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03

Mai

2004

Monsieur Dudron
Écrit par L'équipe de Zone   
Emblematique, la figure du moine-soldat, reflet de Giorgio de Chirico dans Monsieur Dudron, roman traduit en italien en 1998, vingt ans après la mort du peintre, et qui paraît aujourd'hui pour la première fois dans sa langue originale, le français. La qualification romanesque ne doit cependant pas induire en erreur quant aux véritables intentions de l'auteur. Et le terme « traité-autobiographie » proposé par Jole de Solana dans l'indispensable postface apparaît plus approprié.

Du combat esthétique à la lutte contre la « décadence »

Successivement Monsieur Dudron, peintre éponyme et magnifié, Isabella Far, son double philosophe ou simplement narrateur complice, la personnalité de Chirico est omniprésente. Ce dernier multiplie les angles de vue - et les angles d'attaque - pour plonger le lecteur au coeur du combat qu'il a choisi de mener, ou plus précisément, pour lequel il dit avoir a été choisi. L'enjeu en est annoncé d'emblée : « Les peintres, se disait-il, aujourd'hui et même depuis quelques temps déjà, ne font plus de peinture ; ils ne peignent pas ; ils mettent des couleurs à sécher sur la toile. Or, une belle peinture n'est jamais de la couleur sèche mais de la matière teinte ».

Chirico entreprend ici le procès de la peinture contemporaine et, façon réactionnaire, celui de la perte des valeurs morales traditionnelles depuis le milieu du dix-neuvième siècle. Les interventions récurrentes d'Isabella Far servent ainsi de prétexte à Chirico pour dénoncer avec véhémence les causes de cette décadence. À cette occasion, les symboles classiques de la modernité sont convoqués et unanimement condamnés, sans jamais qu'un droit de réponse ne leur soit accordé.

Il s'agit tout d'abord de la démocratie qui favorise le nivellement des valeurs aristocratiques et exhorte le jugement commun. C'est ensuite la révolution industrielle qui permet la production de masse et supplante l'artisanat véritable hérité des maîtres anciens. C'est le commerce, son prolongement direct, qui apparaît sous la figure honnie du marchand d'art dont Chirico croit bon de préciser la confession juive. Ce sont en fait tous les facteurs qui ont favorisé l'émergence de la bourgeoisie, classe nouvelle à laquelle il manquait « un sens artistique naturel ». L'éviction des « aristocrates et autres personnages d'élite, qui, dans le passé, avaient joué les arbitres dans les arts » s'est faite au profit de l'intellectualisme, du snobisme, traits distinctifs d'un « public sans culture » qui a poussé les artistes vers la décoration.

Face à cette décrépitude de l'art noble, Chirico endosse l'habit d'un peintre idéalisé - Monsieur Dudron - dont l'existence est consacrée à retrouver ce paradis perdu. Sous la plume de Chirico, la peinture devient un véritable sacerdoce qui exige un engagement ardent et total. Cette charge d'essence supérieure et quasi-divine s'exerce au coeur de l'atelier, sorte de cellule monacale protégeant l'artiste des agressions du monde extérieur. Violent et inquiétant, ce dernier prend les traits d'une « Walkyrie à la chevelure ardente » qui enlève Monsieur Dudron pour l'entraîner à une « vitesse folle » au coeur d'un orage nocturne... Résultat, l'artiste s'isole. L'artiste s'abandonne. L'artiste dort.

De la technique picturale au souffle de l'Inspiration

L'atelier est le théâtre de l'art, de la mise en oeuvre du savoir-faire du peintre. Aux traits rapides et gauches et à la matière flasque et visqueuse qui caractériseraient la peinture contemporaine (abstraite, surréaliste...), Dudron-Chirico oppose la patiente acquisition des techniques picturales héritées des maîtres anciens, le lent cheminement du tableau maintes fois arrêté, observé, repris... Cette maîtrise technique indispensable ne se suffit toutefois pas à elle-même et n'est que le médium de la révélation. C'est la révélation - notion-clé - qui permet à l'artiste d'accéder à l'essence des choses et donne à son art une dimension métaphysique. Dans ce but, deux voies semblent ouvertes : celle de la rêverie et du souvenir telle que la pratique Monsieur Dudron, qui fait naître de sublimes visions antiques, et celle de la méditation philosophique et rationnelle telle que l'incarne Isabella Far.

Loin des -ismes et des chefs de file autoproclamés, l'artiste véritable selon Chirico n'est cependant qu'un réceptacle de l'inspiration divine : « un grand artiste est l'élu au moyen duquel le Talent universel et Divin s'exprime en une forme idéale mais compréhensible aux hommes ».

L'intention résolument pamphlétaire de ce « roman » s'explique sans doute par la violence de l'affrontement bien réel qui opposa Chirico à certains de ses contemporains, parmi lesquels les surréalistes et André Breton qui qualifia le peintre de « fasciste ». Le ton parfois acrimonieux et souvent véhément de ce texte empêche l'adhésion totale du lecteur à une vision magnifiée de la « belle peinture ». Mais l'essentiel n'est certainement pas là : retenons plutôt le témoignage fervent d'un peintre dont l'oeuvre a marqué une étape importante comme l'illustrent les mots de René Magritte à propos du tableau Chanson d'amour (in Histoire de l'art, Phaidon) : « il représentait une rupture complète avec les habitudes mentales d'artistes prisonniers du talent, de la virtuosité et de toutes les petites spécialités esthétiques : c'était une vision nouvelle ».

Olivier Dumoulin

Zone Littéraire correspondant

Monsieur Dudron
Giorgio de Chirico
Ed. La différence
175 p / 15 €
ISBN: 2729114971









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