La belle aux rêves géants
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Son bonsoir est accompagné d’un sourire presque gêné comme si elle s’excusait d’avoir été, l’espace d’un instant, le centre de nos attentions : Aurore Guitry vient de pénétrer dans L’Ogre à plumes. Un verre de vin rouge et quelques cigarettes plus tard, nous nous éloignons pour parler de son premier roman, Les petites morsures.
Chapitre I
Son nom: Aurore, originaire du sud de la France, de Grasse plus précisément. Comme son homonyme perraultien, la jeune fille semble née sous une bonne étoile. Classes préparatoires en région parisienne puis Sciences Po à Aix : « J’étais davantage attirée par les Lettres… Et puis, Sciences Po, le principe, c’est de tout connaître sur tout mais pas forcément d’aller au fond des choses à chaque fois. Je me sentais un peu frustrée… ». Elle délaisse donc les bancs de Sciences Po pour les Lettres. Elle obtiendra, trois ans plus tard, un DEA de littérature. Mais cette lectrice de Rabelais et de García Márquez pressent déjà que son salut ne viendra pas du diplôme. A l’âge où les petites filles imaginent devenir infirmières ou maîtresses d’école, Aurore sait qu’elle sera écrivain. Quand on lui demande si elle a envisagé un second choix, une profession « sérieuse » qui aurait rassuré ses parents, elle répond aussitôt : « Bien entendu… metteur en scène ! » Théâtre et roman : deux arts indissociables à ses yeux, qui se nourrissent l’un l’autre, deux vocations précoces, aujourd’hui solidement ancrées. Aurore n’a que neuf ans quand elle fait ses premiers pas en écriture et c’est à vingt ans qu’elle monte son premier spectacle, une pièce de théâtre dont elle est aussi l’auteur.
Chapitre II
Tout ne serait que le fruit du hasard : sa première mise en scène, la publication de son roman… En réalité, on comprend au fil de la conversation qu'il n'y est que pour peu de chose, le mot persévérance serait plus juste. Car si la vie d’Aurore ressemble à un conte de fées, ce n’est pas là qu’une question de chance. Elle s’est cramponnée à son imaginaire de toutes ses forces et a travaillé avec un acharnement que seuls les rêves autorisent. Et puis Aurore conserve une part d’insouciance, de folie même, qui lui permet de relever tous les défis. Quand elle débarque à Paris pour faire du théâtre, elle proclame à qui veut l’entendre son intention de mettre en scène Le Songe d’une nuit d’été au parc des Buttes Chaumont. Elle y arrivera « avec un peu d’esbroufe et beaucoup de travail. » Au final, elle monte un spectacle féerique et démesuré qui attirera tous les soirs et pendant trois semaines des centaines de personnes.
Chapitre III
Les rencontres d’Aurore lui ont donnée un coup de pouce en la persuadant de sortir ses créations de leur tiroir. À cet égard, l’histoire de la publication des Petites morsures est amusante : stagiaire sur une émission de télévision, Aurore fait la connaissance d’un auteur, invité pour parler de son dernier livre. Elle lui confie qu’elle écrit, ils échangent leurs coordonnées. Un peu plus tard, l’auteur la rappelle pour lui dire qu’il souhaite lire quelque chose de son cru, elle lui adresse une nouvelle. Tombé sous le charme du texte, l’homme transmet le manuscrit à une éditrice de Calmann Lévy qui, après lecture, s’empresse de rappeler Aurore pour lui proposer un contrat. Les petites morsures sont nées. Elles racontent l’histoire de Sam, une jeune fille brillante mais un peu paumée, qui vit aux côtés de sa mère et du fantôme de son père, décédé dans un accident de voiture. Adolescente, Sam rencontre Max, l’ami du silence. Ensemble, ils trouvent la force de surmonter cette période pénible, de vaincre leurs angoisses et de se construire peu à peu. Lorsqu’il arrive chez Calmann Lévy, ce récit n’est pas encore achevé, seule la première partie est écrite. Aurore doit en reprendre le fil abandonné cinq ans plus tôt. Replonger dans ses écrits de jeunesse alors que l’imaginaire s’est nourri d’expériences nouvelles est une véritable gageure. Aurore s’attèle donc à la tâche, « retourne au charbon » et donne une suite aux « petites morts sûres » de son héroïne.
Chapitre IV
Les sensations, les sentiments ne sont évidemment plus les mêmes et la colère s’est apaisée. Difficile dans ces conditions de se remettre dans la peau d’une jeune fille de quinze ans. Aurore décide donc de faire grandir son personnage. On retrouve Sam six ans plus tard, étudiante à Paris où, un DEA d’histoire en poche, elle se met en quête du Graal des jeunes diplômés : trouver un emploi, autrement dit, être autonome, pénétrer irrémédiablement dans le monde des adultes. « Quand on est une femme, être romantique, c’est toujours un peu idiot. Quand on est enfant, au contraire, être romantique et rêver du prince charmant, c’est autorisé. Moi j’ai envie de pouvoir continuer à rêver du prince charmant et même pourquoi pas du cheval… Les folies, les choses qu’on ne s’autorise plus… », voilà ce qui anime Aurore et la pousse à prendre son destin en main.
Chapitre V
Jeune femme lunaire de vingt-six ans, préférant l’ombre à la lumière, elle craint l’abandon et confie protéger ses créations comme l’on protège un enfant : « Je suis très passionnelle parce que j’ai l’impression de porter ça depuis que je suis toute petite. Je n’ai pas la prétention de dire que mon travail est de qualité, je dis simplement que c’est ma foi. J’ai toujours cru en ça. » En littérature comme dans la vie, Aurore est de nature impulsive, elle écrit d’un seul jet et retravaille rarement ses textes. Urgence de tout déballer, reflet direct de l’inconscient, elle ne privilégiera jamais un bon mot à une phrase capable de piquer au cœur. Chez elle, l’émotion et le rythme passent avant tout le reste. Lecteurs ou spectateurs, il faut leur parler au creux de l’oreille, les entraîner dans la danse. Aurore aime les inconnus et ne se lasse pas de les observer d’un œil discret dans le métro ou dans les cafés. Elle leur façonne une vie faite de peurs et de désirs.
Épilogue
Aurore touche à tous les mots : metteur en scène, écrivain, traductrice, elle travaille également dans une maison d’édition en qualité d’assistante éditoriale… Elle qui éprouve sans cesse le besoin de se fixer de nouveaux défis, multiplie actuellement les projets : un deuxième roman dans lequel il sera question de quête d’identité, la tournée de son dernier spectacle, Le Cirque de Don Juan, l’adaptation d’une autre pièce… « Suivre ses envies. » Est-il plus jolie morale pour un conte de fées ?
Ellen Salvi
Photo: Sebastien Dolidon
Ellen Salvi
Les petites morsures
Aurore Guitry
Ed. Calmann Lévy
232 p / 15 €
ISBN: 2702137555
Chapitre I
Son nom: Aurore, originaire du sud de la France, de Grasse plus précisément. Comme son homonyme perraultien, la jeune fille semble née sous une bonne étoile. Classes préparatoires en région parisienne puis Sciences Po à Aix : « J’étais davantage attirée par les Lettres… Et puis, Sciences Po, le principe, c’est de tout connaître sur tout mais pas forcément d’aller au fond des choses à chaque fois. Je me sentais un peu frustrée… ». Elle délaisse donc les bancs de Sciences Po pour les Lettres. Elle obtiendra, trois ans plus tard, un DEA de littérature. Mais cette lectrice de Rabelais et de García Márquez pressent déjà que son salut ne viendra pas du diplôme. A l’âge où les petites filles imaginent devenir infirmières ou maîtresses d’école, Aurore sait qu’elle sera écrivain. Quand on lui demande si elle a envisagé un second choix, une profession « sérieuse » qui aurait rassuré ses parents, elle répond aussitôt : « Bien entendu… metteur en scène ! » Théâtre et roman : deux arts indissociables à ses yeux, qui se nourrissent l’un l’autre, deux vocations précoces, aujourd’hui solidement ancrées. Aurore n’a que neuf ans quand elle fait ses premiers pas en écriture et c’est à vingt ans qu’elle monte son premier spectacle, une pièce de théâtre dont elle est aussi l’auteur.
Chapitre II
Tout ne serait que le fruit du hasard : sa première mise en scène, la publication de son roman… En réalité, on comprend au fil de la conversation qu'il n'y est que pour peu de chose, le mot persévérance serait plus juste. Car si la vie d’Aurore ressemble à un conte de fées, ce n’est pas là qu’une question de chance. Elle s’est cramponnée à son imaginaire de toutes ses forces et a travaillé avec un acharnement que seuls les rêves autorisent. Et puis Aurore conserve une part d’insouciance, de folie même, qui lui permet de relever tous les défis. Quand elle débarque à Paris pour faire du théâtre, elle proclame à qui veut l’entendre son intention de mettre en scène Le Songe d’une nuit d’été au parc des Buttes Chaumont. Elle y arrivera « avec un peu d’esbroufe et beaucoup de travail. » Au final, elle monte un spectacle féerique et démesuré qui attirera tous les soirs et pendant trois semaines des centaines de personnes.
Chapitre III
Les rencontres d’Aurore lui ont donnée un coup de pouce en la persuadant de sortir ses créations de leur tiroir. À cet égard, l’histoire de la publication des Petites morsures est amusante : stagiaire sur une émission de télévision, Aurore fait la connaissance d’un auteur, invité pour parler de son dernier livre. Elle lui confie qu’elle écrit, ils échangent leurs coordonnées. Un peu plus tard, l’auteur la rappelle pour lui dire qu’il souhaite lire quelque chose de son cru, elle lui adresse une nouvelle. Tombé sous le charme du texte, l’homme transmet le manuscrit à une éditrice de Calmann Lévy qui, après lecture, s’empresse de rappeler Aurore pour lui proposer un contrat. Les petites morsures sont nées. Elles racontent l’histoire de Sam, une jeune fille brillante mais un peu paumée, qui vit aux côtés de sa mère et du fantôme de son père, décédé dans un accident de voiture. Adolescente, Sam rencontre Max, l’ami du silence. Ensemble, ils trouvent la force de surmonter cette période pénible, de vaincre leurs angoisses et de se construire peu à peu. Lorsqu’il arrive chez Calmann Lévy, ce récit n’est pas encore achevé, seule la première partie est écrite. Aurore doit en reprendre le fil abandonné cinq ans plus tôt. Replonger dans ses écrits de jeunesse alors que l’imaginaire s’est nourri d’expériences nouvelles est une véritable gageure. Aurore s’attèle donc à la tâche, « retourne au charbon » et donne une suite aux « petites morts sûres » de son héroïne.
Chapitre IV
Les sensations, les sentiments ne sont évidemment plus les mêmes et la colère s’est apaisée. Difficile dans ces conditions de se remettre dans la peau d’une jeune fille de quinze ans. Aurore décide donc de faire grandir son personnage. On retrouve Sam six ans plus tard, étudiante à Paris où, un DEA d’histoire en poche, elle se met en quête du Graal des jeunes diplômés : trouver un emploi, autrement dit, être autonome, pénétrer irrémédiablement dans le monde des adultes. « Quand on est une femme, être romantique, c’est toujours un peu idiot. Quand on est enfant, au contraire, être romantique et rêver du prince charmant, c’est autorisé. Moi j’ai envie de pouvoir continuer à rêver du prince charmant et même pourquoi pas du cheval… Les folies, les choses qu’on ne s’autorise plus… », voilà ce qui anime Aurore et la pousse à prendre son destin en main.
Chapitre V
Jeune femme lunaire de vingt-six ans, préférant l’ombre à la lumière, elle craint l’abandon et confie protéger ses créations comme l’on protège un enfant : « Je suis très passionnelle parce que j’ai l’impression de porter ça depuis que je suis toute petite. Je n’ai pas la prétention de dire que mon travail est de qualité, je dis simplement que c’est ma foi. J’ai toujours cru en ça. » En littérature comme dans la vie, Aurore est de nature impulsive, elle écrit d’un seul jet et retravaille rarement ses textes. Urgence de tout déballer, reflet direct de l’inconscient, elle ne privilégiera jamais un bon mot à une phrase capable de piquer au cœur. Chez elle, l’émotion et le rythme passent avant tout le reste. Lecteurs ou spectateurs, il faut leur parler au creux de l’oreille, les entraîner dans la danse. Aurore aime les inconnus et ne se lasse pas de les observer d’un œil discret dans le métro ou dans les cafés. Elle leur façonne une vie faite de peurs et de désirs.
Épilogue
Aurore touche à tous les mots : metteur en scène, écrivain, traductrice, elle travaille également dans une maison d’édition en qualité d’assistante éditoriale… Elle qui éprouve sans cesse le besoin de se fixer de nouveaux défis, multiplie actuellement les projets : un deuxième roman dans lequel il sera question de quête d’identité, la tournée de son dernier spectacle, Le Cirque de Don Juan, l’adaptation d’une autre pièce… « Suivre ses envies. » Est-il plus jolie morale pour un conte de fées ?
Ellen Salvi
Photo: Sebastien Dolidon
Ellen Salvi
Les petites morsures
Aurore Guitry
Ed. Calmann Lévy
232 p / 15 €
ISBN: 2702137555
Last modified onmercredi, 01 juillet 2009 22:50
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