Les Rencontres de Zone : Cyrille Martinez, tout un poème
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Cyrille au masculin... Un prénom qui sonne d'ores et déjà comme un poème. En fait, on pourrait presque qualifier notre auteur de "drôle de poète sérieux".
La poésie, c'est une voix que l'on travaille, des mots que l'on fait jouer... C'est une langue réinventée, des expressions bancales qui sonnent justes, qui s'entrechoquent, qui surprennent, qui se répondent. Mais ce peut tout aussi bien être une attitude, une trajectoire de vie qui sort de l'ordinaire... Deux jeunes artistes au chômage, c'est un peu tout cela : un récit, une fiction, un long poème en prose, peut-être. En tous cas, pour Cyrille Martinez, c'est très clair : on peut très bien vivre sa propre poésie tout en s'inscrivant dans la modernité...
Les rencontres Zone littéraire ont toujours quelque chose d'intriguant : c'est-à-dire qu'on peut très bien se retrouver là, aux Pères populaires, dans une cacophonie ambiante et une musique tintinnabulante de bruits de verres et de couverts, entouré de jeunes Parisiens venus se détendre pour prendre un verre... et mener un entretien tout en même temps. En face de moi, Cyrille Martinez est à la fois un peu timide et franchement enjoué. Tour à tour rieur puis souriant, notre auteur est réellement habité par sa propre poésie... Quand je lui pose la question de sa définition de "l'artiste plasticien" , qui m'a toujours laissé perplexe, sa réponse est décomplexée : « Bof, ce n'est qu'un terme générique, un peu fourre-tout !»
Une évidence m'apparaît, qui devient persistante : Cyrille doit savoir qui il est. Moi qui suis très imprégné par la question des retours critiques, littéraires ou artistiques, j'aime les personnalités vivantes et affirmées... Une première question : la critique peut-elle nous définir ? Cyrille est confiant : « C'est amusant de voir que ce sont les autres qui essaient de t'identifier... J'ai été à Marseille, et j'ai très vite été identifié à la poésie. Ça se définit par le milieu dans lequel tu évolues, en termes de pratiques : c'est d'ailleurs comme ça que j'ai commencé. À travers mes lectures, mes performances... »
Les questions affluent alors : qu'en est-il de sa propre inspiration (ce mot galvaudé) ? Peut-on se sentir très vite « conditionné » dans ce que l'on aspire à être, à devenir ? « Il y avait un centre de poésie à Marseille, beaucoup d'auteurs y passaient. J'y ai vu un certain nombre de pratiques. Le premier auteur qui m'a marqué, ça a été John Giorno. Je lui rends d'ailleurs hommage dans le livre. Ce qui définit un auteur, souvent, c'est la vocation... En matière de poésie, il n'y a pas de cours ! On n'apprend pas... » On impose sa vision, en somme : on pique çà et là des morceaux d'anthologie pour s'en imprégner, et on passe à soi....
L'art du détournement
En littérature comme en musique, Cyrille aime reprendre des discours existants (politiques, entre autres) pour se les réapproprier. Il les remanie, les transforme, les fait siens... Avec son groupe, Jaune sous marin, la technique consistait, jusqu'à présent du moins, à reprendre des chansons pop et à les retravailler, sous forme de traductions littérales... Mais toujours dans une perspective et un souci de réécriture : « Ce qui est marrant, dans le détournement, c'est qu'il y a très vite un regard bizarre qui se crée... Le lecteur, l'auditeur se pose des questions. C'est une nouvelle lecture critique, finalement ! Mais je reste définitivement ancré dans la pratique du texte. Je suis bien moins dans la théorie : je peux l'utiliser comme un outil, comme une clé de douze : je m'en sers, et je la repose. Je ne suis pas un universitaire. »
On le sait, l'écriture peut parfois (souvent) revêtir des aspects politiques., Cyrille me l'affirme d'ailleurs : être un poète d'aujourd'hui, se construire comme tel, c'est s'inscrire dans une minorité... Une minorité qui manquerait de visibilité. À la différence de la province, il existerait trop peu de lieux parisiens pour faire connaître la poésie. Une forme d'art underground ? On est en plein dedans : Deux jeunes artistes au chômage pourrait, à première vue, laisser promettre une fiction politique sur les intermittents du spectacle... Il n'en est rien : les personnages de Cyrille Martinez sont warholiens, tous droits sortis d'un imaginaire pop où tout est hors-cadre, hors-genre, hors-norme.
Dans ce petit ouvrage très décalé, le détournement est partout : on croit pénétrer des lieux, on pense entrer dans du commun, mais l'effet de surprise est saisissant... « Tout est parti de l'histoire de « Sleep » [cette vidéo performance d'Andy Warhol, dans laquelle John Giorno est filmé en train de dormir... pendant huit heures]. Le dormeur ne se réveille pas... J'ai trouvé l'idée marrante ! J'ai simplement travaillé sur cette idée là. En fait, Deux jeunes artistes au chômage, c'est un récit plus qu'un roman... Ce que j'ai essayé de faire, c'est que les parties fonctionnent de manière indépendante ; les quatre chapitres traitent respectivement de l'utopie, du travail, de l'amour et de l'art. Les thèmes sont bien évidemment entremêlés, mais le sujet est posé dès le départ, jusqu'à l'épuisement... Et puis ça repart. »
Ainsi, le récit obéit à un canevas savamment maîtrisé... C'est d'ailleurs de cette façon que Cyrille travaille ses textes : pratiquement entre 9h et 20h, dans une vraie discipline et une rigueur toute professionnelle. « J'ai envie de rester dans le récit, c'est une forme qui me plait. Je vais persister. Ce texte m'a pris deux ans. Quand j'écris, je travaille et retravaille le texte, je réécris beaucoup. J'écris sur une idée pendant quelques mois, et quand je suis arrivé au bout, que je vois que je n'arrive plus à rien, j'arrête ; j'écris autre chose. Et j'y reviens par la suite... Dans le fond, j'ai toujours l'idée qu'il faut savoir ce que l'on va faire ensuite. Après, bien sûr, il y a des tas de projets qui ne se font pas ! » A la fois rigoureux dans sa démarche d'écrivain, et tourné vers le léger... Il le dit d'ailleurs lui-même : « Entre le sérieux et le rire, je choisis le comique ! »
Deux jeunes artistes au chômage
Cyrille Martinez
Buchet-Chastel, collection « Qui-vive »
130 p. – 15 €