Déplacements immobiles : Lise Beninca : ?
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En 2007, François Bon a créé la collection « déplacements » aux éditions du Seuil. Empruntant son nom à Henri Michaux, elle est destinée à accueillir des textes contemporains, innovants dans leur forme, au rythme de six titres par an. Elle accorde une place particulière aux jeunes auteurs et aux premiers textes. Balayer, fermer, partir de Lise Benincà est le cinquième titre de cette collection.
Le lieu est au cœur de la réflexion que vous développez dans ce texte. Il y a celui où l’on vit et se promène. Mais il y a aussi le corps, comme lieu qui abrite notre personne.
Je trouve qu’ Espèces d’espaces de Georges Perec est un livre philosophique, même s’il ne prétend pas tout l’être : sur la façon dont on se situe dans ce monde qui est tellement vaste autour de nous. Habiter dans un appartement, c’est s’offrir des cloisons qui nous permettent de supporter l’infini qui nous entoure et que l’on incapable d’imaginer. Perec parle très bien de ces lieux qui s’encastrent les uns dans les autres. Il parle ensuite des détails de ces lieux, comme le mur, en en mettant en valeur l’ambivalence puisque le mur est protecteur et enfermant la fois. Mais il y a une chose à laquelle il me semble que Perec n’a pas touché : le premier lieu, à savoir le corps. Ce que j’avais envie de travailler dans l’écriture était l’idée de la perception, de la sensation. Or, c’est à travers son corps que l’on perçoit les choses. On est soi-même figé dans ce lieu que l’on nous donne à la naissance, autour duquel le monde s’organise par la suite.
La recherche de la sensation transparaît d’ailleurs dans l’écriture. En vous lisant, l’on a parfois autant l’impression de lire des mots que de voir les paysages ou les environnements dans lesquels les actions prennent place…
Ce que j’ai essayé de produire dans l’écriture et son rythme, c’est que le lecteur se sente projeté à l’intérieur de la personne qui parle. Les sensations dont je parle sont finalement assez communes : l’angoisse, le désoeuvrement, l’inquiétude, tout le monde a ressenti ça à un moment.
Le récit n’est pas linéaire. Ce sont des paragraphes isolés. Afin que le lecteur soit projeté dans les pensées de la narratrice, j’avais envie qu’il y ait une sensation par paragraphe.
Au niveau visuel, ce sont surtout les couleurs qui ressurgissent. Par exemple, un feu de signalisation qui clignote ou qui passe du vert, à l’orange, puis au rouge, sont des choses que l’on ne regarde même plus, qu’on ne perçoit plus alors que nous sommes entourés de signaux et qu’il suffit que l’on passe un filtre pour ne plus percevoir autre chose. Ce qui en ressurgit peut être très étonnant. Lorsque la narratrice sort, elle perçoit les voitures qui passent et repassent, les feux qui changent de couleur, des choses qui rythment un univers et qui la rassurent puisque lorsqu’elle se retrouve seule dans une pièce, elle se met à compter les petits carreaux. Comme quand on compte les moutons avant de s’endormir, cela oblige le corps à rentrer dans un rythme qui apaise les sens.
Un lieu existe concrètement et géographiquement. Il peut également être rappelé, voire recréé par la mémoire, thème qui est également au cœur de ce texte.
Oui, les sauts de la mémoire, les réminiscences m’interpellent. On est parfois envahi de sensations sans savoir ce par quoi elles sont provoquées. En réalité, elles le sont par des réminiscences de choses dont on n’a pas eu conscience. Dans le livre, la narratrice vient de perdre son père et, même si elle ne veut pas se sentir touchée par cet événement, de nombreuses choses liées au père et à la maison qu’il a construite ressurgissent malgré elle.
Du fait de la forme et de la structure des phrases, qui sont très courtes et jamais démonstratives, une grande place est laissée au lecteur pour qu’il y projette ses propres souvenirs, et qu’il prenne le temps de s’interroger….
J’avais un peu peur de produire le sentiment inverse car je trouve mon écriture assez froide et aride. Il y avait des fioritures au départ, dont j’ai cherché à me débarrasser car je voulais arriver à quelque chose de sobre, sans qu’il empêche toutefois l’émotion de surgir.
Mon intention était de ne pas trop broder, de limiter le bavardage afin de pointer une sensation. Ensuite, c’est au lecteur de se l’approprier car chacun ressent différemment un même sentiment.
Quelle est la signification de cette pièce fermée ? Est-ce une façon de questionner le vide, l’inconnu, qui embarrasse tout être humain ?
Cette pièce fermée est le bureau utilisé par l’ami de la narratrice qui est parti en voyage. La narratrice se retrouve donc dans un appartement trop grand pour elle. Elle a l’impression que l’appartement a trop de présence par rapport à ce qu’elle est capable d’occuper comme espace. Elle n’ose plus ouvrir cette porte de peur que l’espace ait pris une présence étrangère. C’est le reflet de tout ce qu’elle est en train de vivre suite à la mort de son père, de choses troublantes qui remontent et qu’elle est en train de refouler. Cela représente donc les espaces que l’on porte en soi et qui nous fermés. Cela représente aussi l’appréhension face à l’inconnu, que nous avons tous dans la vie. Ce sont des angoisses primaires que j’ai voulu symboliser par cet espace fermé qui, bizarrement, tend à mener une vie parallèle qui finit par effrayer, en dépit de toute tentative de raisonnement rationnel.
Cela renvoie aussi au constat de Perec qu’il est insupportable d’avoir une pièce sans fonction ?
Oui. La narratrice n’a aucun besoin d’accéder à ce bureau. Elle ne sait pas quoi en faire parce qu’elle ne la maîtrise pas. Cet espace qui se personnifie commence à la gêner, à l’inquiéter. Comme le dit Perec, une chambre sert à dormir, une cuisine, à faire à manger… Imaginer une pièce sans fonctionnalité paraît complètement absurde. Les lieux ont donc des raisons d’êtres.
Le personnage du père, qui devient esclave du lieu qu’il bâtit, obsédé par l’idée qu’il ne doit pas être abîmé, occupé à effacer toute trace d’obsolescence au point de frôler la folie, est-il un moyen de souligner que les lieux peuvent devenir tyranniques envers les hommes ?
Cela rejoint l’idée du corps. Ce père construit sa maison comme une deuxième peau autour de son corps, comme un corps qu’il aurait pu se choisir lui-même. Au départ, il construit cette maison pour accueillir sa famille. Mais ce qui devait être protecteur en vient à exclure les autres qui deviennent des intrus dans l’espace qu’il s’est créé. Il finit par s’enfermer lui-même dans sa coquille protectrice … Cela se finit très mal.
Est-ce une façon de souligner l’emprise que peut avoir un lieu sur le comportement d’une personne, de montrer qu’il ne va pas de soi d’occuper un lieu ?
On a un rapport particulier au lieu dans lequel on vit. Même prêter son appartement n’est pas évident. Parce que c’est un peu une extension de notre personnalité quelque part. Quand on dit de quelqu’un qu’il sait bien habiter un espace, c’est qu’elle arrive à transmettre au lieu autour d’elle des choses qui viennent d’elle et qu’elle va faire rayonner dans l’espace. Lorsque l’on va chez quelqu’un pour la première fois on ne peut d’ailleurs s’empêcher de penser des choses.
En dehors de Perec, qui est la source d’inspiration la plus évidente de ce texte, y a-t-il d’autres écrivains qui vous ont aidés, guidés, orientés dans votre écriture ?
J’ai beaucoup travailler pour élaguer le texte qui était beaucoup plus lyrique. La forme ne me convenait pas. Je sentais que je n’avais pas trouvé ma voix. C’est Marguerite Duras qui m’y a aidée. Non pas que je pense écrire comme elle, mais elle arrive à avoir des phrases assez osseuses, qui ne sont pas enrobées. Et je pense que cette manière d’écrire convenait vraiment mieux à ce que j’avais à dire.Il n’y a aucun parallèle à faire entre ses textes et ce que j’ai écrit. Et tant mieux, car n’ai pas voulu la copier, mais elle m’a appris quelque chose.
Perec est aussi connu pour son recours à la contrainte en écriture. Vous ne lui avez pas emprunté cette règle en tant que telle mais on sent que vous vous êtes imposé une grande rigueur dans l’écriture.
Je ne me suis pas fixé de contraintes comme Perec, qui faisait intervenir les mathématiques et introduisait une notion de jeu. Dans la postface, je dis que l’écriture est aussi le support de ce qu’elle a à dire. Tel était mon objectif de départ; trouver une façon d’écrire qui serve le propos. Cela m’a pris du temps. Ce n’est que petit à petit que j’ai compris que cette forme était celle qui convenait. Mais la lecture de Perec m’a fourni de grandes leçons. Notamment sur le fait qu’il passe son temps à lister des choses. C’est la preuve que l’émotion peut surgir simplement par la description de lieux qui nous entourent.
En revanche, il y a une contrainte qui a surgi après coup : la postface qui est demandée à tous les auteurs publiés dans la collection « déplacements ». Cela a-t-il été un exercice pénible ou bien cela vous a t-il permis de redécouvrir certains aspects de votre texte ?
Il y a eu les deux. J’ai mis du temps à écrire ce texte et j’avais l’impression de m’être déjà épuisée à dire ce que j’avais à dire. Quand on m’a demandé d’écrire un texte dessus, ma première réaction a été de me dire que j’avais déjà dit tout ce que j’avais à dire et que je n’aurais pu écrire que sur un autre sujet. Je me sentais sèche. Mais ce passage étant obligé, j’y ai réfléchi et je me suis dit que j’allais parler des références qui m’avaient guidées. J’ai pu cerner plus clairement l’intention que j’avais depuis le départ, mais qui était peut-être plus floue, plus intuitive. Finalement, je suis très contente qu’il y ait cette postface qui permet de mettre un peu ma réflexion en perspective, là où la fin du récit peut sembler assez dure et fermée sur elle-même. Cette postface constitue un chapitre final du livre.
Elle permet également d’expliquer le titre.
Oui, je me sentais redevable à cet égard également. Au départ mon texte avait un titre beaucoup plus banal : « lieux immobiles ». Mais ça ne fonctionnait pas avec le nom de la collection. J’ai donc relu Espèces d’espaces. Le titre est issu du chapitre qui s’intitule « déménager », dans lequel il fait la description d’un déménagement en recourant uniquement à une succession de verbes à l’infinitif. « Balayer, fermer, partir » évoque une histoire. Sans savoir quelle histoire est racontée, une énergie, une dynamique, se dégage de ces trois verbes.
L’anecdote de l’inscription figurant sur le sac de plâtre n’est donc qu’un hasard ?
Oui, cela fait partie des belles surprises quand on commence à observer les signes. Il y a eu des travaux dans ma cage d’escalier et lorsque je suis sortie un matin sur la palier, je suis tombée sur un sac de plâtre qui portait cette inscription : « reboucher, sceller, enduire ». Je venais juste de trouver le titre et cela y a fait écho. J’ai donc tenu à les réutiliser à la fin. C’était une façon de boucler la boucle.
Laurence Bourgeon
Balayer, fermer, partir
Lise Benincà
Ed. Le Seuil
110 p / 13 €
ISBN: 9782020953
Le lieu est au cœur de la réflexion que vous développez dans ce texte. Il y a celui où l’on vit et se promène. Mais il y a aussi le corps, comme lieu qui abrite notre personne.
Je trouve qu’ Espèces d’espaces de Georges Perec est un livre philosophique, même s’il ne prétend pas tout l’être : sur la façon dont on se situe dans ce monde qui est tellement vaste autour de nous. Habiter dans un appartement, c’est s’offrir des cloisons qui nous permettent de supporter l’infini qui nous entoure et que l’on incapable d’imaginer. Perec parle très bien de ces lieux qui s’encastrent les uns dans les autres. Il parle ensuite des détails de ces lieux, comme le mur, en en mettant en valeur l’ambivalence puisque le mur est protecteur et enfermant la fois. Mais il y a une chose à laquelle il me semble que Perec n’a pas touché : le premier lieu, à savoir le corps. Ce que j’avais envie de travailler dans l’écriture était l’idée de la perception, de la sensation. Or, c’est à travers son corps que l’on perçoit les choses. On est soi-même figé dans ce lieu que l’on nous donne à la naissance, autour duquel le monde s’organise par la suite.
La recherche de la sensation transparaît d’ailleurs dans l’écriture. En vous lisant, l’on a parfois autant l’impression de lire des mots que de voir les paysages ou les environnements dans lesquels les actions prennent place…
Ce que j’ai essayé de produire dans l’écriture et son rythme, c’est que le lecteur se sente projeté à l’intérieur de la personne qui parle. Les sensations dont je parle sont finalement assez communes : l’angoisse, le désoeuvrement, l’inquiétude, tout le monde a ressenti ça à un moment.
Le récit n’est pas linéaire. Ce sont des paragraphes isolés. Afin que le lecteur soit projeté dans les pensées de la narratrice, j’avais envie qu’il y ait une sensation par paragraphe.
Au niveau visuel, ce sont surtout les couleurs qui ressurgissent. Par exemple, un feu de signalisation qui clignote ou qui passe du vert, à l’orange, puis au rouge, sont des choses que l’on ne regarde même plus, qu’on ne perçoit plus alors que nous sommes entourés de signaux et qu’il suffit que l’on passe un filtre pour ne plus percevoir autre chose. Ce qui en ressurgit peut être très étonnant. Lorsque la narratrice sort, elle perçoit les voitures qui passent et repassent, les feux qui changent de couleur, des choses qui rythment un univers et qui la rassurent puisque lorsqu’elle se retrouve seule dans une pièce, elle se met à compter les petits carreaux. Comme quand on compte les moutons avant de s’endormir, cela oblige le corps à rentrer dans un rythme qui apaise les sens.
Un lieu existe concrètement et géographiquement. Il peut également être rappelé, voire recréé par la mémoire, thème qui est également au cœur de ce texte.
Oui, les sauts de la mémoire, les réminiscences m’interpellent. On est parfois envahi de sensations sans savoir ce par quoi elles sont provoquées. En réalité, elles le sont par des réminiscences de choses dont on n’a pas eu conscience. Dans le livre, la narratrice vient de perdre son père et, même si elle ne veut pas se sentir touchée par cet événement, de nombreuses choses liées au père et à la maison qu’il a construite ressurgissent malgré elle.
Du fait de la forme et de la structure des phrases, qui sont très courtes et jamais démonstratives, une grande place est laissée au lecteur pour qu’il y projette ses propres souvenirs, et qu’il prenne le temps de s’interroger….
J’avais un peu peur de produire le sentiment inverse car je trouve mon écriture assez froide et aride. Il y avait des fioritures au départ, dont j’ai cherché à me débarrasser car je voulais arriver à quelque chose de sobre, sans qu’il empêche toutefois l’émotion de surgir.
Mon intention était de ne pas trop broder, de limiter le bavardage afin de pointer une sensation. Ensuite, c’est au lecteur de se l’approprier car chacun ressent différemment un même sentiment.
Quelle est la signification de cette pièce fermée ? Est-ce une façon de questionner le vide, l’inconnu, qui embarrasse tout être humain ?
Cette pièce fermée est le bureau utilisé par l’ami de la narratrice qui est parti en voyage. La narratrice se retrouve donc dans un appartement trop grand pour elle. Elle a l’impression que l’appartement a trop de présence par rapport à ce qu’elle est capable d’occuper comme espace. Elle n’ose plus ouvrir cette porte de peur que l’espace ait pris une présence étrangère. C’est le reflet de tout ce qu’elle est en train de vivre suite à la mort de son père, de choses troublantes qui remontent et qu’elle est en train de refouler. Cela représente donc les espaces que l’on porte en soi et qui nous fermés. Cela représente aussi l’appréhension face à l’inconnu, que nous avons tous dans la vie. Ce sont des angoisses primaires que j’ai voulu symboliser par cet espace fermé qui, bizarrement, tend à mener une vie parallèle qui finit par effrayer, en dépit de toute tentative de raisonnement rationnel.
Cela renvoie aussi au constat de Perec qu’il est insupportable d’avoir une pièce sans fonction ?
Oui. La narratrice n’a aucun besoin d’accéder à ce bureau. Elle ne sait pas quoi en faire parce qu’elle ne la maîtrise pas. Cet espace qui se personnifie commence à la gêner, à l’inquiéter. Comme le dit Perec, une chambre sert à dormir, une cuisine, à faire à manger… Imaginer une pièce sans fonctionnalité paraît complètement absurde. Les lieux ont donc des raisons d’êtres.
Le personnage du père, qui devient esclave du lieu qu’il bâtit, obsédé par l’idée qu’il ne doit pas être abîmé, occupé à effacer toute trace d’obsolescence au point de frôler la folie, est-il un moyen de souligner que les lieux peuvent devenir tyranniques envers les hommes ?
Cela rejoint l’idée du corps. Ce père construit sa maison comme une deuxième peau autour de son corps, comme un corps qu’il aurait pu se choisir lui-même. Au départ, il construit cette maison pour accueillir sa famille. Mais ce qui devait être protecteur en vient à exclure les autres qui deviennent des intrus dans l’espace qu’il s’est créé. Il finit par s’enfermer lui-même dans sa coquille protectrice … Cela se finit très mal.
Est-ce une façon de souligner l’emprise que peut avoir un lieu sur le comportement d’une personne, de montrer qu’il ne va pas de soi d’occuper un lieu ?
On a un rapport particulier au lieu dans lequel on vit. Même prêter son appartement n’est pas évident. Parce que c’est un peu une extension de notre personnalité quelque part. Quand on dit de quelqu’un qu’il sait bien habiter un espace, c’est qu’elle arrive à transmettre au lieu autour d’elle des choses qui viennent d’elle et qu’elle va faire rayonner dans l’espace. Lorsque l’on va chez quelqu’un pour la première fois on ne peut d’ailleurs s’empêcher de penser des choses.
En dehors de Perec, qui est la source d’inspiration la plus évidente de ce texte, y a-t-il d’autres écrivains qui vous ont aidés, guidés, orientés dans votre écriture ?
J’ai beaucoup travailler pour élaguer le texte qui était beaucoup plus lyrique. La forme ne me convenait pas. Je sentais que je n’avais pas trouvé ma voix. C’est Marguerite Duras qui m’y a aidée. Non pas que je pense écrire comme elle, mais elle arrive à avoir des phrases assez osseuses, qui ne sont pas enrobées. Et je pense que cette manière d’écrire convenait vraiment mieux à ce que j’avais à dire.Il n’y a aucun parallèle à faire entre ses textes et ce que j’ai écrit. Et tant mieux, car n’ai pas voulu la copier, mais elle m’a appris quelque chose.
Perec est aussi connu pour son recours à la contrainte en écriture. Vous ne lui avez pas emprunté cette règle en tant que telle mais on sent que vous vous êtes imposé une grande rigueur dans l’écriture.
Je ne me suis pas fixé de contraintes comme Perec, qui faisait intervenir les mathématiques et introduisait une notion de jeu. Dans la postface, je dis que l’écriture est aussi le support de ce qu’elle a à dire. Tel était mon objectif de départ; trouver une façon d’écrire qui serve le propos. Cela m’a pris du temps. Ce n’est que petit à petit que j’ai compris que cette forme était celle qui convenait. Mais la lecture de Perec m’a fourni de grandes leçons. Notamment sur le fait qu’il passe son temps à lister des choses. C’est la preuve que l’émotion peut surgir simplement par la description de lieux qui nous entourent.
En revanche, il y a une contrainte qui a surgi après coup : la postface qui est demandée à tous les auteurs publiés dans la collection « déplacements ». Cela a-t-il été un exercice pénible ou bien cela vous a t-il permis de redécouvrir certains aspects de votre texte ?
Il y a eu les deux. J’ai mis du temps à écrire ce texte et j’avais l’impression de m’être déjà épuisée à dire ce que j’avais à dire. Quand on m’a demandé d’écrire un texte dessus, ma première réaction a été de me dire que j’avais déjà dit tout ce que j’avais à dire et que je n’aurais pu écrire que sur un autre sujet. Je me sentais sèche. Mais ce passage étant obligé, j’y ai réfléchi et je me suis dit que j’allais parler des références qui m’avaient guidées. J’ai pu cerner plus clairement l’intention que j’avais depuis le départ, mais qui était peut-être plus floue, plus intuitive. Finalement, je suis très contente qu’il y ait cette postface qui permet de mettre un peu ma réflexion en perspective, là où la fin du récit peut sembler assez dure et fermée sur elle-même. Cette postface constitue un chapitre final du livre.
Elle permet également d’expliquer le titre.
Oui, je me sentais redevable à cet égard également. Au départ mon texte avait un titre beaucoup plus banal : « lieux immobiles ». Mais ça ne fonctionnait pas avec le nom de la collection. J’ai donc relu Espèces d’espaces. Le titre est issu du chapitre qui s’intitule « déménager », dans lequel il fait la description d’un déménagement en recourant uniquement à une succession de verbes à l’infinitif. « Balayer, fermer, partir » évoque une histoire. Sans savoir quelle histoire est racontée, une énergie, une dynamique, se dégage de ces trois verbes.
L’anecdote de l’inscription figurant sur le sac de plâtre n’est donc qu’un hasard ?
Oui, cela fait partie des belles surprises quand on commence à observer les signes. Il y a eu des travaux dans ma cage d’escalier et lorsque je suis sortie un matin sur la palier, je suis tombée sur un sac de plâtre qui portait cette inscription : « reboucher, sceller, enduire ». Je venais juste de trouver le titre et cela y a fait écho. J’ai donc tenu à les réutiliser à la fin. C’était une façon de boucler la boucle.
Laurence Bourgeon
Balayer, fermer, partir
Lise Benincà
Ed. Le Seuil
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ISBN: 9782020953
Last modified ondimanche, 19 avril 2009 14:50
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