Rencontre avec Guillaume Vigneault
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C'était au Salon du Livre. Il venait signer son premier roman avec plus de certitude que n'importe quel jeune romancier. Il faut dire que Chercher le vent (éd. Balland), son deuxième roman, est le premier à être sorti en France. On prend vite l'habitude de rencontrer ses lecteurs. Carnets de Naufrage, dont nous parlerons ci-dessous, raconte l'histoire d'un trentenaire à la dérive. Sujet typiquement canadien ? Pas vraiment. "A vrai dire, je ne croyais pas m'être marié par amour, mais pour faire de l'amour quelque chose de grave, pour ne pas être, au moins une fois dans ma vie, inconséquent. C'est un peu ça, mais pas tout à fait. C'est autre chose aussi. Je ne sais pas." L'originalité vient de la forme, sans doute. Le syncrétisme culturel et artistique. Entre l'écrit et l'image. Entre l'Amérique et la France. Entre l'habitude instantanée du tutoiement et de la pudeur. Rien de plus normal, finalement ?
Vous recevez ces jours-ci le prix France Québec pour Chercher le vent. Vous attendiez-vous à patienter davantage avant d'être encouragé, voire reconnu ?
Cet automne, j'ai reçu deux prix, au Canada, pour Chercher le vent, ainsi que celui de l'académie des Lettres du Québec. Mais ça n'a pas été si rapide, puisque j'ai été à plusieurs reprises nommé pour le premier, Carnets de Naufrage, qui sort aujourd'hui en France. Mais je n'ai rien gagné. Ceci dit, pour le deuxième, je ne m'attendais pas du tout à ça.
Au vu de votre ascendance [Gilles Vigneault, son père, est un des chanteurs les plus populaires au Québec, ndlr], ne craigniez-vous pas d'être critiqué pour de mauvaises raisons ?
Cette idée de l'ombre du père est beaucoup plus projetée par les autres, que ressentie par moi-même. Pour moi, il rentre dans la banalité de ma vie. En ce qui concerne mon écriture, tout n'a pas été simple, puisque je me suis cherché pendant longtemps.
Des tâtonnements nécessaires...?
Bien sûr. En fait, il a fallu deux phases. La première, ce fut d'écrire des petits romans vers l'âge de quinze ans à la Bob Morane. C'est à ce moment qu'il ne faut pas abandonner, parce qu'on ne sait pas encore si l'on a ou non cette nature. Certes, l'égarement fait partie de cette période, mais bon, il n'y a pas que les écrivains qui s'égarent...
Il y en a tout de même beaucoup !
Il y en a plein ! En ce qui me concerne, dans une deuxième phase, j'ai éliminé les métiers que je ne ferai pas. J'ai su que je ne serai pas avocat, ni graphiste, ni pilote, ni guitariste, et comme je n'ai pas terminé ma maîtrise de lettres, j'ai tenté d'avoir beaucoup de pratique, dans l'écriture, notamment en passant par l'imitation.
C'est du joli !
Non... Il y a beaucoup de manières pour apprendre ce métier. Ce n'était pas forcément de l'imitation consciente. Je ne me suis pas dit "Tiens, je vais écrire une nouvelle à la Heminguay", mais on le sentait. Et il faut bien tenter mille choses avant de savoir qu'est-ce qu'on sait vraiment faire, dans quel registre on est vraiment à l'aise... je ne suis pas quelqu'un de vraiment studieux, ou alors d'une manière marginale, et mes études en lettres m'ont surtout appris à bluffer.
Vous n'avez pas craint l'académisme, en passant par l'université ?
Pas dans mon cas. Je crois que je fais partie des étudiant de lettres qui ont le moins lu. Tout ça n'était qu'un exercice. Tirer des citations de n'importe où.. faire croire qu'on a lu les livres...
Un boulot de journaliste, quoi !
Oui ! Mais j'ai lu par la suite. A l'université, c'était un défi de fonctionner comme ça. Je n'avais le choix que de bien écrire parce que je ne lisais rien. Mais il y a un noyau de franchise et d'honnêteté qu'il faut atteindre, aussi.
D'où le passage à la première personne dans votre roman ?
Je ne crois pas que je sois seulement un écrivain du "je". C'est une possibilité, mais dans mon cas, ça repose surtout sur un malentendu. Des textes appellent absolument ça. Carnets de naufrage, en effet, est un retour à la première personne. A l'époque, je trouvais la troisième personne contraignante et je ne savais pas utiliser cet outil à son plein potentiel. La troisième personne est trop vaste, j'avais trop d'occasions de me planter, de ne pas être juste.
C'est aussi un moyen de prendre le lecteur par la main. Dans votre cas, vous avez même une sorte d'obsession à le guider ? C'est une influence américaine, où tout est souvent "tracé" ?
Je m'exprime d'abord et avant tout. Après je constate, je vois ce qui plaît ou pas, mais je ne formate pas mon écriture. Je crois prendre la main du lecteur naturellement. D'ailleurs, je dois parfois en enlever. Ça doit correspondre à mon propre goût pour la littérature. Je n'aime pas qu'on m'embrouille. Et puis le lecteur est toujours là pour donner un sens aux choses. Mille lecteurs, c'est mille lectures. On peut les prendre par la main, ils filtreront toujours comme ils l'entendent. D'ailleurs, j'aime bien la réception des français, leur étonnement de voir deux choses simultanées : la relative absence de marqueurs régionaux et en même temps la réalisation, qui ne s'apparente pas non plus à un roman français.
Tout de même, cette manière d'écrire un roman très visuel et de recourir à des termes cinématographiques... la prise en main du lecteur est un acte vraiment délibéré, non ?
Je m'en rends bien compte, mais je n'y peux rien. Même si j'ai lu beaucoup de romans, j'ai vu quatre fois plus de films. De toute façon, il y a moyen de faire quelque chose de bien avec la culture américaine. Elle dispose d'une efficacité. On peut se servir de certains de ses outils sans pour autant faire des trucs à la chaîne.
A propos de votre sujet. Alex, votre personnage principal, vient de se faire plaquer. Vous n'aviez pas peur de tomber dans les poncifs de la crise de la trentaine ?
Ça doit faire partie de mes obsessions. C'est relié à une phase du personnage, au lendemain de la rupture. Il a perdu beaucoup de ces balises, de ses attaches. Le bouquin se passe sur une période transitoire de son existence. Je ne crois pas que ce soit sa nature constante.
Mais la fin peut être prise comme un "fameux" renoncement ?
On la prend comme on veut. Pour moi, ça ne l'est pas. Les opinions sont contradictoires. Quand je discute avec des étudiants, dans des classes, et que l'on parle de la fin, tout le monde s'engueule. Et d'ailleurs, la quête, pour Alex, ce n'est pas de retouver Marlène, son ex, qui reste un personnage très fantomatique. Pour moi la quête, c'est de dire "je ne sais pas". On peut percevoir la fin comme une ouverture assez agaçante, mais pour moi, c'était une sorte de point d'orgue, la crise se termine. Alex se lève et peut dire "Je ne sais pas". Sans colère, sans haine. Il est en flottement, mais il n'est plus en crise, c'est un nouvel équilibre. Il est serein, même s'il est soul.
En parlant d'alcool, vous l'avez beaucoup pratiqué ?
Je suis barman depuis huit ans. J'ai toujours l'impression que les gens boivent plus que ce qu'ils ne boivent nécessairement. Mon édieur me disait souvent Non, les gens normaux ne commandent pas huit tequilas... ah bon ? Alors j'ai du pas mal couper.
Alex reste néanmoins très sain.
Il a un fonds, sain, mais il dérape. En Amérique du Nord, on trouve vraiment qu'il est sur la grosse défonce. J'ai du alléger, comme un passage où je parlais d'acides.
Vous vous êtes censuré ?
Le moins possible. Une amie écrivain me disait qu'il y avait beaucoup trop de café !, et je ne voulais pas tomber dans le trash. Beaucoup de gens font de l'épate pour de l'épate. Je ne voulais pas qu'Alex se shoote pour vendre de la copie, ça ne me disait rien.
Cela tient aussi à votre propension aux bons sentiments, non ?
J'étais dans un phase préalable à l'endurcissement. Je reste un romantique cynique, je le revendique. J'ai mes côtés kitsch, idéalistes. Notamment dans le domaine des relations humaines ; je crois en l'amour, j'ai beaucoup de discussions avec des amis français sur la fidélité. Je ne dirai pas leurs noms, mais il y en a beaucoup qui sont infidèles, et je me rends compte parfois, comment je suis vieux jeu.
C'est votre côté Isabelle Boulay ?
C'est vrai qu'elle est kitsch, mais je trouve que c'est une formidable interprète. Si ses textes étaient mieux : je sais que c'est une lectrice, je l'ai rencontrée à plusieurs reprises... on ne gagne pas sa vie avec des romans, au Québec, et faire des textes pour elle, ou d'autres, est une possibilité que j'envisagerais bien. J'aime beaucoup, par exemple, ce qu'a fait Djian pour Stephan Eicher. Mais je ne veux pas écrire du kitsch. Je ne me braque pas non plus sur l'anti-kitsch à tout prix, qui est une forme de kitsch. Je me refuse de refuser mes élans idéalistes, et pour le coup, ce serait me censurer. J'aime surfer dans un entre-deux, quitte à tomber un petit peu à gauche, ou un petit peu à droite. Entre le rose et le noir.
Ariel Kenig
Carnets de naufrage
Guillaume Vigneault
Ed. Balland
372 p / 18 €
ISBN: 2715814453
Vous recevez ces jours-ci le prix France Québec pour Chercher le vent. Vous attendiez-vous à patienter davantage avant d'être encouragé, voire reconnu ?
Cet automne, j'ai reçu deux prix, au Canada, pour Chercher le vent, ainsi que celui de l'académie des Lettres du Québec. Mais ça n'a pas été si rapide, puisque j'ai été à plusieurs reprises nommé pour le premier, Carnets de Naufrage, qui sort aujourd'hui en France. Mais je n'ai rien gagné. Ceci dit, pour le deuxième, je ne m'attendais pas du tout à ça.
Au vu de votre ascendance [Gilles Vigneault, son père, est un des chanteurs les plus populaires au Québec, ndlr], ne craigniez-vous pas d'être critiqué pour de mauvaises raisons ?
Cette idée de l'ombre du père est beaucoup plus projetée par les autres, que ressentie par moi-même. Pour moi, il rentre dans la banalité de ma vie. En ce qui concerne mon écriture, tout n'a pas été simple, puisque je me suis cherché pendant longtemps.
Des tâtonnements nécessaires...?
Bien sûr. En fait, il a fallu deux phases. La première, ce fut d'écrire des petits romans vers l'âge de quinze ans à la Bob Morane. C'est à ce moment qu'il ne faut pas abandonner, parce qu'on ne sait pas encore si l'on a ou non cette nature. Certes, l'égarement fait partie de cette période, mais bon, il n'y a pas que les écrivains qui s'égarent...
Il y en a tout de même beaucoup !
Il y en a plein ! En ce qui me concerne, dans une deuxième phase, j'ai éliminé les métiers que je ne ferai pas. J'ai su que je ne serai pas avocat, ni graphiste, ni pilote, ni guitariste, et comme je n'ai pas terminé ma maîtrise de lettres, j'ai tenté d'avoir beaucoup de pratique, dans l'écriture, notamment en passant par l'imitation.
C'est du joli !
Non... Il y a beaucoup de manières pour apprendre ce métier. Ce n'était pas forcément de l'imitation consciente. Je ne me suis pas dit "Tiens, je vais écrire une nouvelle à la Heminguay", mais on le sentait. Et il faut bien tenter mille choses avant de savoir qu'est-ce qu'on sait vraiment faire, dans quel registre on est vraiment à l'aise... je ne suis pas quelqu'un de vraiment studieux, ou alors d'une manière marginale, et mes études en lettres m'ont surtout appris à bluffer.
Vous n'avez pas craint l'académisme, en passant par l'université ?
Pas dans mon cas. Je crois que je fais partie des étudiant de lettres qui ont le moins lu. Tout ça n'était qu'un exercice. Tirer des citations de n'importe où.. faire croire qu'on a lu les livres...
Un boulot de journaliste, quoi !
Oui ! Mais j'ai lu par la suite. A l'université, c'était un défi de fonctionner comme ça. Je n'avais le choix que de bien écrire parce que je ne lisais rien. Mais il y a un noyau de franchise et d'honnêteté qu'il faut atteindre, aussi.
D'où le passage à la première personne dans votre roman ?
Je ne crois pas que je sois seulement un écrivain du "je". C'est une possibilité, mais dans mon cas, ça repose surtout sur un malentendu. Des textes appellent absolument ça. Carnets de naufrage, en effet, est un retour à la première personne. A l'époque, je trouvais la troisième personne contraignante et je ne savais pas utiliser cet outil à son plein potentiel. La troisième personne est trop vaste, j'avais trop d'occasions de me planter, de ne pas être juste.
C'est aussi un moyen de prendre le lecteur par la main. Dans votre cas, vous avez même une sorte d'obsession à le guider ? C'est une influence américaine, où tout est souvent "tracé" ?
Je m'exprime d'abord et avant tout. Après je constate, je vois ce qui plaît ou pas, mais je ne formate pas mon écriture. Je crois prendre la main du lecteur naturellement. D'ailleurs, je dois parfois en enlever. Ça doit correspondre à mon propre goût pour la littérature. Je n'aime pas qu'on m'embrouille. Et puis le lecteur est toujours là pour donner un sens aux choses. Mille lecteurs, c'est mille lectures. On peut les prendre par la main, ils filtreront toujours comme ils l'entendent. D'ailleurs, j'aime bien la réception des français, leur étonnement de voir deux choses simultanées : la relative absence de marqueurs régionaux et en même temps la réalisation, qui ne s'apparente pas non plus à un roman français.
Tout de même, cette manière d'écrire un roman très visuel et de recourir à des termes cinématographiques... la prise en main du lecteur est un acte vraiment délibéré, non ?
Je m'en rends bien compte, mais je n'y peux rien. Même si j'ai lu beaucoup de romans, j'ai vu quatre fois plus de films. De toute façon, il y a moyen de faire quelque chose de bien avec la culture américaine. Elle dispose d'une efficacité. On peut se servir de certains de ses outils sans pour autant faire des trucs à la chaîne.
A propos de votre sujet. Alex, votre personnage principal, vient de se faire plaquer. Vous n'aviez pas peur de tomber dans les poncifs de la crise de la trentaine ?
Ça doit faire partie de mes obsessions. C'est relié à une phase du personnage, au lendemain de la rupture. Il a perdu beaucoup de ces balises, de ses attaches. Le bouquin se passe sur une période transitoire de son existence. Je ne crois pas que ce soit sa nature constante.
Mais la fin peut être prise comme un "fameux" renoncement ?
On la prend comme on veut. Pour moi, ça ne l'est pas. Les opinions sont contradictoires. Quand je discute avec des étudiants, dans des classes, et que l'on parle de la fin, tout le monde s'engueule. Et d'ailleurs, la quête, pour Alex, ce n'est pas de retouver Marlène, son ex, qui reste un personnage très fantomatique. Pour moi la quête, c'est de dire "je ne sais pas". On peut percevoir la fin comme une ouverture assez agaçante, mais pour moi, c'était une sorte de point d'orgue, la crise se termine. Alex se lève et peut dire "Je ne sais pas". Sans colère, sans haine. Il est en flottement, mais il n'est plus en crise, c'est un nouvel équilibre. Il est serein, même s'il est soul.
En parlant d'alcool, vous l'avez beaucoup pratiqué ?
Je suis barman depuis huit ans. J'ai toujours l'impression que les gens boivent plus que ce qu'ils ne boivent nécessairement. Mon édieur me disait souvent Non, les gens normaux ne commandent pas huit tequilas... ah bon ? Alors j'ai du pas mal couper.
Alex reste néanmoins très sain.
Il a un fonds, sain, mais il dérape. En Amérique du Nord, on trouve vraiment qu'il est sur la grosse défonce. J'ai du alléger, comme un passage où je parlais d'acides.
Vous vous êtes censuré ?
Le moins possible. Une amie écrivain me disait qu'il y avait beaucoup trop de café !, et je ne voulais pas tomber dans le trash. Beaucoup de gens font de l'épate pour de l'épate. Je ne voulais pas qu'Alex se shoote pour vendre de la copie, ça ne me disait rien.
Cela tient aussi à votre propension aux bons sentiments, non ?
J'étais dans un phase préalable à l'endurcissement. Je reste un romantique cynique, je le revendique. J'ai mes côtés kitsch, idéalistes. Notamment dans le domaine des relations humaines ; je crois en l'amour, j'ai beaucoup de discussions avec des amis français sur la fidélité. Je ne dirai pas leurs noms, mais il y en a beaucoup qui sont infidèles, et je me rends compte parfois, comment je suis vieux jeu.
C'est votre côté Isabelle Boulay ?
C'est vrai qu'elle est kitsch, mais je trouve que c'est une formidable interprète. Si ses textes étaient mieux : je sais que c'est une lectrice, je l'ai rencontrée à plusieurs reprises... on ne gagne pas sa vie avec des romans, au Québec, et faire des textes pour elle, ou d'autres, est une possibilité que j'envisagerais bien. J'aime beaucoup, par exemple, ce qu'a fait Djian pour Stephan Eicher. Mais je ne veux pas écrire du kitsch. Je ne me braque pas non plus sur l'anti-kitsch à tout prix, qui est une forme de kitsch. Je me refuse de refuser mes élans idéalistes, et pour le coup, ce serait me censurer. J'aime surfer dans un entre-deux, quitte à tomber un petit peu à gauche, ou un petit peu à droite. Entre le rose et le noir.
Ariel Kenig
Carnets de naufrage
Guillaume Vigneault
Ed. Balland
372 p / 18 €
ISBN: 2715814453
Last modified onsamedi, 16 mai 2009 16:27
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