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Amer minist�re
| | Le minist�re des affaires sp�ciales Nathan Englander Plon
| Prix éditeur 22.00 euros
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En ces temps d��lections, les Etats-Unis se retrouvent au premier plan, analys�s, expliqu�s et d�cortiqu�s par tous, y compris par leurs romanciers qui sont nombreux � avoir questionn� le sort de leur pays � la suite du 11 Septembre. D�autres, autant pr�occup�s par les questions politiques, portent leur regard et leur plume en de�� des fronti�res de l�Am�rique du Nord. C�est le cas de Nathan Englander avec cette guerre sale qui a plomb� l�Argentine de 1976 � 1983 : plong�e aussi talentueuse qu��prouvante dans un magma juridico-politico-religieux qui n�a rien de fictionnel.
Le minist�re des Affaires sp�ciales. Cette institution n�a rien du roman de science-fiction. Elle a bel et bien exist� dans l�Argentine dompt�e par la junte militaire parvenue au pouvoir apr�s le coup d�Etat de 1976. Plut�t int�rieures qu�ext�rieures, voire souterraines, les affaires sp�ciales recouvraient des centaines de � disparitions �, doux euph�misme d�signant ces enl�vements � g�n�ralement suivis d�assassinats � qui ont impun�ment frapp� les citoyens argentins, ceux de Buenos Aires au premier chef.
Pato �tait l�un d�eux. Il n�avait pas vingt ans et partageait sa vie entre ses livres (les romans c�toyaient certains manifestes plus ou moins gauchistes) et ses amis, avec qui il se plaisait � refaire le monde et fumer quelques joints. Rien que de tr�s courant pour un adolescent. Mais intol�rable pour les miliciens de la junte qui consid�raient comme une menace toute forme d�opposition ou de r�sistance larv�e. Kaddish, son p�re, a beau avoir br�l� r�guli�rement le maximum de ces pr�cieux volumes pour le pr�munir d�une rafle, les militaires ne l�ont pas �pargn�. � l�image de tant d�autres, son existence s�est ainsi vue purement et simplement ray�e, effac�e, ni�e, malgr� l�opini�tret� de ses parents � entretenir sa m�moire. Aussi sinistres que kafka�ennes, les visites quotidiennes en ce minist�re, digne avatar des visions de Georges Orwell, rythment la qu�te de ces deux �tres, ne cessant de souligner toute la perversit� qui d�coule de la persistance du doute : le r�aliste se r�signe � la triste probabilit� de la mort, s�effor�ant de tourner la page, tandis que l�id�aliste, ou la plus d�sesp�r�e, conditionne sa vie enti�re autour de la croyance d�un �ventuel retour.
Ne retenir que l�atrocit� et l�absurdit� de ces �v�nements ne rendrait cependant qu�� moiti� justice � ce roman qui n�a rien d�une fresque historique port�e par des parents h�ro�ques et m�ritants. Et c�est bien ce qui fait sa force. Pour traiter de ces faits affreusement r�els, Nathan Englander recourt � la fiction, nimbant son r�cit des atours d�une fable, la faisant imperceptiblement sombrer vers un r�el toujours plus insupportable.
Nez et bistouri
Kaddish et Lilian, les parents de Pato, sont juifs et argentins. Une double identit� dont l�auteur se fait un plaisir de cultiver les clich�s. Ainsi, si les Juifs sont connus pour avoir un nez pro�minent, il est de notori�t� publique que les Argentins recourent volontiers � la chirurgie esth�tique. C�est donc � la reconstruction de leur nez respectif que s�attaquera le docteur Mazursky� La r�f�rence � Gogol est d�autant plus �vidente que derri�re leur allure farcesque, ces p�rip�ties soulignent � quel point toute tentative de diversion est vaine face � la r�solution des probl�mes ambiants. D�autant moins irr�prochables, ces personnages en ressortent d�autant plus humains. Avec eux, on franchit les limites et on r�alise � quel point il est vrai que trop souvent � les probl�mes ne commencent que lorsqu�ils commencent pour vous. �
A la fronti�re de l�aube
Car Le minist�re des affaires sp�ciales est aussi un roman des fronti�res : sociales, culturelles, territoriales mais aussi fronti�res morales quant � ce qui est autoris� ou non, dicible ou impossible � formuler. Un territoire d�autant plus ardu � d�limiter que le pourvoir en place multiplie subterfuges et manipulations pour effacer toute trace d�un ailleurs meilleur. � Tandis que le gouvernement faisait ce que font les gouvernements (prendre possession du pr�sent, concevoir des visions d�avenir), celui-ci �tendait son pouvoir jusque dans le pass�, pour changer ce qui �tait, pour nier ce qui avait �t�. � C�est sans doute ce qui justifie le plus le choix de la jud�it� de ses personnages. Si cette communaut� a compt� nombre de disparus, tous les Argentins ont �t� concern�s par ces enl�vements. Toutefois les Juifs entretenaient un rapport particuli�rement tendu au pass�, tiraill�s entre m�moires individuelle, officielle et collective. La liturgie n��crase nullement le texte de Nathan Englander, mais cette r�f�rence permet d�exacerber le tension produite par l�effacement de l�identit�.
A travers ces parcours particuliers, au sein desquels les failles grandissent de jour en jour, r�v�lent avec habilet� les r�percussions psychologiques du totalitarisme ambiant, la fa�on dont le doute s�immisce peu � peu en chacun, transformant les citoyens en collaborateurs aveugles d�un syst�me o� d�lation et suspicion r�gnent en ma�tres.
Un bel exemple du service que les histoires peuvent rendre � l�Histoire. Laurence Bourgeon
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