Paroles de femme
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Cinq ans après la parution du Cœur cousu- le roman aux neuf prix littéraires ─, Gallimard publie Du domaine des Murmures. Une éblouissante confirmation du talent de conteuse de Carole Martinez.
Le meilleur de ce que des années de suprématie du récit à la première personne dans la littérature française peut produire – l’écriture de l’intime parfaitement maîtrisé –, allié aux plus belles audaces narratives du conte ou du roman… Voilà ce qu’inspire la lecture de Du Domaine des Murmures. Le premier livre de Carole Martinez, Le cœur cousu, édité par Gallimard en 2007, n’avait écopé de rien moins que neuf prix littéraires. Il faut bien le dire : l’opus ne ressemblait à rien de ce qui était paru en France depuis bien longtemps. Son secret ? Le retour à une imagination libérée des problématiques de véracité. Cinq ans après, la jeune française d’origine espagnole sort chez Gallimard son deuxième roman pour adulte. Du domaine des Murmures égale en beauté Le cœur cousu ; c’est là un véritable tour de force !
Un paradoxe fructueux
Du domaine des Murmures prend racine dans la France du XIIe siècle. Carole Martinez donne voix à Esclarmonde, la fille du châtelain du domaine des Murmures, enfermée à vie dans une cellule attenante à la chapelle du château. Son père entend ainsi la punir de son insoumission. Pour quel crime ? Celui d’avoir refusé d’épouser l’homme auquel elle était promise et d’avoir déclaré préférer une union à Dieu. Son seul contact avec le monde sera donc désormais une petite fenêtre barrée de fers. Mais la veille de sa réclusion, la belle Esclarmonde se fait violer, et la prison qui devait faire d’elle l’épouse solitaire du Christ la précipite dans une maternité rendue plus fusionnelle encore par l’isolement. Cette maternité, elle devra néanmoins trouver le moyen de la vivre tout en assumant la responsabilité de sainte, de vierge bienfaitrice du domaine des Murmures… Le sujet peut rebuter a priori. À tort ! Nulle austérité, nulle idéologie dans ce roman. De sa fenêtre parviennent à Esclarmonde les paroles d’autres recluses, des récits de guerres, des histoires d’hommes et de femmes qui s’affranchissent d’un destin trop prévisible pour venir grossir le rang des légendes. C’est tout le paradoxe du roman : le statut d’Esclarmonde lui permet de recueillir les confidences de pèlerins venus des quatre coins du pays. Le récit de l’emmurée vive se voit ainsi nourri des histoires hautes en couleurs des gens de passage, ainsi que des confidences des habitants du domaine.
Grandeurs et misères des femmes
À sa sortie, Le cœur cousu avait été comparé à Cent ans de solitude. C’est tout dire des qualités littéraires de Carole Martinez... Du domaine des Murmures est de la même teneur. Il y a effectivement quelque chose de Gabriel Garcia Marquez dans cette imagination qui ne s’impose aucune limite, dans ces histoires épiques d’hommes et de femmes aux destinées extraordinaires. Dans cette soumission à un travail stylistique que l’on devine titanesque, aussi. Mais le lecteur découvrira avec Du Domaine des Murmures une plume radicalement nouvelle. Si la question de l’existence d’une « écriture féminine » est récurrente dans les débats des critiques, Carole Martinez donne ici la preuve éclatante qu’il en existe belle et bien une. Et ce sans jamais verser dans le caricatural, la supplique ou la réclame. Elle donne notamment à lire l’enfantement dans toute sa complexité : « pas seulement une torture physique, mais une peur attachée comme une pierre à une joie intense ». À l’instar du Cœur cousu, Du Domaine des Murmures dresse ainsi le portrait d’un personnage féminin érigé en exemple vivant de volonté. Deux héros qui sont des mères avant tout, exposées à toutes les violences et dont l’amour vient décupler le courage. À la fois saintes et sorcières, leurs paroles sont chargées d’un pouvoir immense et leur légende se propage irrésistiblement. Et quand Carole Martinez vient nous dire en confidence : « Certes ton époque n’enferme plus si facilement les jeunes filles, mais ne te crois pas pour autant à l’abri de la folie des hommes », le récit d’Esclarmonde prend des allures de fable. L’écrivain a annoncé une série de récits de paroles de femmes. Nous guettons désormais la sortie de son prochain livre, en espérant toutefois qu’elle prenne tout son temps afin de donner naissance à une nouvelle merveille.
Du domaine des Murmures
Carole Martinez
Ed. Gallimard 200 p. - 16,90€