Que peuvent avoir en commun des œuvres comme Le rouge et le noir, Madame Bovary ou le Raboliot et quatre pages quotidiennes du Parisien ? Cette substantifique moelle qu'est le fait divers. Car depuis longtemps, il questionne, ouvre des perspectives sur les motivations des gestes les plus communs comme les plus fous. Un vaste champ d'investigation pour les amoureux de la vérité. Fait divers: nm. Evènement du jour ayant trait aux accidents, crimes, délits, faisant l'objet d'une rubrique dans les médias. Inspirateur de l'une des caractéristiques de la littérature réaliste. Un simple point de départ, un générateur du processus d'écriture. La première utilisation du fait divers, c'est au journalisme qu'on le doit. C'est même lui qui le fit naître, dans les almanachs, les gazettes… On citera ici l'Affaire Callas, célébré par Voltaire, comme premier du nom. Suivront Flaubert, Maupassant, Stendhal sans oublier Zola. Quel enseignement pour les romanciers que ce fameux drame du Pecq ? Quand on a retrouvé ce cadavre roulé dans un tuyau de plomb, les lèvres fermées par une épingle de femme tous les membres liés, tortionné comme s'il avait passé par les mains des inquisiteurs, chacun eut une secousse de stupéfaction et d'horreur. Et les imaginations s'exaltèrent ; on parlait d'une vengeance d'époux outragé, et l'horrible scène était devinée ; chacun aurait pu la raconter, tant elle semblait logique, commençant par les imprécations et finissant par l’exécution. (…) La réalité est plus simple. Pas de colère : le mari trompé, depuis des années, le savait. La petite affaire se prépare en famille, s'exécute en famille, tout tranquillement, comme on met le pot-au-feu le dimanche. Guy de Maupassant, In Le Gaulois, le 14 juin 1882. Plus récemment, dans les années 30, André Gide lance chez Gallimard la collection "Ne jugez pas", où il s'empare de procès récents et célèbres. Et comment oublier De sang froid, de l'Américain Truman Capote, qui fait du massacre de fermiers du Kansas un chef-d'œuvre, un livre devenu un film. La fascination d'Emmanuel Carrère pour l'affaire Romand a donné L'adversaire, là encore un livre devenu un film. Il est vrai que le fait divers est un révélateur des ombres et des lumières de l'âme humaine. Bal tragique à… Ecrire dans la rubrique des Chiens écrasés n'est peut-être pas si has been. Comprenez: une porte s'ouvre, celle de scénariste pour le cinéma, pour la télévision. Car l'exploitation du fait divers a travers ses formes les plus diverses marchent. La toile, l'écran, la page, autant de formats dont le contenu se nourrie du fameux basé sur des faits rééls lie l'auteur au fait divers, fait de nouveau avatars. Jérôme Béglé vient ainsi de lancer une collection chez Grasset, Ceci n'est pas un fait divers. Concept: demander à une quinzaine d'auteurs de plaquer leur imaginaire, leurs peurs… à un fait divers qui les aura marqué. C'est Philippe Besson qui ouvre ce bal avec l’enfant d’octobre. Une réécriture romanesque de l'affaire Grégory. Le directeur de collection prévient: ce roman est à l'évidence inspirée de fait réel de vingt ans. Toutefois la reconstitution romanesque effectué par l'auteur l'a malmené a prêter à certains protagonistes des propos fruit de son imagination. Résultat: une polémique, qui finit par poser des questions simples selon Jérôme Béglé. Doit-on laisser une période décente avant de traiter le fait divers ? Peut-on utiliser tous les faits divers ? Y a-t-il une limite à la littérature pour l'empêcher de s'approprier des histoires vraies? D'autres supports utilisent allégrement la matière première du journal. Aussi trouve t-on dans nos belles grilles de programmes du paysage audiovisuel français un téléfilm sur le Rainbow Warrior, un autre sur le procès de Bobigny, une immersion dans l'esprit de Francis Heaulme, et un de plus pour l'affaire Dominici. D'ailleurs cette affaire Dominici a donné l'idée à Jérôme Béglé de créer la collection. pourquoi la littérature ne pourrait-elle pas s'approprier elle aussi ces faits divers ? . Dans le cas de l'affaire Grégory, Philippe Besson part d'un simple constat, celui de la justice: Christine Villemin, la maman du petit est innocente. Et pourtant les foudres des plus ou moins protagonistes s'abattent sur lui. Une délicatesse qu'avait "oublier" de prendre Marguerite Duras, le 17 juillet 1985, dans son article dans Libération Sublime, forcément sublime Christine V où elle concluait sur la culpabilité de la mère. Si la romancière n’a jamais été prise en défaut, la chroniqueuse s’est là méchamment pris les pieds dans le tapis. A trop se jouer de la réalité… Pour mémoire, il y a eu 5705 Grégory baptisés en 1984, moitié moins deux ans après. Quelle mère aurait pu nommer son enfant comme le petit noyé de la Vologne ? En maniant l’inconscient collectif, l’écrivain se mesure à des forces plus grandes que son imagination. A moins que cette dernière ne reprenne le dessus. C’est ce que proposait Douglas Coupland dans l’excellent Hey Nostradamus, relecture décadrée du massacre de Columbine. Selon Jérôme Béglé On peut juger un livre sur sa qualité littéraire, mais chercher une polémique autour du choix du sujet, j'ai plus de mal à le comprendre. A suivre en mai, « Les coeurs autonomes », de David Foenkinos sur l'affaire Florence Rey une sortie plus calme j'espère. Alors il faut trancher. Le journalisme romancé ou roman factuel ? Simplement un traitement littéraire imprégné de l'imaginaire. Autopsie Dans ce qu'il de plus tragique le fait divers s'étire de manière différente. Jusqu'à ponctué nos lectures du journal de perles d'humour noir jubilatoire. Se défendant d’abord de la puissance narrative de ses petits bijoux de médecine légale, Edouard Launet avoue enfin avoir été approché par des sociétés de production Tv pour racheter les droits de Viande froide et cornichons, précis insolite de la mort sous toutes ses coutures. Evidemment ! Combien de scénaristes auraient l’idée de suicider leurs personnages avec une scie à main, un stylo, une perceuse, une pelleteuse ou du scotch… Aucun certainement… La réalité a décidément beaucoup d’imagination, et la mort un talent fou pour l’humour noir. Pour preuve : 18 mars 2006, le maire de Pradelles, petit bourg du Nord harcelé par les voitures, vient constater les dégâts faits par une voiture qui s’était encastré dans une des maisons du patelin. Il réclamait à corps et à cris, depuis 1995, l’installation d’un ralentisseur ou d’une signalisation sur cette grand’route. Prudent, il traverse sur les clous pour accéder au sinistre. Que croyez vous qu’il arrivât ? Le maire se fait renverser et en meurt. Christ de la Nationale, agneau sacrificiel de la DDE. " A l’époque d’Au fond du labo à gauche [son précédent recueil, Ed. Seuil], l’idée était d’écrire les faits divers de la science. Quelques histoires ont bien fait marrer les gens du Seuil, dont celle des suicides aux feux d’artifices" , se souvient Edouard Launet. La force du fait divers est celle de tout ramener au porte monnaie, au cul et à la grande faucheuse, fondations de toute intrigue croustillante. Avec un vernis social –lutte des classes, campagne profonde, tabous culturels – la baraque narrative tient debout toute seul. Comme l’entrepreneur consciencieux, le fait divers fournit le matériel et le tour de main. Un peu d’habillage, un rien de distanciation narrative ou d’analyse freudienne pour les finitions et le tour est joué. " La force du fait divers est dans la généralité, la lecture sociale qu’il peut y avoir derrière. J’ai pu m’en rendre compte lors de mon reportage sur les familles des victimes du Klein Familie : le fait divers légitime le journaliste, il permet son intrusion dans la vie quotidienne. On peut profiter de ce moment de réel… », analyse le journaliste. Il est précieux au romancier pour cette même raison : une fois dans le pied dans la porte, il pénètre de plein droit dans l’intimité, avec le sceau de la véracité. Une sorte de « collision intime », pour reprendre l’expression de Philippe Besson. "Le problème du mélange entre la fiction et le fait divers est que la fiction insère tout dans une certaine logique. Il est facile de s’y prendre les pieds, comme Bernard Henri-Levy a pu le faire avec la mort de Daniel Pearl" , analyse Edouard Launet. Quand il s’agit de fouiller dans les marigots, le racolage et le misérabilisme ne sont évidemment jamais loin. "Le fait divers par définition sort de l’ordinaire, c’est ce dont se nourrisse les journaux". A Libération [après être passé par la case ingénieur, Edouard Launet est devenu journaliste au service culture à Libération], on a une autre tradition du traitement du faits divers, avec une couleur plus politique. Certains journalistes l’ont exploité dès le départ dans une veine plus littéraire. L’idée était de traiter le fait divers comme une histoire. Il n’y a pas vraiment d’intermédiaire à Libé, c’est une brève ou un vrai papier. » Cette manière très insidieuse qu'a le fait divers de s’immiscer entre la narration et le reportage, la fiction et la réalité, la capacité qu’il a à convoquer l’inconscient collectif d’un mot, d’un lieu, d’un nom, est attirante mais vénéneuse. De toute évidence continuons de rassembler les membres, éparpillés sur le trottoir, tièdes ou même froids, de ces chiens écrasés. Charles Patin o'Coohoon et Laurent Simon
Zone Littéraire correspondant
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