Impossible autoportrait
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Miki s'apprête à voler l'existence de Sapiro, escroc de génie, et la mission de ce dernier : reproduire une copie vraisemblable de l'autoportrait de Gumpp. Si le vrai peintre se fait faux faussaire, où trouver encore une œuvre « véritable » ?
Qui n'a pas rêvé de pouvoir se contempler comme une tierce personne ? Preuve en est la longue liste d'autoportraits qui jalonnent l'histoire de la peinture et de la photographie. Se voir de l'extérieur permettrait peut-être de mieux se comprendre et de donner la bonne direction à son existence. Oui mais... « Je » est insaisissable ; notre corps est un « tas de viande » qui nous est étranger, et plus nous cherchons à nous saisir plus nous nous perdons de vue. « Dès l'instant que vous vous regardez pour faire votre autoportrait, vous ne vous voyez plus vous-même », affirme l'écrivain, Benny Barbash. Si la quête existentialiste de Miki, protagoniste principal de Monsieur Sapiro, est donc perdue d'avance, le roman, lui, est une vraie réussite...
Mauvaise foi
Dans le bar d'un hôtel israélien, une serveuse annonce un appel pour un certain M. Sapiro. Miki, cinquantenaire désabusé, devenu publicitaire par dépit et vivant avec une femme qu'il n'aime plus mais n'arrive pas à quitter, y voit l'opportunité de quitter sa misérable existence pour celle du mystérieux inconnu. Saisira-t-il cette chance ?
Si le récit qui se déroule ensuite est réel ou fantasmé, l'écrivain ne tranche pas... Miki prend la communication et la voix au bout du fil - une voix de femme qui attire d'emblée Miki - lui apprend que M. Sapiro est un faussaire de très haute volée. Une commande lui est faite : celle de reproduire l'autoportrait du peintre Johannes Gumpp. Commence alors un vertigineux travail de dédoublement et de mise en abîme. Miki, peintre à la vocation contrariée, endosse l'identité du faussaire, M. Sapiro, pour réaliser une imitation du Triple autoportrait de Gumpp. Comment le peintre raté parviendra-t-il à remplir le contrat ? Quelle marge de manœuvre Miki possède-t-il pour ne pas reproduire les mêmes erreurs dans sa nouvelle peau et transformer la fuite initiale en nouveau départ ? Résistera-t-il à la fascination du moi auquel le travail qui lui incombe le ramène une fois de plus ?
Entre roman existentiel et thriller, Benny Barbash navigue à merveille. Avec un maniement accompli de l'ironie, il dresse un portrait à la fois cruel et drôle d'un homme incapable d'assumer ses échecs, d'exercer son libre arbitre. Miki est un loser, un sale type qui se venge sur sa femme de la haine grandissante qu'il éprouve pour lui-même, un « lâche » en un mot. Un lâche qui ne manque pas de superbe d'ailleurs ! Ses discours sur l'art du portrait offrent de très belles pages, profondes et brillantes à la fois. Les tours de force qu'il réalise pour échapper à l'évidence de sa mauvaise foi nous ramènent irrémédiablement à nos propres compromissions et nous font complices de sa débâcle. Quant à la morale à retenir du livre de Benny Barbash, elle est salutaire : au fond, le plus grand danger que court un être humain est de ne pas prendre de risques.
Monsieur Sapiro
Benny Barbash
Traduit de l'hébreu par Dominique Rotermund
Editions Zulma
351 pages - 22 €