Arnaud Cathrine, mélancolique heureux

Arnaud Cathrine est un écrivain trentenaire qui se produit régulièrement sur scène. Benjamin Lorca est un écrivain trentenaire qui se produit régulièrement sur scène. Et finit par se suicider. L’envie d’en finir, voilà ce qui sépare l’auteur de son personnage et rend impraticable le raccourci autobiographique que beaucoup de journalistes ont pourtant emprunté. Loin de l’image du créateur désabusé trainant son désespoir, son teint pâle et sa mine renfrognée dans les rues sombres de la capitale, c’est un jeune homme souriant et bronzé par le soleil du Lavandou que nous avons rencontré ce samedi d’avril, dans un bar du xi^e arrondissement de Paris. D’entrée de jeu, Cathrine tranche la question de l’autobiographie : « Il ne s’agit pas d’un livre autobiographique ou, en tout cas, il ne l’est pas plus que les précédents. Il y a certaines ressemblances dans la fable car, pour sonner juste, il faut être proche de soi, mais rien de plus. » Pour construire le personnage de Benjamin Lorca, ou plus exactement créer son fantôme, l’auteur s’est inspiré d’une figure esthétique qui le fascine, mais ne lui ressemble guère : le mélancolique. « Ce livre a de prime abord inquiété mon entourage. Il a fallu que je les accompagne à la lecture parce qu’il y a quand même au centre un personnage suicidaire. J’ai dû leur expliquer que ce n’était pas moi. Ils m’ont posé des questions et c’est normal. Ce n’est vraiment pas facile d’avoir un fils qui écrit », concède-t-il.

Littérature morale

Arnaud Cathrine apprécie la solitude de sa chambre d’écrivain, ces heures passées à fumer des cigarettes et à se relire incessamment en se laissant bercer par les pièces instrumentales de Max Richter, la musique de Wim Mertens ou, plus généralement, le silence. « J’étais très désireux de retrouver l’écriture car je sortais de deux ans de tournée avec Frère Animal. Cette expérience m’a vraiment rempli de bonheur, mais j’avais en même temps très envie de me retrouver seul, face à mon texte. » L’auteur s’attaque donc à l’écriture du Journal intime de Benjamin Lorca, une idée vissée à l’esprit : parler du deuil. Si le sujet traverse déjà ses précédents romans, jamais il ne l’avait abordé ainsi : « J’ai écrit sur le deuil avant de connaître un deuil en particulier. L’amorce de Benjamin Lorca a été la dernière partie, celle de Ninon. Je crois que je voulais me décharger de quelque chose. C’est après que j’ai construit le personnage, après aussi que je me suis dit que ce roman pouvait rejoindre des préoccupations que j’avais sur l’autobiographie et l’autofiction. » Des préoccupations qui n’en finissent pas de revenir, et dans les livres, et dans la conversation de Cathrine qui vient tout juste de terminer la lecture de l’essai de Chloé Delaume, La Règle du je (Puf), un texte « libre et malicieux, comme l’est souvent Chloé d’ailleurs ». L’auteur connaît les limites de l’autofiction. Dans son imaginaire flotte un « livre impossible », ouvrage trop franc et trop difficile à écrire. La littérature fait preuve de morale, impossible donc d’exposer en place publique ce qui relève de l’intime. Cette parole crue, lui préfère la confier à son propre journal qu’il tient de façon irrégulière et dans lequel il consigne les secrets auxquels n’auront sans doute jamais accès ses lecteurs : « Quand on écrit, on a toujours un statut, une responsabilité. Il faut faire attention à ce que l’on fait ou alors, on fait ses choix en conscience. Henri Calet, que je cite constamment car c’est l’un de mes auteurs préférés, a choisi d’écrire Monsieur Paul en sachant pertinemment que cela détruirait aussi bien son ménage que son fils. Il a écrit un livre magnifique. C’est tout le paradoxe : écrire des livres magnifiques et tout foutre en l’air autour de soi. Pour ma part, je n’ai pas envie de foutre ma vie en l’air donc j’écris des romans et pas autre chose. » Il confesse avoir déjà été « pris en otage » dans certains livres, une situation désagréable qu’il prend désormais soin d’éviter : « Il y a des écrivains que je ne fréquenterais pas. Je n’ai pas envie de me retrouver dans un livre de Christine Angot. »

« Faire vie »

S’il distingue la vie de la fiction, Arnaud Cathrine reconnaît que les deux restent étroitement liées et ferait volontiers sienne l’assertion de Chloé Delaume qu’il a noté dans La Règle du je : « Je ne cherche pas à faire œuvre, mais surtout à faire vie. » Qu’importent les honneurs, les panthéons littéraires et le qu’en dira-t-on. Ce lecteur de Sarah Kane, Jean Rhys et Roland Barthes prétend simplement mieux vivre en écrivant. La matière de ses romans, il la puise dans le quotidien, source d’inspiration intarissable. Quand il n’écrit pas, Cathrine est en tournée avec « sa tribu », comprenez Florent Marchet, Valérie Leuliot, Nicolas Martel et autres « frères animaux ». Le reste du temps, il travaille pour les festivals « Paris en toutes lettres » et « Les Correspondances de Manosque ». Son rôle de conseiller littéraire lui permet en outre de lire ses contemporains : « J’ai envie de me situer dans des fraternités, des cousinages, des oppositions, voire des hostilités. Certains écrivains de ma génération partent en écriture sans autre culture littéraire que quatre BD et trois films américains. Dans ce cas, l’indigence apparaît souvent très vite. Je suis un énorme bosseur et quand je lis un texte un peu paresseux, un peu dandy désinvolte, cela m’exaspère. » Ce travailleur insatiable adapte actuellement Frère Animal pour le cinéma et devrait à cette occasion endosser un nouveau costume, celui de réalisateur. « La grosse flip », confie-t-il comme un gamin timide. En parallèle, il entame son nouveau roman, dont il ne dira presque rien : « Je viens tout juste de le commencer et je ne suis pas sûr qu’il ne finira pas à la poubelle. J’ai deux chapitres, donc aucune sécurité. C’est comme quand on sort avec quelqu’un : au bout de deux semaines on ne sait franchement pas ce que ça va donner. Je peux juste dire que je suis reparti d’une nouvelle que j’ai publiée dans Télérama en décembre dernier. » Aujourd’hui, cet enragé d’activité partage son temps entre sa tribu et sa solitude, son appartement parisien et sa maison de famille en Normandie. Un brin schizophrène peut-être, mais heureux. Loin, très loin de Benjamin Lorca.

Propos recueillis par Ellen Salvi
Photos :  Nicolas Wintrebert

Quand Zone parlait déjà d'Arnaud Cathrine à travers un portrait et la chronique de son précédent roman.

 

Le journal intime de Benjamin Lorca
Arnaud Cathrine
Éditions Verticales
195 pages - 16 euros