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En qu�te litt�raire
| | El �ltimo lector David Toscana Zulma
| Prix éditeur 18.00 euros
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La plupart du temps, c�est de l�eau que l�on va chercher au fond du puits. � Icamole cependant, la s�cheresse s�vit. Aussi, la seule chose que Remigio parvient � extraire du sien est le cadavre d�une jeune fille. Et le Mexique n��tant pas la patrie de Sherlock Holmes, la litt�rature pourrait bien �tre la meilleure alli�e dans l�entreprise d��lucidation qui s�engage�
Un vent sec comme la mort souffle sur Icamole. � tel point que, depuis quelque temps, la carriole de Melquisedec qui assure le ravitaillement hebdomadaire du village en eau, est attendue comme le messie. Miraculeusement, un �lot de fertilit� subsiste toutefois sur le terrain de Remigio dont le puits contient encore une nappe d�eau sens�e pouvoir assurer son hydratation, son hygi�ne et l�arrosage de ses modestes plantations pendant quelques semaines encore. Or donc, un jour, en d�pit de ses calculs, le seau appara�t d�sesp�r�ment vide apr�s s��tre heurt� � une surface molle qui n�est autre que le cadavre d�une jeune fille totalement inconnue de lui.
Veuf, biblioth�caire et accessoirement p�re de Remigio, Lucio est le seul � recevoir la confidence de sa macabre d�couverte. Avant m�me que la nouvelle de la disparition ne se propage dans le village et que la police t�che de prendre les choses en mains, il entreprend d��lucider le crime. Au-del� du souci de prot�ger son fils innocent, une v�ritable passion l�anime car il voit dans ce crime l�occasion de mettre � l��preuve sa conviction selon laquelle la vie serait compr�hensible et m�me pr�visible, d�apr�s les grandes �uvres de la litt�rature.
Tout serait �crit. Non pas au sens religieux du terme, mais plut�t dans le sens o� la litt�rature et la vie ne font qu�un, la r�alit� ne pouvant donc exc�der en invention des si�cles d�imagination des plus grands �crivains mondiaux. Ainsi la mort de cette jeune fille fait-elle imm�diatement penser Lucio � La mort de Babette , roman d�un certain Philippe Lafitte, dont il d�noue les �cheveaux susceptibles de le mettre sur la voie d�une v�rit� que la meilleure volont� ou clairvoyance polici�re semble incapable de saisir.
D�obscures �lucubrations en apparence au jeu desquelles on se prend rapidement. Et puisque sont aujourd�hui en vogue des th�ses qui visent � d�fendre l�id�e du plagiat de certaines �uvres litt�raires par anticipation, pourquoi ne pas convenir que la litt�rature pourrait �tre l�outil d�une �lucidation r�trospective d�actes commis dans la vie r�elle ? D�autant plus que rapidement, la simple enqu�te passe au second plan pour que se d�veloppe subtilement une r�flexion sur l��tat et les imp�ratifs de la litt�rature� Car le dernier lecteur du titre n�est pas seulement le dernier lecteur de la vie de la jeune disparue mais surtout celui qui r�gente vies et destins des volumes de la biblioth�que du village : les plus pr�cieux rejoignent ses �tag�res tandis que les autres, marqu�s par le fer de sa censure, s�en vont nourrir les cafards de son office.
� Il y aura toujours plus de livres que de vie �
Sympt�me de l�aigreur d�un homme noy� par le chagrin dans lequel l�a plong� la mort de sa femme ? On pourrait reprocher � Lucio de s�engouffrer dans la litt�rature comme une �chappatoire � la vie r�elle � laquelle il opposerait l��cran des mots, bien plus riches que la s�cheresse et la platitude de la conversation de ses voisins villageois. Mais pour Lucio, pas de dualit�, pas d��quivoque : la litt�rature, c�est la vie.
En marge de l�intrigue � polici�re � stricto sensu s�instaure donc dans les locaux de la biblioth�que municipale le proc�s de la litt�rature mondiale. Derri�re Lucio et ses jugements cat�goriques, on devine ais�ment que pointent aussi les affinit�s litt�raires de David Toscana lui-m�me. Les Russes et les Fran�ais occupent ainsi une place de choix dans son panth�on litt�raire, tandis que les Am�ricains par exemple souffriraient d�un certain manque d�originalit� et d�ouverture sur le monde� De m�me, il n�a pas de mots assez durs pour fustiger la d�rive mondaine des �crivains contemporains, plus pr�occup�s par l�obtention de � prix Pavlov � , que par la recherche d�une r�elle �l�vation litt�raire.
Mais Toscana n�est pas seulement �crivain et grand lecteur de la litt�rature mondiale, il est aussi mexicain. Aussi, au-del� de ses efforts pour pr�server la richesse et la cr�ativit� de la Babel litt�raire se fait-il un plaisir de plaider pour le non-alignement de la litt�rature mexicaine sur son grand voisin �tats-unien. Il pr�ne ainsi une litt�rature mexicaine d�tentrice de ses propres caract�ristiques. Non pas nationaliste ou m�me typique, mais qui ne se fourvoierait pas dans l�imitation pure et simple des codes de la litt�rature am�ricaine que Toscana juge souvent pr�visible et arch�typale. Ce qui semble d�ailleurs valoir pour l�ensemble de la litt�rature sud-am�ricaine, tant les accointances avec Borges sont fortes. Au-del� des aspects labyrinthiques du texte, ce n�est en effet certainement pas un hasard si Lucio est un jour devenu biblioth�caire, comme Borges et si, comme lui, il s�efforce de sauver son fonds, malgr� les arguments chiffr�s du gouvernement d�plorant la non-rentabilit� de la structure au vu du petit nombre d�inscrits�
Crise de la culture et caract�ristiques nationales de la litt�rature. Des questions on ne peut plus � propos au moment o� le Mexique est le pays invit� d�honneur du salon du livre de Paris. Mais plus qu�un manifeste El �ltimo lector est avant toute chose une magnifique invitation � la lecture. Brillant et ludique, ce roman est formidablement contagieux et ne nous donne qu�une envie apr�s en avoir tourn� la derni�re page: lire ou relire d�autres livres afin de d�couvrir notre alter ego litt�raire... Laurence Bourgeon
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