Un premier roman est une promesse, et à la lecture de l’ouvrage, il nous est permis d’espérer. Sophie Aubry est non seulement comédienne, mais aussi écrivain, et c’est dans un dédale de chambres sans noms qu’elle nous invite : Louis, protagoniste de cette histoire baroque, passe mentalement de pièce en pièce, en un voyage astral qui nous emporte vers des ailleurs. Les lieux s’enchaînent dans une logique intime et inconsciente. A travers un monologue où se mêlent d’autres voix, celles de ses proches, sa silhouette se dessine peu à peu, comme sortant d’une brume, pour nous révéler sa vérité. En actrice avertie et admiratrice du cinéma des deux David, Lynch et Cronenberg, Sophie Aubry réussit à mettre en mots l’univers pictural et gothique de ses deux maîtres à penser. Passer ainsi de l’image au mot n’est pas chose aisée, mais les métaphores qu’elle invente prouve la récompense de ses efforts. “ Les papillons en haut de l’estomac se caressent les ailes entre eux ” (p.13), “ ainsi ma femme vivait comme un automate, avec un vrai cœur et un esprit verni d’une étoile au plafond ” (p.12) : proche de Boris Vian, sa prose frôle la transe du héros en la mimant presque, et nous comprenons alors que nous lisons un puzzle de séquences en plein sommeil paradoxal. Les scènes s’articulent comme dans un film où les décors changent parfois brutalement, intuitivement, comme ce dialogue dans un wagon à bestiaux, entre une jeune femme et un homme fantomatique, où l’ambiance bascule dans le fantastique. C’est que le temps et l’espace y vibrent selon une autre norme, celle du cerveau de Louis. Car nous sommes au coeur de ses pensées, conscientes ou non. Jusqu’à la fin du roman, nous ne savons pas où nous nous trouvons exactement, mais l’exactitude n’est pas de mise ici. Sophie Aubry conjugue les correspondances et conjure ce que nous prenons pour des errances. Mots et images se répondent en ses phrases, et les situations respirent le même drame en écho : dans la chambre 9, le jeune fille faisant semblant d’écouter sa mère qui conduit regarde un train où évolue le jeune femme de la chambre 12, tandis que le thème de la forêt prolifère de page en page, car la nature est vraiment un temple où de vivants piliers laissent plus souvent qu’on ne le pense sortir de confuses paroles, les mots de la lucidité inconsciente. Il est vrai que notre lecture dépend du monologue de Louis, et la parole d’une pensée vagabonde ne peut que nous perdre quelque part, mais pas n’importe où : dans l’une des dix-sept chambres où Louis se trouve certainement, et où le drame se noue comme un poing serrant les draps, qui “ doivent être blancs comme la saison ” (p.13). A vous d’entrer dans cette saison... car ce roman est le jour en pleine nuit, celle de notre triste période éditoriale qui soudain se réveille grâce à lui. Richard Dalla Rosa
Zone Littéraire correspondant
La Nuit en plein jour Sophie Aubry Ed. Desmaret 112 p / 16 € ISBN:
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