Rencontre avec Fabrice Pliskin

Interviews
Faites-vous partie du club « Bret Easton Ellis » ?

Non pas vraiment. J’aime bien Bret Easton Ellis, je le lis depuis 17 ans maintenant mais généralement dans la presse quand on veut comparer des écrivains, on cite des écrivains vivants comme références. On ne parlera jamais de Dostoïevski, ça ennuie les lecteurs. Moi, j’ai moins lu Ellis que Dickens, Tchekhov et d’autres innombrables. Le fait que j’essaie de décrire mon époque et mon pays, ma ville Paris, on peut effectivement retrouver certaines analogies avec Ellis. La vie urbaine, le réalisme. Je n’écris pas de romans historiques du 19è siècle, je peins mon époque et je m’attache aux détails. Ce qui m’intéresse le plus c’est la façon dont les gens sont aliénés par leur époque.

Vous êtes journaliste en même tant que romancier. Ca vous apporte quoi ?

Le journaliste c’est un peu une caricature du citoyen, un super consommateur qui écoute plus de disques que les autres et qui voit plus de films. C’est l’aspect réceptacle du journaliste et de l’être humain en général qui m’attire. J’ai l’impression que l’être humain est un réceptacle de l’information, de l’image et donc le libre-arbitre devient difficile. Regardez mon personnage, il est dans la passivité pure, ce qui le rend à la fois burlesque et tragique.

Dans Toboggan, la presse est partout. Une obsession ?

C’est la presse féminine qui est surtout présente dans mon roman. C’est une presse qui est le symbole du monde de l’information dans lequel nous vivons. Moi-même je l’adore. J’en ai énormément lu et puis au départ, le principe de Toboggan, c’est que la vie n’est pas un roman mais un magazine féminin. C’est la grille dominante. Youri, le héros travaille dans un magazine féminin de télévision que peu de gens regardent. C’est ça le fondement de mon roman. Les personnages lisent les magazines et croient y trouver le réel. Mais toutes ces photos, ces fantômes, ces articles dont je parle nous tourmentent tous et nous hantent finalement plus que les gens réels.

Le titre ?

Le toboggan de l’Aquaboulevard, le thème de la paternité, la chute de reins de la plus belle donneuse de la porte de la Chapelle. Et c’est aussi la forme du roman. A la fin, le héros est au plus bas. C’est également la passivité dont je parlais tout à l’heure. Dans un toboggan tout est programmé pour nous entraîner jusqu’au bout. On n’est plus soi-même mais on devient le magazine féminin qu’on est en train de lire ou l’émission de télévision qu’on est en train de regarder.

Le corps ?

Oui c’est un thème important. Aujourd’hui, j’aurais tendance à suivre la fameuse formule féministe « notre corps ne nous appartient plus ! ». A partir du moment où l’on cherche à ressembler à des images, on hait son corps et il appartient à la ville. Vous vous séparez de votre corps d’une certaine façon en voulant ressembler à une image qui n’existe pas. Vous ne pouvez plus être vous–mêmes. L’époque c’est la réduction de beaucoup de gens à un corps et à un sexe. J’aime la pornographie mais en même temps, je trouve ça déprimant. Mais je ne pense pas à la décadence quand je dis ça. Je ne crois pas que ça a été pire avant et que ce sera mieux demain.

L’amour ?

Une éditrice m’a dit qu’elle pensait que Youri, mon personnage, avait fait des horreurs à sa fille…Je ne le pense pas mais ça me séduit comme interprétation. Youri essaie de faire en sorte que Yasmine ne devienne pas l’esclave des représentations dominantes. En ce sens, il fait son boulot de père mais toujours dans son style à lui en se donnant en spectacle.

Mélange entre scène porno et banal communiqué de presse : décalage ?

Oui j’explore la polyphonie. Ce qui m’intéresse le plus, c’est les détails bien plus que les lois générales. Je ne suis pas sociologue. Ce que vous appelez le sens du décalage, c’est la dissonance. Bizarrement, on ne peut sentir la totalité et le tout du monde où l’on vit qu’à travers ce genre de rupture. C’est une sorte de théologie négative. Sentir le tout à partir du détail et sentir l’union à travers la séparation. Le livre se termine sur un dossier de presse de la RATP, sur la station Madeleine. C’est Andy Warroll qui disait « Je ne suis que mon dossier de presse. » Bien entendu, c’est à la fois vrai et faux. S’il le dit, c’est qu’il ne l’est plus vraiment, qu’il est déjà dans la distance mais l’on est dans ce déchirement constant.

Alors ce dossier de presse ?

Je suis content que vous le releviez à nouveau. Il veut dire une chose et son contraire. C’est l’anti-humanité par excellence et en même temps, c’est un parfum, le parfum Madeleine. On voit un monde où pour faire disparaître le sentiment d’insécurité, on met du parfum. On ne s’attaque pas aux problèmes mais à la façade. Les gens ont des ennuis à Paris, les gens meurent l’hiver mais avec le parfum, on espère que tout ira bien et qu’on ira aux Jeux Olympiques !

Vous dîtes de la génération des 30 ans : « panique et inconsistance ».

J’ai repris une citation des Pensées de Pascal. Oui, la panique c’est un sentiment très familier. A un moment dans le roman, Youri apprend que le portable est cancérigène et se place dans un questionnement profond. Et on est tous sans arrêt comme ça, moi le premier. Ces personnages ne voient la réalité qu’à travers le prisme de l’information et il n’y a donc pas de réalité proprement dite. La réalité est construite à travers les images des magazines. Il n’y a pas d’authenticité et le mot le plus inauthentique est sans doute celui d’authenticité.


Céline Mas


Fabrice Pliskin
Ed.
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Last modified onvendredi, 01 mai 2009 22:54 Read 2045 times