Catherine Chantilly, intemporelle
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Il existe des moments hors du temps, comme ça, des moments particuliers… Lors de nos premiers échanges, par mails, Catherine Chantilly choisit le Train bleu pour notre entretien : parce que le lieu lui plaît depuis toujours, et parce que le cadre est somptueux. Très vite, l’humour s’installe : Catherine n’ayant pas de téléphone portable, comment va-t-on se reconnaître, sur les lieux ? « Je porterai une veste noire en velours, et un foulard violet… m’écrit-elle. Que c’est drôle ! Je me crois dans un roman policier, dans une enquête très secrète… » Et la rencontre se fait, sensible, intemporelle.
Catherine Chantilly est une artiste issue du « visuel » : écrivain depuis peu, mais vidéaste et performeuse depuis toujours, elle vient de publier Le Bruit de mon sang aux éditions Incognito : un premier roman bourré de trouvailles poétiques, de bons mots et de lâcher-prise… De lâcher-prose, aussi peut-être. Dans ce petit livre intimiste, de petits chapitres très bien écrits s’enchaînent comme des morceaux de vie, des expériences virulentes, des descriptions sentimentales : et qu’elle soit sous les traits d’un personnage – comme cette caissière de supermarché, qui nous raconte son quotidien – ou sous ses propres traits de femme sensible, Catherine Chantilly est partout, tour à tour blessée, amoureuse, ou torturée… Entre roman et recueil de poèmes, notre cœur balance ; mais au final, le livre parle de lui-même, fort et expressif dans sa différence. Certaines phrases, ou certains vers, restent même en tête longtemps après la lecture… Comme une hantise, une réflexion persistante. Catherine Chantilly s’est finalement jetée dans le roman comme on se jette à l’eau : nue, avec fraîcheur, panache et volonté de bien faire.
Une artiste nomade
Légère et discrète, femme-enfant presque évanescente, Catherine a une voix douce et fluette. Elle vit au Brésil, mais a parcouru le monde : « Je tourne un film actuellement, dans le Nordeste, pour un centre de recherches sur la science et le développement. Mais, avec mon époux, nous sommes très nomades… Par la suite, je ne sais pas trop où nous vivrons, peut-être en Angleterre. » Rien n’est figé. Tout est comme ça dans la vie de Catherine Chantilly, les choses bougent… Emplie de vie, l’auteure et artiste ne s’arrête pas à la simple contemplation de ce qui l’entoure. Elle y participe.
Loin de se regarder écrire, ou de se complaire dans un quelconque statut d’artiste moderne, Catherine crée aussi dans un souci de vérité : « L’art, c’est pour moi comme une respiration : je sens quelque chose (c’est du domaine de la sensation), et j’essaie de traduire cette même sensation pour ne pas rester dedans. Sinon, je resterais prisonnière de cette émotion, d’un sentiment… et ça me gâcherait la vie. Si je traduis une émotion, je mets la distance nécessaire avec elle et j’en fais un travail, ce qu’on appelle une "œuvre d’art "… »
Pour Catherine, l’art se conçoit sous de multiples formes : il ne s’enferme dans aucun cadre formel, et ne souffre surtout d’aucune contrainte : « Ça surgit, comme ça… La dernière vidéo que j’ai faite, mais qui a finalement capoté, mettait en scène une ménagère en argent : de celles qui contiennent des couverts, des fourchettes ; ça m’a presque choqué. Quand quelque chose me hante comme ça, j’essaie de le traduire comme je peux. » Sur son site internet, Catherine a d’ailleurs publié de petites vidéos très « warholiennes » dans l’esprit : on peut ainsi la voir face caméra, ou près d’un objet, souvent dans un silence pesant, jouant avec nos frissons, nos interrogations…
La Femme allongée
Dans le cadre de ses performances, Catherine Chantilly a choisi de faire corps avec son art, et de se mettre en scène : « Je me suis allongée partout dans le monde… J’en ai fait des photos, avec mon compagnon Jean-Yves Beziau. Il y a même eu une exposition à Nice. J’ai vraiment eu cette nécessité impérative de m’allonger, de tout lâcher, comme ça, sur un bateau, un trottoir, un pont. Jean-Yves m’a photographiée en Inde, en Australie, en Amérique… C’est quelque chose qui participe de mon roman, du Bruit de mon sang : ça parle de Vie, ça me demande de lâcher des choses. Je fais alors un trait d’union entre le ciel et la terre, et j’arrête tout. Je m’allonge par terre, je dis stop, je me retrouve moi-même, et je communique à nouveau avec le Ciel et la Terre… Cette position horizontale, c’est la Femme offerte, la Femme gisante, la Femme passive : en fait, tous les clichés de la femme. Je m’allongeais par terre, et tout d’un coup, c’était de l’ordre de la performance. »
Catherine me parle de cet acte étrange de s’allonger, de cet art presque thérapeutique : les photos peuvent d’ailleurs en témoigner, une vraie sérénité se dégage dans le décor. Comme une pause, une respiration. Existe-t-il un art réellement libérateur ?
Dans les dorures du Train bleu, dans les gros canapés de cuir, la conversation se fait plus générale. Une amie la rejoint ; elles ont fait les Beaux-Arts ensemble. Ce soir, elles iront voir un spectacle de danse. Les artistes sont aussi faits de ça, après tout : de l’inspiration des autres…
Propos recueillis par Julien Canaux
Photos : Jean-Yves Beziau
Le bruit de mon sang
Catherine Chantilly
Éditions Incognito
129 pages - 14 €
Last modified onmardi, 29 décembre 2009 12:39
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