari, calcul ou folie ?
Publier deux ouvrages l'un après l'autre n'est absolument pas stratégique. Je me suis simplement rendu compte, lorsque j'ai terminé Ma vie folle fin 1999, que rien n'était terminé, à peine commencé. Alors 3 mois après je me suis mis à Ton corps, qui en est la continuité logique et le point d'aboutissement. Ces 2 livres sont une mise à nu qui était indispensable.
Vous avez fait le choix de tout exprimer. Aucune pudeur ?
L'écrivain dit la vérité mais tout ne peut être exposé en lumière, il est normal que certaines choses restent dans l'ombre. Il faut bien protéger les enfants, par exemple, les préserver.
Vous vous prétendez " orphelin deux fois ".
Je le suis : mon histoire personnelle, l'amour. Et je suis persuadé de la prédominance de l'héritage familial sur l'être et le devenir de chacun. C'est pourquoi j'essaie de transmettre autre chose que ce que moi j'ai reçu. Mais l'enfant peut être à la fois la castration du père, la séparation du couple lorsqu'il se sépare du corps de la mère…
Miroir de l'alternance de ce livre : récit et réflexivité du corps pour et par lui-même ?
Le choix de narration est particulier puisqu'il alterne l'évocation de la rupture et celles du corps marqué qui se libère ou tente de se libérer de ses flétrissures et des stigmates de la souffrance. Ce dualisme retrace l'histoire même du corps dans sa conception judéo-chrétienne, séparé de la pensée et de la conscience, réduit à l'état d'enveloppe sans valeur.
Vous souhaitiez donc refléter la dichotomie subie par la quasi totalité de notre société…
Une dichotomie de nature religieuse et qui est néfaste à l'homme. La rationalisation pure et la primauté du mental ont parfois conduit à de grandes catastrophes.
Une dichotomie qui se révèle fatale ?
Les allers et retours du corps au rappel de la rupture montrent cette constante oscillation entre ce qu'on devrait faire pour oublier et avancer, et que ce nous pouvons faire. Il y a constante opposition entre les deux et souvent impossibilité de faire ce qui nous est le plus bénéfique.
Mais la conscience est aussi indispensable au dépassement de l'épreuve…
Elle doit parfois être abandonnée pour que le corps soit retrouvé face à la douleur. Ensuite seulement Conscience et Corps peuvent être réunis. J'en ai rencontré peu qui savent s'allier en et avec eux-mêmes pour exprimer cette harmonie. Qui est et entièrement incarné ? On déteste presque tous nos imperfections, les cicatrices de nos corps et les marques du temps…
Tu es le temps… Cela peut signifier : l'acceptation du temps, son refus (tuer le temps) ou une complicité fataliste (se divertir pour l'éviter).
Toutes les définitions sont bonnes. La langue française nous permet de jouer sur tant de registres parlants à l'autre, à celui qui écoute. Ma voix, mes mots, les sensations, et tout ce qui vient à ma plume veut être partagé, est destiné à être entendu.
Et avez-vous l'impression d'être en-temps-dû ?
Depuis quelques années, j'ai enfin l'impression d'aller à la rencontre d'une oreille qui est je pense plus attentive à ce que je peux raconter. L'écrivain est un être en colère, un artiste qui veut exprimer ce qu'il porte en lui, qui jette sur le papier sa vérité à l'instant qu'il choisit.
Cette colère : on la sent très présente à certains passages de votre livre…
Je maîtrise ma violence. C'est très difficile de dominer la colère, la jalousie aussi.
Cela ne va-t-il pas contre la liberté et la spontanéité première du corps recherchée ?
La violence est retournée contre soi, contre le corps qui est la manifestation de soi la plus tangible, pour ne pas faire mal à l'autre. C'est nécessaire même si le mouvement spontané du corps est brimé, sinon on pourrait devenir de véritables meurtriers… Il faut parvenir à une certaine connexion de la totalité du corps à celle de l'esprit.
Le vide, la connexion, la nourriture physique et spirituelle… Une forme d'anorexie ?
Oui, j'écris comme l'anorexique éprouve le besoin de remplir, qui se sent désespérément vide, à en hurler. Un vide à combler mais qui conduit souvent à l'écœurement…
Fin du couple : fin ou faim de soi ?
La rencontre avec cette femme à la fin de Ton corps sous-tend l'impossibilité de trouver une unité autre qu'en soi-même : seul le partage de la tendresse et la douceur est envisageable dans l'histoire vécue avec elle. La fusion avec l'autre n'aboutit pas à cette totalité à laquelle on aspire. Mais finalement je préfère rester morcelé et amoureux plutôt que total et seul.
Et cette ligne blanche dont vous scindez le corps quand celui-ci recherche un équilibre ?
Cette ligne imaginaire qui partage le corps peut être en effet à double sens : reflétant la symétrie donc la totalité, et en même temps un équilibre précaire, relatif à ce fil sur lequel le funambule danse, entouré de vides… L'équilibre que l'on pense atteindre est toujours fragile.
Vous dites que " l'écriture c'est l'innocence retrouvée… "
Ecrire c'est toute ma vie, ma raison, mon avant, le bientôt. Tout…
Des projets ?
Après un roman je suis vidé. A bout de souffle. Alors les projets pour l'instant…
D'autres choses à ajouter ?
L'écriture c'est guérir soi, c'est aider l'autre. Ecrire doit permettre d'avancer en soi et vers soi, de reconstituer son Je, et si cela doit permettre d'aider celui qui vous lit.
Jessica Nelson
Richard Morgieve
Ed.
0 p / 0 €
ISBN:
C'est vrai que je me situe en dehors de ces nouvelles vagues d'écrivains, probablement parce que j'écris depuis plus longtemps, que nous poursuivons des objectifs différents et que je ne suis pas "médiatique" sauf depuis peu, mais cela est tout à fait involontaire.
Constatez-vous une évolution marquée de votre style ? L'avez-vous "découvert" ?
L'écrivain, comme chacun, n'est pas un être unique, je veux dire par là statique. Mon écriture évolue au fil de ma carrière et des événements déterminants de mon existence. L'histoire de ma vie personnelle et celle de ma vie professionnelle sont une et indissociables ; ce qui marque la sphère intime conditionne tout le reste, c'est à dire mon activité d'écrivain.
Publier deux romans au sein d'une rentrée abondante : pari, calcul ou folie ?
Publier deux ouvrages l'un après l'autre n'est absolument pas stratégique. Je me suis simplement rendu compte, lorsque j'ai terminé Ma vie folle fin 1999, que rien n'était terminé, à peine commencé. Alors 3 mois après je me suis mis à Ton corps, qui en est la continuité logique et le point d'aboutissement. Ces 2 livres sont une mise à nu qui était indispensable.
Vous avez fait le choix de tout exprimer. Aucune pudeur ?
L'écrivain dit la vérité mais tout ne peut être exposé en lumière, il est normal que certaines choses restent dans l'ombre. Il faut bien protéger les enfants, par exemple, les préserver.
Vous vous prétendez " orphelin deux fois ".
Je le suis : mon histoire personnelle, l'amour. Et je suis persuadé de la prédominance de l'héritage familial sur l'être et le devenir de chacun. C'est pourquoi j'essaie de transmettre autre chose que ce que moi j'ai reçu. Mais l'enfant peut être à la fois la castration du père, la séparation du couple lorsqu'il se sépare du corps de la mère…
Miroir de l'alternance de ce livre : récit et réflexivité du corps pour et par lui-même ?
Le choix de narration est particulier puisqu'il alterne l'évocation de la rupture et celles du corps marqué qui se libère ou tente de se libérer de ses flétrissures et des stigmates de la souffrance. Ce dualisme retrace l'histoire même du corps dans sa conception judéo-chrétienne, séparé de la pensée et de la conscience, réduit à l'état d'enveloppe sans valeur.
Vous souhaitiez donc refléter la dichotomie subie par la quasi totalité de notre société…
Une dichotomie de nature religieuse et qui est néfaste à l'homme. La rationalisation pure et la primauté du mental ont parfois conduit à de grandes catastrophes.
Une dichotomie qui se révèle fatale ?
Les allers et retours du corps au rappel de la rupture montrent cette constante oscillation entre ce qu'on devrait faire pour oublier et avancer, et que ce nous pouvons faire. Il y a constante opposition entre les deux et souvent impossibilité de faire ce qui nous est le plus bénéfique.
Mais la conscience est aussi indispensable au dépassement de l'épreuve…
Elle doit parfois être abandonnée pour que le corps soit retrouvé face à la douleur. Ensuite seulement Conscience et Corps peuvent être réunis. J'en ai rencontré peu qui savent s'allier en et avec eux-mêmes pour exprimer cette harmonie. Qui est et entièrement incarné ? On déteste presque tous nos imperfections, les cicatrices de nos corps et les marques du temps…
Tu es le temps… Cela peut signifier : l'acceptation du temps, son refus (tuer le temps) ou une complicité fataliste (se divertir pour l'éviter).
Toutes les définitions sont bonnes. La langue française nous permet de jouer sur tant de registres parlants à l'autre, à celui qui écoute. Ma voix, mes mots, les sensations, et tout ce qui vient à ma plume veut être partagé, est destiné à être entendu.
Et avez-vous l'impression d'être en-temps-dû ?
Depuis quelques années, j'ai enfin l'impression d'aller à la rencontre d'une oreille qui est je pense plus attentive à ce que je peux raconter. L'écrivain est un être en colère, un artiste qui veut exprimer ce qu'il porte en lui, qui jette sur le papier sa vérité à l'instant qu'il choisit.
Cette colère : on la sent très présente à certains passages de votre livre…
Je maîtrise ma violence. C'est très difficile de dominer la colère, la jalousie aussi.
Cela ne va-t-il pas contre la liberté et la spontanéité première du corps recherchée ?
La violence est retournée contre soi, contre le corps qui est la manifestation de soi la plus tangible, pour ne pas faire mal à l'autre. C'est nécessaire même si le mouvement spontané du corps est brimé, sinon on pourrait devenir de véritables meurtriers… Il faut parvenir à une certaine connexion de la totalité du corps à celle de l'esprit.
Le vide, la connexion, la nourriture physique et spirituelle… Une forme d'anorexie ?
Oui, j'écris comme l'anorexique éprouve le besoin de remplir, qui se sent désespérément vide, à en hurler. Un vide à combler mais qui conduit souvent à l'écœurement…
Fin du couple : fin ou faim de soi ?
La rencontre avec cette femme à la fin de Ton corps sous-tend l'impossibilité de trouver une unité autre qu'en soi-même : seul le partage de la tendresse et la douceur est envisageable dans l'histoire vécue avec elle. La fusion avec l'autre n'aboutit pas à cette totalité à laquelle on aspire. Mais finalement je préfère rester morcelé et amoureux plutôt que total et seul.
Et cette ligne blanche dont vous scindez le corps quand celui-ci recherche un équilibre ?
Cette ligne imaginaire qui partage le corps peut être en effet à double sens : reflétant la symétrie donc la totalité, et en même temps un équilibre précaire, relatif à ce fil sur lequel le funambule danse, entouré de vides… L'équilibre que l'on pense atteindre est toujours fragile.
Vous dites que " l'écriture c'est l'innocence retrouvée… "
Ecrire c'est toute ma vie, ma raison, mon avant, le bientôt. Tout…
Des projets ?
Après un roman je suis vidé. A bout de souffle. Alors les projets pour l'instant…
D'autres choses à ajouter ?
L'écriture c'est guérir soi, c'est aider l'autre. Ecrire doit permettre d'avancer en soi et vers soi, de reconstituer son Je, et si cela doit permettre d'aider celui qui vous lit.
Jessica Nelson
Richard Morgieve
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Last modified onmardi, 21 avril 2009 23:24
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