Home ou le souffle de la vie
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Home est l'une des plus belles « fleurs du mal » du Prix Nobel de littérature 1993, Toni Morrison. Une beauté et une violence inouïes, qui marquent durablement.
Douleur et éblouissement... Tout le génie littéraire de Toni Morrison tient dans cette capacité à restituer l'intensité de l'existence humaine, sa violence émotionelle. De L'œil le plus bleu à Un don, Toni Morrison raconte inlassablement l'oppression de la communauté afro-américaine, avec la passion d'un porte-parole. Au-delà de ce leitmotiv pourtant, c'est la nature humaine qui est mise à nue, et l'inexplicable vitalité d'êtres soumis aux pires atrocités qui est contée. « Contée », car on ne peut pas ranger la grande dame des lettres américaines dans la catégorie des auteurs réalistes : tout est souffle, tout est chant ici... L'instinct de survie des personnages est une simple épure, que la narration sert à exacerber.
Home, l'un des grands événements de cette rentrée littéraire, s'inscrit dans la continuité de cette œuvre. L'écriture en est plus dense, peut-être plus puissante encore, à la frontière du poème par instants. Fait nouveau : le protagoniste principal est un homme, Frank, vétéran noir de la guerre de Corée. De retour aux États-Unis, un autre « enfer » l'attend : celui du stress post-traumatique, conséquence directe des massacres et des tortures de la guerre auxquels il a assisté. Frank n'a jamais quitté le champ de bataille ; c'est un être hanté, incapable de rattraper la communauté des vivants. Il lui faudra pourtant bien vivre... Car sa petite sœur, Cee, se prépare sans lui à une existence des plus difficiles, dans une Amérique des années 50 où la ségrégation fait rage. Les deux jeunes adultes, déjà très abîmés par leurs quelques années sur Terre, sont l'un pour l'autre la seule famille, la seule maison (Home) qu'il leur reste... et leur unique espoir de résilience.
Toni Morrison creuse toujours plus profond pour dire l'indicible, pour délivrer une sorte d'émerveillement face à l'horreur vécue. Objet de nombreuses œuvres cinématographiques, aucun écrivain auparavant n'avait su dépeindre avec autant de subtilité cet état de « mort-vivant » des hommes qui reviennent de la guerre... Ni imposer avec autant de force la nécessité de trouver un moyen de vivre, malgré tout.
Home
Toni Morrison
Traduit de l'anglais (États-Unis) par Christine Laferrière
Ed. Christian Bourgois
17 € - 154 p.