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Viva la merda !
| | Viva la merda ! Jean-Louis Costes Les Editions Hermaphrodite
| Prix éditeur 16.00 euros
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Dans la "Non-pr�face" de Viva la merda ! de Jean-Louis Costes, Roland Jaccard invoque, pourquoi pas, un silence face au "chef d'�uvre". Mais puisque c'est apparemment superbe, pourquoi, pourquoi ne pas en parler ? Tout d'abord, il faut dire que parler de Costes n'est pas le plus facile ; le personnage est on-ne-peut-plus sanglant et complaisamment merdique.
Quarantenaire bien conserv�, Jean-Louis Costes n'est pas le patron d'une cha�ne de restaurants parisiens � la pr�cision est toujours utile. Costes est � l'oppos� de la musique des restos du m�me nom, c'est-�-dire des compilations bourgeoiso-lounge. La "v�ritable" musique Costes, plus radicale, est assourdissante, criarde, post-punk. Car Costes, avant de sortir son premier roman aux Editions Hermaphrodite, s'est fait conna�tre par des performances sc�niques. Tandis que le th��tre classique explorait le registre des tragi-com�dies, Costes, arch�type de son temps, donne dans ce qu'on pourrait appeler la "trashi-com�die". Depuis Teen Spirit de Virginie Despentes (que Costes conna�t bien pour avoir tourn� dans son film Baise-moi), on croyait pourtant la vague trash d�capit�e. Un souvenir abscons. Mais Costes se fout des modes et l'artiste int�gre, parfaitement int�gre, prolonge son travail scato-artistique par un livre. Vous pensez litt�rature ?
"La fille essaye de faire des sculptures en forme de merde. Elle se plaint que la merde est trop molle pour faire des sculptures de crottes r�alistes. Elle demande au mec de lui refiler sa merde, plus consistante que la sienne. Mais il veut garder sa merde qui lui convient parfaitement.
- Je veux pas de ta chiasse. �a va faire des coulures sur les murs !
- Ego�ste.
La fille arr�te de modeler, d�courag�e..."
Le road-movie de Clyde et Bonnie ("le mec" et "la fille") n'est qu'un pr�texte � la mise en sc�ne de positions scato-politiques (lire les chapitres "Caca gamm� sur la tombe du juif", "Messe � la merde dans une �glise" et "Cacatage de l'arabe dans les chiottes de la station-service"). Les cinq proc�s que Costes a encourus jusqu'� ce jour (avec une pol�mique notoire avec les feujs de l'Union des Etudiants Juifs de France) ont brouill� les pistes. Or, Costes n'est pas x�nophobe, Costes n'est pas raciste et Costes n'est pas Hitler. Les controverses autour du personnage ressemblent � celles que connaissent Eminem ou Marylin Manson. Investissant le diable, il se fait chantre d'un avenir apocalyptique par la satyre jusqu'au-boutiste. Les t�n�bres ? Du caca. Et Costes de l'�taler dans sa vie : sur son corps, dans ses chansons et sur les pages de son bouquin. "Le mec, totalement barr� dans son trip, ne s'aper�oit m�me pas que sa partenaire l'a l�ch� ! Et il se branle comme un maboul dans sa merde qu'il �tale partout sur le canap�". Tout �a pour dire que nos vies puent. Les joies de la mati�re noire et molle ont leurs revers : dans un monde d�prav�, "le mec" et "la fille" se barbouillent le visage d'autant de d�jections que de solitude. Et l�, le caca-trip prend un peu de sens. Mais fait-il renier l'existence m�me d'intimit� ? Fallait-il enfreindre les r�gles formelles de la politesse ? Fallait-il malaxer de la merde pour expier notre mal-�tre ?
Agn�s Girard, notre confr�re de Technikart a tr�s bien dit la chose dans le num�ro dat� de mars 2001 : " Costes est ce qui reste de l'individu 2001 quand on lui a arrach� tous ses appendices sociaux : le bon sens, la raison, la d�cence, la dignit�, la fiert�, l'apparence, la race, le genre sexuel�" Et Costes est peut-�tre ce que nous allons devenir. L'affirmation de sa libert�, aussi continue que les s�cr�tions de ses personnages, m�rite le regard. Un �il curieux pour les n�ophytes, amus� pour les lecteurs les plus aguerris, jouisseur pour les nostalgiques de "l'ambiance trash-caca des f�tes romantiques du 19�me si�cle". Le pire �tant, bien entendu, de partager la biens�ance de ne jamais essuyer la merde qu'on a au fond des yeux. Alors, pr�t pour le Kleenex ?
Ariel Kenig
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