Serge Safran éditeur : un venu pas si nouveau sur la scène littéraire française
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Qui dit rentrée littéraire dit premiers romans et donc nouveaux entrants. Mais s’ils sont évidemment à chercher du côté des romanciers, l’attention mérite aussi d’être portée sur ceux qui les ont repérés, retenus et accompagnés dans cette aventure éditoriale. À noter parmi les nouvelles couvertures de cette année : celles, sobres, blanches, de Serge Safran éditeur.
Serge Safran n’est pas exactement un nouveau venu dans l’édition française : cofondateur des éditions Zulma, dont il continue à être directeur littéraire, il a une connaissance aiguë du petit monde de l’édition française pour être également auteur et avoir longtemps collaboré au Magazine littéraire.
Ceci étant dit, son véritable moteur est le rôle de découvreur de plumes venues d’ailleurs (il a notamment apporté de nombreux projets de livres coréens chez Zulma) ou d’ici (dernier succès en date : Là où les tigres sont chez eux de Blas de Roblès, prix Médicis 2008). Mais un auteur étant rarement celui d’une seule œuvre et le catalogue d’un éditeur non infiniment extensible pour d’évidentes raisons économiques, les possibilités de prospections et de publications de nouvelles plumes tendent à se tarir dès lors que les auteurs « maison » se font prolixes.
L’idée a ainsi mûri progressivement, à partir de ce constat et l’envie de faire émerger de nouveaux talents de littérature française contemporaine, de lancer un nouveau projet éditorial qui offrirait une scène, une visibilité à de nouvelles voix.
Pas une maison d’édition – la gestion en serait trop lourde, l’emporterait sur le métier d’édition en tant que telle, et il n’y tient pas – ni une collection. Mais un label, à l’image de L’Arpenteur chez Gallimard par exemple. Autrement dit, Serge Safran bénéficie des services de fabrication, d’impression et de diffusion-distribution de Zulma, mais ses livres sont imprimés dans un format et sous une couverture – très sobre – qui lui est propre.
Quant au reste, qui n’est pas rien, Serge Safran a dû (ré)apprendre à tout faire, et revêtir différentes casquettes au fil de l’aboutissement et de la matérialisation du manuscrit.
D’abord directeur littéraire – ce qu’il préfère – il oriente et conseille ses auteurs en leur faisant retravailler leurs manuscrits. Il suit ensuite les différentes étapes de correction et de fabrication du livre et le présente aux représentants, qui eux-mêmes en parleront aux libraires. Vient ensuite la phase de promotion auprès de la presse, défi d’autant plus élevé lorsque la maison est encore inconnue, et la production par conséquent difficile à identifier, catégoriser d’emblée. Sans oublier les relations avec les libraires, garants de la présence et de la vente effective des livres ! Serge Safran, nouvel homme-orchestre, aurait-il eu les yeux plus gros que le ventre ? Il confesse une certaine fatigue, une énorme activité mais aussi des découvertes particulièrement enrichissantes, parmi lesquelles le travail avec les libraires, nouveau pour lui, et absolument nécessaire.
Et s’il est seul à tout assumer ou presque, son atout tient aussi au rythme de publication qu’il s’est fixé : avec un livre tous les quatre mois environ, pas de risque d’inonder le marché. Un seul titre à défendre à la fois, ce qui garantit une certaine disponibilité a priori de l’auditeur.
L’aventure a commencé au printemps dernier avec un recueil de nouvelles de Dominique Paravel : Nouvelles vénitiennes. Un genre souvent peu plébiscité par les lecteurs français mais un thème, Venise, qui l’est beaucoup plus, et que les libraires ont soutenu. Quelques mois après sa sortie, il n’est certainement pas un best-seller mais se défend plus qu’honnêtement en librairie. De quoi permettre à Serge Safran de le laisser voler de ses propres ailes et de concentrer son attention sur son roman « russe » de la rentrée : La Maison Matchaïev de Stanislas Wails. Premier roman parmi les 74 autres de cette rentrée de septembre. En attendant celle de janvier pour laquelle il annonce un autre nouvel auteur…
La machine est donc lancée, le projet ficelé – littérature française car les coûts de traduction ne pourraient être envisagés, contemporaine – mais pas figé pour autant.
Parti avec l’idée de publier uniquement des premiers romans, se dessine l’idée de poursuivre une politique d’auteur et d’accompagner les nouveaux venus repérés au fil de leur trajectoire littéraire. Ainsi Serge Safran ne s’interdit pas, s’il juge le prochain d’une de ses recrues plus en accord avec la ligne éditoriale de Zulma, de proposer un tel transfert. Serge Safran éditeur pourrait ainsi jouer le rôle de tremplin pour un auteur avant une publication dans une plus grande maison.
Un label qui apparaît donc comme un laboratoire où les premières expériences viennent d’atteindre leur terme tandis que les prochaines participent d’un affinement, d’un tâtonnement qui est le propre d’une entreprise de création.
Déjà, il envisage de ne pas forcément se limiter au nombre de parutions annuelles initialement fixé à trois par an. Car si publier a un coût, obtenir une certaine visibilité dans les médias et exister en librairie nécessite aussi une certaine fréquence de publication, au risque sinon de sombrer dans l’oubli. Le cadre est donc fait pour être élargi, gagner en profondeur de champ. On ne peut que l’encourager dans cette direction, et rester attentif à cet appel à davantage de curiosité.