Faux-semblants
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Pour son premier roman, Alexandre Postel réussit le tour de force de faire croire à son lecteur qu’il est en terrain conquis pour mieux l’emmener se noyer dans les bas-fonds de l’humanité. Attention, écrivain à l’horizon.
En lisant la quatrième de couverture de ce premier roman, on se demande immédiatement ce qui a pu motiver l'auteur à traiter à nouveau l'histoire dramatique d'un homme a priori innocent et que tout, du jour au lendemain, va accuser de pédophilie. Un air d'affaire Outreau déjà si palpable que les images de l’acteur Philippe Torreton, pour ceux qui l'ont vu impeccablement interpréter l'un des accusés à tort dans le film "Présumé innocent" et bien que les situations personnelles et professionnelles, les réactions, l'affaire et les hommes ne soient pas les mêmes, nous sautent au visage pour ne plus nous lâcher de toute la lecture du roman. Le débarquement des flics. L'accusation. Les doutes de l'entourage. L'impasse. La prison. L'infirmerie. La chute en devient quasiment balisée. Mais là où Alexandre Postel bluffe, c’est dans l’excellence de son écriture. L’air de rien, il maîtrise déjà à 31 ans la langue, un style et du rythme. Insufflant même un certain suspense. Parti sceptique à la découverte de son œuvre, on ressort enthousiaste. Parce qu’on a suffoqué avec Damien North, le tranquille professeur de philosophie entaché soudainement de la pire des calomnies. Parce qu’on s'est embourbé avec lui, subissant les rouages d’une machine infernale qu'il est impossible d'arrêter une fois qu'elle est lancée : la justice. Avec son compagnon : le doute. Celui des autres comme celui qui viendra ronger sa propre conscience.
Persistance rétinienne
Plus loin, « Un homme effacé » fait penser à un autre film, totalement autre, lorsque Damien North intègre un nouvel et étrange essai thérapeutique visant à trouver le moyen de trier les potentiels récidivistes des pédophiles guéris. Le lecteur est alors plongé dans une ambiance à la Stanley Kubrick, façon "Orange mécanique", si futuriste pour l’époque. En 2013, un visiocasque et un anneau pénien font office d’objets de torture pour les cobayes. En deux seuls chapitres – « Les jours atroces », suivi de « Les jours féroces » -, l'auteur nous surprend. Même les séquelles qui suivront l’atrocité ne seront pas forcément celles auxquelles on s’attend communément. Mieux, Alexandre Postel nous apprend. Sur les autres, donc sur nous. Et si, pour la forme, il fallait émettre un reproche afin d’éviter le 20/20 sur la première copie, l'épilogue pourrait y répondre. Superflu et presque incompréhensible, il nous questionne toutefois longtemps sur le pouvoir des apparences. Tout est matière à double interprétation, exactement comme le titre choisi pour ce roman.
Un homme effacé
Alexandre Postel
Gallimard
258 p. – 17,90 €