Tarek Issaoui : Ici, là-bas et au-delà
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Si l'on délivre un précieux secret à des hommes qui ne veulent pas spécifiquement le connaître, qu'en font-ils ? A cette question aux allures universelles, Tarek Issaoui répond dans Bleu univers, son dernier roman : des bibelots pendus aux rétroviseurs des taxis. Tarek Issaoui arrive avec un grand sourire derrière lequel déborde une personnalité étonnante. On lui pardonne aisément son retard : Lorsqu'on tutoie un peu trop les étoiles, ça peut devenir difficile de se repérer sur cette bonne vieille Terre. La tête dans les nuages, Tarek ? Plutôt dans un ciel bleu nuit voire black.
Zone littéraire: Les scientifiques se comptent sur les doigts d'une main dans la littérature française... Comment est né ce roman ?
Tarek Issaoui: Je suis passé par l'Ecole polytechnique et j'ai gravité un peu dans le monde matheux et des physiciens. J'ai notamment un bon ami qui fait suprêmement des maths et pour moi ce type était un « personnage ». Je voulais partir de lui. Et ce qui me plaisait beaucoup chez cet homme qui fait des mathématiques très pures et abstraites, c'est justement la tension qu' il y avait dans sa vie entre l'abstraction ahurissante, une sorte de langage très complexe qu’il développe chaque jour dans sa recherche et, parallèlement, le fait qu'il devait bien vivre, faire ses courses, aller aux toilettes… Une sorte de tension entre l’infiniment grand et l'infiniment petit. La question qui m'intéressait était de savoir comment est-ce qu'on transige avec le quotidien lorsqu'en même temps on est dans une quête d'absolu. Je pourrais aussi parler de l'écrivain, de l'artiste : tous ces gens qui se jettent à corps perdu dans une aventure cérébrale, mentale mais qui en même temps doivent faire avec leur quotidien. Ça me plaisait de rentrer dans le cerveau d'un mec qui était « à l'ouest ». Ça c'est le point de départ. Ensuite, un jour je feuilletais un magazine féminin et je vois un article assez décalé sur un séminaire de physique à Santa Barbara avec des physiciens sur le point de trouver la forme de l'univers. J'avais trouvé mon décor.
Zone littéraire: Voilà pour le personnage et quelques éléments de décor... Mais comment s'est alors affiné ta démarche ?
TI: Je me suis donc mis à travailler autour de ce personnage que je connais bien et je voulais le plonger dans cette idée assez ahurissante de trouver la forme de l'univers. J'ai voulu alors faire bouger et voyager ce cerveau. Qu' est-ce que c'est la forme ? On pense vite aussi à la forme littéraire, la forme artistique… Dans le livre je parle pas mal d'Hans Bellmer avec son obsession des formes, ses poupées qui se déconstruisent. Le livre, il oscille comme ça entre la vie normale et une obsession de la forme. Mon gars, il devient obsédé des formes et la forme de l'univers est la forme ultime, tu ne peux pas faire « plus forme » que cette forme, ce sera la dernière, il n'y aura pas plus lointain. Je me suis aussi documenté énormément. Je n'ai jamais mis les pieds a Mauna Kea, le lieu où se rend le personnage mais avec Internet et les Web Cam… tout est possible.
Zone: Bleu Univers... plutot intrigant comme titre, comment y êtes vous venu ?
TI: Le premier titre c'était Mauna Kea. Je le trouvais très beau, très musical mais j'ai choisi de le changer. Fallait montrer un peu la couleur de ce que l'on allait voir. J'avais justement fait des recherches sur Internet pour savoir quelles étaient les expressions avec le mot univers et j'ai trouvé la couleur dt’un vieux modèle de Ford Escort : bleu univers. J'ai aimé cette histoire de voiture assez absurde. Et puis y aussi cette autre question : est-ce que ça a un sens de donner une couleur à notre univers puisqu'on est dedans et que par là-même il est difficile de l'observer et de le qualifier ?
Zone: Science, cosmogonie et abstraction parfois... Le propos de Bleu Univers est pour le moins ambitieux, à la fois en termes de lecture et d'écriture !
TI: J'ai conscience que je ne me suis pas rendu la tache facile avec un livre pareil et c'est tout l'hommage que je rends à Stéphane Million d'avoir eu le courage de le publier. Avec la première page, j'ai voulu m'adresser au lecteur. C'est une sorte de promesse : je vais essayer de t'emmener loin, et je vais essayer aussi de te parler de toi. Le livre est à la première personne, c'est une plongée dans un cerveau. Il fallait une sorte d'entrée en matière pour le lecteur. Ceci étant dit, c'est la seule chose que j'ai faite pour faciliter le travail du lecteur. Pour le reste je me suis lâché totalement. J'ai oublié totalement le lecteur, je suis parti avec ce cerveau et je suis rentré dedans jusqu’ au bout. Lorsque j'écris, j'ai souvent le décor avant d'avoir l'histoire. Je me fous de l'histoire. Ça ne m'intéresse pas. C'est juste un moyen, je n'ai pas la prétention de raconter des choses qui n'ont jamais été racontées et je suis assez convaincu que tout a été raconté déjà. C'est juste qu'il faut adapter à ce que tu veux dire. Seuls les personnages sont importants.
Zone: Redevenu salarié d'une banque internationale, après avoir été trader, quelle est, aujourd'hui, la place de la littérature dans votre parcours ?
TI: Je n'accroche pas précisément au mythe de l'écrivain ni au mythe de l'écriture comme une « aventure moderne ». Je ne le vis pas comme ça, je ne vais pas dans les rues de Paris, mon écharpe dans le vent (rires)… J'ai beaucoup de mal à me dire « écrivain » d'un point de vue social… Une chose sûre, je continuerai à écrire. Mais je ne prend pas trop les choses au sérieux. Tout cela me semble très étrange, ce n'est pas mon monde. Mon monde, c'est devant ma table quand j'écris. Point. Et c'est un peu comme le personnage du roman.
Je travaille dans la finance et j'ai énormément de passions différentes. Je ne m'inscris pas dans une carrière. Après la sortie de mon premier roman( J'ai, éditions Stock), j'ai arrêté la finance temporairement . J'ai eu beaucoup de temps pour écrire et j'ai moins bien écrit. L'écriture c'est, pour moi, un temps pris sur autre chose, un temps de combat pour qui justifie que cela en vaille sacrément la peine. Un temps pris sur le monde extérieur et les activités quotidiennes et qui te coupes du réel en action.
Zone: Comme le personnage de Bleu Univers en fin de compte… ?
TI: Oui , il y a un peu de ça c'est sûr. Je m'identifie à ce personnage. Je fais référence aux premiers astronautes qui sont allés sur la lune. Ces gens-là n'ont vraiment pas trouvé la clef de leur bonheur. Quand tu t'appelles Neil Armstrong et que tu es le premier homme à marcher sur la lune, tout comme lorsque tu es le personnage de mon roman et que tu as trouvé quelque chose d'aussi fort que le secret de la forme de l'univers, ou de la même manière quand tu es un peintre et que tu as l'impression d'avoir peint un chef d'œuvre absolu, tu n'as plus grand chose à attendre. Pour le personnage, c'est très difficile de rentrer dans ces questions vastes et d'en ressortir pour parler avec des gens, se demander comment on va payer les impôts etc.
Zone: Vous citez un passage de la vie d'artiste, une chanson de Léo Ferré, est-ce donc "précisément la même chose" pour reprendre la dernière phrase, que la vie de scientifique ?
TI: Bien sûr. C'est la même folie, on touche à un certain point de magie, j'aurais pu faire la même chose sur un peintre. Entre la vie d'artiste et la vie d'un chercheur scientifique il y a ce point commun ultime : c'est l'obsession. Ce mathématicien n’est pas fou, il est obsédé et ça le mène très loin. Et c'est pour cela que c'est dur de gérer la vie quotidienne quand on est passé « de l'autre côté ».
Zone: Le regard que porte le narrateur sur ses contemporains est plutôt sombre…
TI: Il craint que les hommes n'utilisent leur intelligence pour détruire le paradis terrestre. C'est l'un des enjeux du livre que de dire : y-a-t-il une voie de sortie ? Peut-on essayer de concilier humanité et nature ? Comment essayer de se respecter sans encombrer ? Le narrateur a sa solution. Moi je ne suis pas entièrement passé de l'autre côté, mais le personnage, lui, oui.
Zone: Dans quelle mesure êtes-vous déjà « de l'autre coté » ?
TI: Ce passage de l’autre côté, c'est lorsque tu expérimentes la tentation de la renonciation. Quand tu as l'envie de renoncer.
J'avais en tête cette phrase de Mallarmé que je voulais mettre en exergue : "La seule activité d'un homme qui se respecte à mes yeux est de mourir de faim en regardant l'azur" . Tout est dans cette phrase. Et dès lors que tu as la tentation du renoncement, tu te demandes à quoi ça sert même moralement de s'activer, de combattre, de faire son chemin, sa place dans une société. C'est pour cela aussi que je collectionne les photos vintage de la NASA, tu peux regarder la terre, t'en exclure le temps d'un cliché. Il y a de moins en moins de place dans cette société pour les gens contemplatif. Tout va trop vite. Prendre le temps de méditer, de se poser, c'est tout le travail d'un artiste. Le narrateur glisse vers la contemplation et se demande comment font ces hommes pour vivre normalement avec la conscience de leur finitude.
Zone: Est-ce que la seule solution est le renoncement ?
TI: Pour le personnage, oui. C'est pour cela que je pense que le livre aura une vie difficile car justement si tu balances du bleu « univers » à des gens qui n'ont pas forcément envie de cette sorte de violence là, le réflexe naturel et compréhensible est de rejeter ça. Soit tu glisses du côté du renoncement, soit tu t'échappes. Lorsqu'on aborde des questions de fini et d'infini c'est difficile de mettre ça en scène et d'amener les gens à ces questionnements sans être brutal.
Il y a un drôle de pessimisme dans le narrateur, un peu à la Bacri, c'est une sorte de mec un peu désabusé. Quand on prend du recul sur la vie sociale c'est très absurde tout ça… Avoir conscience, c'est voir une vague et tenter de la retenir comme dans le travail de la pensée. Tu as des vagues de conscience qui te viennent et ton autodéfense est de la faire partir. C'est comme un écrivain avec les idées. C'est pour cela que "c'est précisément la même chose". Disons que c'est bien plus beau de regarder les choses, bien plus excitant que de « faire ». Et la conclusion de tout cela est que justement, lorsqu'on prend trop conscience de ce que les hommes « font » avec leur intelligence, il y a certains secrets qu'on a envie de garder pour soi…
Photo: Sebastien Dolidon
Michel Olivia
Bleu univers
Tarek Issaoui
Ed. Scali
0 p / 0 €
ISBN:
Zone littéraire: Les scientifiques se comptent sur les doigts d'une main dans la littérature française... Comment est né ce roman ?
Tarek Issaoui: Je suis passé par l'Ecole polytechnique et j'ai gravité un peu dans le monde matheux et des physiciens. J'ai notamment un bon ami qui fait suprêmement des maths et pour moi ce type était un « personnage ». Je voulais partir de lui. Et ce qui me plaisait beaucoup chez cet homme qui fait des mathématiques très pures et abstraites, c'est justement la tension qu' il y avait dans sa vie entre l'abstraction ahurissante, une sorte de langage très complexe qu’il développe chaque jour dans sa recherche et, parallèlement, le fait qu'il devait bien vivre, faire ses courses, aller aux toilettes… Une sorte de tension entre l’infiniment grand et l'infiniment petit. La question qui m'intéressait était de savoir comment est-ce qu'on transige avec le quotidien lorsqu'en même temps on est dans une quête d'absolu. Je pourrais aussi parler de l'écrivain, de l'artiste : tous ces gens qui se jettent à corps perdu dans une aventure cérébrale, mentale mais qui en même temps doivent faire avec leur quotidien. Ça me plaisait de rentrer dans le cerveau d'un mec qui était « à l'ouest ». Ça c'est le point de départ. Ensuite, un jour je feuilletais un magazine féminin et je vois un article assez décalé sur un séminaire de physique à Santa Barbara avec des physiciens sur le point de trouver la forme de l'univers. J'avais trouvé mon décor.
Zone littéraire: Voilà pour le personnage et quelques éléments de décor... Mais comment s'est alors affiné ta démarche ?
TI: Je me suis donc mis à travailler autour de ce personnage que je connais bien et je voulais le plonger dans cette idée assez ahurissante de trouver la forme de l'univers. J'ai voulu alors faire bouger et voyager ce cerveau. Qu' est-ce que c'est la forme ? On pense vite aussi à la forme littéraire, la forme artistique… Dans le livre je parle pas mal d'Hans Bellmer avec son obsession des formes, ses poupées qui se déconstruisent. Le livre, il oscille comme ça entre la vie normale et une obsession de la forme. Mon gars, il devient obsédé des formes et la forme de l'univers est la forme ultime, tu ne peux pas faire « plus forme » que cette forme, ce sera la dernière, il n'y aura pas plus lointain. Je me suis aussi documenté énormément. Je n'ai jamais mis les pieds a Mauna Kea, le lieu où se rend le personnage mais avec Internet et les Web Cam… tout est possible.
Zone: Bleu Univers... plutot intrigant comme titre, comment y êtes vous venu ?
TI: Le premier titre c'était Mauna Kea. Je le trouvais très beau, très musical mais j'ai choisi de le changer. Fallait montrer un peu la couleur de ce que l'on allait voir. J'avais justement fait des recherches sur Internet pour savoir quelles étaient les expressions avec le mot univers et j'ai trouvé la couleur dt’un vieux modèle de Ford Escort : bleu univers. J'ai aimé cette histoire de voiture assez absurde. Et puis y aussi cette autre question : est-ce que ça a un sens de donner une couleur à notre univers puisqu'on est dedans et que par là-même il est difficile de l'observer et de le qualifier ?
Zone: Science, cosmogonie et abstraction parfois... Le propos de Bleu Univers est pour le moins ambitieux, à la fois en termes de lecture et d'écriture !
TI: J'ai conscience que je ne me suis pas rendu la tache facile avec un livre pareil et c'est tout l'hommage que je rends à Stéphane Million d'avoir eu le courage de le publier. Avec la première page, j'ai voulu m'adresser au lecteur. C'est une sorte de promesse : je vais essayer de t'emmener loin, et je vais essayer aussi de te parler de toi. Le livre est à la première personne, c'est une plongée dans un cerveau. Il fallait une sorte d'entrée en matière pour le lecteur. Ceci étant dit, c'est la seule chose que j'ai faite pour faciliter le travail du lecteur. Pour le reste je me suis lâché totalement. J'ai oublié totalement le lecteur, je suis parti avec ce cerveau et je suis rentré dedans jusqu’ au bout. Lorsque j'écris, j'ai souvent le décor avant d'avoir l'histoire. Je me fous de l'histoire. Ça ne m'intéresse pas. C'est juste un moyen, je n'ai pas la prétention de raconter des choses qui n'ont jamais été racontées et je suis assez convaincu que tout a été raconté déjà. C'est juste qu'il faut adapter à ce que tu veux dire. Seuls les personnages sont importants.
Zone: Redevenu salarié d'une banque internationale, après avoir été trader, quelle est, aujourd'hui, la place de la littérature dans votre parcours ?
TI: Je n'accroche pas précisément au mythe de l'écrivain ni au mythe de l'écriture comme une « aventure moderne ». Je ne le vis pas comme ça, je ne vais pas dans les rues de Paris, mon écharpe dans le vent (rires)… J'ai beaucoup de mal à me dire « écrivain » d'un point de vue social… Une chose sûre, je continuerai à écrire. Mais je ne prend pas trop les choses au sérieux. Tout cela me semble très étrange, ce n'est pas mon monde. Mon monde, c'est devant ma table quand j'écris. Point. Et c'est un peu comme le personnage du roman.
Je travaille dans la finance et j'ai énormément de passions différentes. Je ne m'inscris pas dans une carrière. Après la sortie de mon premier roman( J'ai, éditions Stock), j'ai arrêté la finance temporairement . J'ai eu beaucoup de temps pour écrire et j'ai moins bien écrit. L'écriture c'est, pour moi, un temps pris sur autre chose, un temps de combat pour qui justifie que cela en vaille sacrément la peine. Un temps pris sur le monde extérieur et les activités quotidiennes et qui te coupes du réel en action.
Zone: Comme le personnage de Bleu Univers en fin de compte… ?
TI: Oui , il y a un peu de ça c'est sûr. Je m'identifie à ce personnage. Je fais référence aux premiers astronautes qui sont allés sur la lune. Ces gens-là n'ont vraiment pas trouvé la clef de leur bonheur. Quand tu t'appelles Neil Armstrong et que tu es le premier homme à marcher sur la lune, tout comme lorsque tu es le personnage de mon roman et que tu as trouvé quelque chose d'aussi fort que le secret de la forme de l'univers, ou de la même manière quand tu es un peintre et que tu as l'impression d'avoir peint un chef d'œuvre absolu, tu n'as plus grand chose à attendre. Pour le personnage, c'est très difficile de rentrer dans ces questions vastes et d'en ressortir pour parler avec des gens, se demander comment on va payer les impôts etc.
Zone: Vous citez un passage de la vie d'artiste, une chanson de Léo Ferré, est-ce donc "précisément la même chose" pour reprendre la dernière phrase, que la vie de scientifique ?
TI: Bien sûr. C'est la même folie, on touche à un certain point de magie, j'aurais pu faire la même chose sur un peintre. Entre la vie d'artiste et la vie d'un chercheur scientifique il y a ce point commun ultime : c'est l'obsession. Ce mathématicien n’est pas fou, il est obsédé et ça le mène très loin. Et c'est pour cela que c'est dur de gérer la vie quotidienne quand on est passé « de l'autre côté ».
Zone: Le regard que porte le narrateur sur ses contemporains est plutôt sombre…
TI: Il craint que les hommes n'utilisent leur intelligence pour détruire le paradis terrestre. C'est l'un des enjeux du livre que de dire : y-a-t-il une voie de sortie ? Peut-on essayer de concilier humanité et nature ? Comment essayer de se respecter sans encombrer ? Le narrateur a sa solution. Moi je ne suis pas entièrement passé de l'autre côté, mais le personnage, lui, oui.
Zone: Dans quelle mesure êtes-vous déjà « de l'autre coté » ?
TI: Ce passage de l’autre côté, c'est lorsque tu expérimentes la tentation de la renonciation. Quand tu as l'envie de renoncer.
J'avais en tête cette phrase de Mallarmé que je voulais mettre en exergue : "La seule activité d'un homme qui se respecte à mes yeux est de mourir de faim en regardant l'azur" . Tout est dans cette phrase. Et dès lors que tu as la tentation du renoncement, tu te demandes à quoi ça sert même moralement de s'activer, de combattre, de faire son chemin, sa place dans une société. C'est pour cela aussi que je collectionne les photos vintage de la NASA, tu peux regarder la terre, t'en exclure le temps d'un cliché. Il y a de moins en moins de place dans cette société pour les gens contemplatif. Tout va trop vite. Prendre le temps de méditer, de se poser, c'est tout le travail d'un artiste. Le narrateur glisse vers la contemplation et se demande comment font ces hommes pour vivre normalement avec la conscience de leur finitude.
Zone: Est-ce que la seule solution est le renoncement ?
TI: Pour le personnage, oui. C'est pour cela que je pense que le livre aura une vie difficile car justement si tu balances du bleu « univers » à des gens qui n'ont pas forcément envie de cette sorte de violence là, le réflexe naturel et compréhensible est de rejeter ça. Soit tu glisses du côté du renoncement, soit tu t'échappes. Lorsqu'on aborde des questions de fini et d'infini c'est difficile de mettre ça en scène et d'amener les gens à ces questionnements sans être brutal.
Il y a un drôle de pessimisme dans le narrateur, un peu à la Bacri, c'est une sorte de mec un peu désabusé. Quand on prend du recul sur la vie sociale c'est très absurde tout ça… Avoir conscience, c'est voir une vague et tenter de la retenir comme dans le travail de la pensée. Tu as des vagues de conscience qui te viennent et ton autodéfense est de la faire partir. C'est comme un écrivain avec les idées. C'est pour cela que "c'est précisément la même chose". Disons que c'est bien plus beau de regarder les choses, bien plus excitant que de « faire ». Et la conclusion de tout cela est que justement, lorsqu'on prend trop conscience de ce que les hommes « font » avec leur intelligence, il y a certains secrets qu'on a envie de garder pour soi…
Photo: Sebastien Dolidon
Michel Olivia
Bleu univers
Tarek Issaoui
Ed. Scali
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Last modified ondimanche, 19 avril 2009 21:08
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