06 Jui 2011 |
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Jouant à détourner les codes du roman initiatique Tiziano Scarpa donne à lire le passage à la vie adulte de Cecilia sous la forme d'un conte macabre peu à peu envahi par la musique.
Abandonnée par sa mère à la naissance, Cecilia a été recueillie par l’orphelinat de l’hospice de la Pietà, à Venise. C’est dans un univers limité aux murs de l’hospice, où le seul personnage de sexe masculin qui lui ait été donné de fréquenter est le maître de musique, qu’elle a grandi pour atteindre l’adolescence. Sans contact avec le monde extérieur, ne parvenant pas à se lier d’amitié avec ses camarades, la jeune fille évolue dans la plus grande solitude. Son seul bonheur est la musique : chaque jour, à la messe, elle peut laisser s’exprimer son talent de choriste et de violoniste. Lorsque le poussiéreux maître de musique de la Pietà, don Giulio, est remplacé par le peu orthodoxe Antonio Vivaldi, la vie de Cecilia va prendre un tournant décisif. Quand macabre et drôlerie vont de pair Stabat Mater, lauréat 2009 du prix littéraire Strega, est un objet non identifié... Il s’agit d’un texte qui s’apparente au roman d’introspection par certains aspects et au roman initiatique par d’autres. Mais un roman initiatique qui serait construit à l’envers des modèles du genre. L’arrivée de Vivaldi, seul « événement » à proprement parler du texte et élément déclencheur de la quête du vaste monde par l’héroïne, survient aux deux-tiers du livre. On l’aura compris : le rebondissement romanesque n’est donc pas ici le moteur de l’écrivain… Reste un texte ambitieux, qui emprunte aux artifices du théâtre – dans lequel Tiziano Scarpa a déjà fait ses preuves – et au conte pour déployer le merveilleux de l’enfance. Un merveilleux volontiers macabre… Dans son infinie solitude, les trois seules compagnes de Cécilia sont la statue de la Vierge – à laquelle l’adolescente adresse de douloureuses prières avec son violon –, le fantasme de sa mère, à qui elle écrit la nuit en cachette, et… sa propre mort. Une « tête aux cheveux de serpents », « douce et implacable », qu’elle questionne longuement sur les hommes, sur la vie, sur son devenir. Les apparitions et disparations de ce personnage fascinant rythme le livre, et égrène le récit de réflexions métaphysiques. De son existence désolée, où toute connaissance se limite aux préceptes de la Bible, Cecilia saisit le moindre indice pour déduire des vérités absolues. Son interprétation toute personnelle des choses donne lieu à une réécriture des mythes de l’origine du monde et de la vie humaine aussi drôle qu’inattendue… Un pur bonheur ! De la musique « descriptive » On ne met pas en scène Antonio Vivaldi sans une intention bien précise. Détracteurs de la théorie de la musique « descriptive », ce roman est pour vous. Stabat Mater est un vibrant hommage au maître italien ; mais si Tiziano Scarpa attaque des générations entières de mélomanes ayant jugé « faciles » les concertos de Vivaldi, il se montre encore bien plus dur avec les lectures mièvres qui ont encore cours. Ainsi, n’en déplaise aux maîtres de musique de tout poil, il n’y a pas de musique descriptive… Car « c’est infantile d’imiter les bruits du monde sur nos instruments, quand la musique ne peut imiter que nos idées ». Toute autre croyance est le fait d’un esprit pauvre, tout autre postulat n’est qu’imposture. Ceci dit, le génie de Vivaldi tient précisément dans ce tour d’illusionniste. Stabat MaterTiziano Scarpa Traduit de l’italien par Dominique Vittoz Ed. Christian Bourgois 141 pages - 14 euros
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