La femme visible
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Olivia Rosenthal n’en est pas à son coup d’essai. A son actif, six fictions – elle hésite sur l’appellation de romans, avant tout perçue comme une commodité d’étiquetage éditorial - et une pièce de théâtre, qui lui ont déjà permis d’imprimer sa marque dans le sillon de la littérature française contemporaine. Pourtant, On n’est pas là pour disparaître – titre on ne peut plus opportun - est certainement le livre qui la porte réellement sur le devant de la scène littéraire. Retenue sur la première sélection du prix Goncourt, elle demeure en course pour le prix Wepler. Rencontre avec cette écrivain dynamique et inventive.
« Je m’appelle Olivia Rosenthal. J’ai trente-neuf ans. Je suis née à Paris dans le neuvième arrondissement »
Tels sont les quelques indices, encore plus lapidaires que la biographie concoctée par son éditeur, dont Olivia Rosenthal parsème son dernier livre. Décidément, si l’on souhaite en savoir un peu plus sur elle, il va falloir creuser au-delà de ces pages. Et pour cause, si ses écrits sont forcément teintés par son expérience et ses souvenirs personnels, l’autofiction n’est pas sa tasse de thé.
L’autre, l’homme en général, la façon dont il agit ou réagit avec ses contemporains et les limites qu’ils lui fixent, le sens de la vie et comment s’accommoder de l’existence. Voilà plutôt les questionnements qui traversent l’œuvre d’Olivia Rosenthal. Dans son dernier opus, c’est au cas d’Alois Alzeihmer qu’elle s’attache. Car la maladie de A. qu’elle a choisie comme fil directeur n’est autre que celle de la dégénérescence des cellules à laquelle ce docteur allemand a donné son nom. Olivia Rosenthal se serait-elle sentie investie d’une mission de prévention consistant à sensibiliser les plus jeunes aux souffrances de leurs aînés et à éveiller les consciences de ses concitoyens quant à ce qui les guette tous un jour ou l’autre ? « On n’est pas là pour disparaître », affirme-t-elle. « On », c’est tout le monde. Car le problème avec Alzeihmer, c’est que s’il affecte corporellement et mentalement une personne, c’est l’ensemble de son entourage qui en souffre. Par conséquent, on est tous, de près ou de loin, concernés ou amenés à l’être.
La question n’est donc pas pourquoi parler de cette maladie mais plutôt comment. Car, elle l’avoue elle-même, écrire sur cette maladie est impossible du fait « qu’au bout d’un moment les malades d’Alzheimer ne parlent plus. Prendre la parole à leur place et imaginer ce qu’ils peuvent penser est compliqué. Il s’agit véritablement de bâtir une fiction, ce qui est une entreprise un petit peu désespérée parce que l’on sait bien que l’on remplit des endroits qui sont vides. »
De tels commentaires, ajoutés au choix de la maladie comme sujet, la feraient passer pour austère. C’est tout le contraire. Pleine d’allant, curieuse, elle est sans cesse à l’écoute des autres, même quand elle écrit. On n’est pas là pour disparaître est d’ailleurs le fruit de ce savant mélange d’écriture étayé par un travail de terrain composé autant d’études documentaires que de prises de contact et de « discussions » avec les malades et leur entourage. Après des récits, si ce n’est linéaires, du moins plus classiquement littéraires, ce texte marquerait-il l’entrée d’Olivia Rosenthal dans le territoire du docu-fiction, genre bien côté chez les réalisateurs du petit écran ? C’est à une tout autre sorte de témoignage qu’elle aspire – comment pourrait-on d’ailleurs oser parler à la place de ceux qui souffrent réellement ? Humaniste plutôt que spécialiste ou sociologue, elle entrechoque langues et langages afin de restituer un semblant de sens et de communication là où il semble avoir déserté. C’est d’ailleurs le tour de force qu’elle réalise en composant un récit nourri de malheurs et pourtant résolument optimiste. Une version réaliste mais non lacrimale et dénuée de pathos de l’approche de cette maladie. Si on lui demande comment elle conçoit On n’est pas là pour disparaître, elle répond qu’il traite de «la force de vie. Ce n’est pas un livre joyeux par le sujet, mais j’espère que l’on y comprend les types d’énergie que l’on peut mettre dans la vie pour accepter des choses qui sont de toute façon inévitable. » Agir pour accéder à quelque chose, faire surgir du sens. Une obsession qui lui semble nécessaire et vitale. Une obsession qui requiert une méthode qu’elle s’impose de suivre avec le plus de discipline possible.
C’est là qu’on la découvre également joueuse. Etat d’esprit qu’elle souhaite communiquer à son lecteur en l’invitant à rompre l’unilatéralité de la lecture en se soumettant à un certain nombre de tests bien plus angoissants que ceux des mensuels féminins. Car ni le décan ni le soleil ne sont en jeu, mais bien notre mémoire. Celle qui fait de nous ce que nous sommes, nous ancre dans le quotidien et nous porte vers l’avenir. Cette chronologie qui nous guide et qui soudain peut s’étioler lorsque les neurones s’emmêlent. Donnée d’autant plus cruciale pour un écrivain dont la tête est l’outil même de son travail. La superstition ne serait-elle d’ailleurs pas la clef de l’écriture de ce texte, ainsi qu’elle le laisse entrevoir à quelques moments ? Pour conjurer, le sort, rien de mieux que ce mode de lecture participative dont les vertus prophylactiques demeureront certes indémontrables mais dont l’aspect ludique et pluriel recrée une communauté rassurante.
Sophistication puérile, mascarade intellectuelle que d’aucuns considèrent avant tout comme agaçante ? Pour elle, la provocation n’entre pas en ligne de compte. Elle est avant tout un déclencheur d’écriture et un aiguillon de lecture. A l’image de ses titres, qui remportent pour certains des records de longueur, d’incongruité et d’élaboration : L'homme de mes rêves ou les mille travaux de Barnabé le sage devenu Barnabé le bègue suite à une terrible mésaventure qui le priva quelques heures durant de la parole ou Les aventures de J.H. le sémite. Pour Olivia Rosenthal, les titres préexistent souvent au texte. Certains, comme le précédent, surgissent et s’imposent à elle comme une évidence ou une contrainte à partir de laquelle elle doit construire quelque chose. On n’est pas là pour disparaître serait plutôt l’exception qui confirme la règle. Il a été l’aboutissement plutôt que début, l’idée étant de tenter de créer un slogan, un refrain musical dont chacun pourrait se souvenir aisément et se rappeler fréquemment. Ou comment s’orienter doucement vers d’autres modes et supports d’écriture ? Si les concerts ne sont pas à l’ordre du jour, elle a entamé une tournée d’un autre genre, donnant à ses textes une seconde vie : une série de lectures-performances au cours desquelles elle réinterprète et digresse autour de son dernier texte, seule ou accompagnée, triturant et malmenant la mémoire.
On n’est pas là pour disparaître, on l’aura compris. Pour ne pas faire mentir cet adage, Olivia Rosenthal multiplie donc les interventions. Au risque de s’y perdre ? Que l’on ne s’inquiète pas du télescopage éventuel de ses projets. Elle travaille actuellement son ubiquité. Ainsi, lors de la dernière Nuit blanche, elle était annoncée à Paris pendant que d’autres l’écoutaient à la Roche sur Yon. Aucune annulation n’a été signalée. Quel est son secret ?...
En attendant de le percer, rendez-vous en 2008 au 104, rue d’Aubervilliers. Ces anciennes pompes funèbres vont être transformées en grand lieu culturel de la ville de Paris. Olivia Rosenthal a été chargée d’y réaliser un projet inaugural : « l’architecture en paroles ». On a hâte.
Laurence Bourgeon
Laurence Bourgeon
On n'est pas là pour disparaître
Olivia Rosenthal
Ed. Verticales
216 p / 16 €
ISBN: 9782070785
« Je m’appelle Olivia Rosenthal. J’ai trente-neuf ans. Je suis née à Paris dans le neuvième arrondissement »
Tels sont les quelques indices, encore plus lapidaires que la biographie concoctée par son éditeur, dont Olivia Rosenthal parsème son dernier livre. Décidément, si l’on souhaite en savoir un peu plus sur elle, il va falloir creuser au-delà de ces pages. Et pour cause, si ses écrits sont forcément teintés par son expérience et ses souvenirs personnels, l’autofiction n’est pas sa tasse de thé.
L’autre, l’homme en général, la façon dont il agit ou réagit avec ses contemporains et les limites qu’ils lui fixent, le sens de la vie et comment s’accommoder de l’existence. Voilà plutôt les questionnements qui traversent l’œuvre d’Olivia Rosenthal. Dans son dernier opus, c’est au cas d’Alois Alzeihmer qu’elle s’attache. Car la maladie de A. qu’elle a choisie comme fil directeur n’est autre que celle de la dégénérescence des cellules à laquelle ce docteur allemand a donné son nom. Olivia Rosenthal se serait-elle sentie investie d’une mission de prévention consistant à sensibiliser les plus jeunes aux souffrances de leurs aînés et à éveiller les consciences de ses concitoyens quant à ce qui les guette tous un jour ou l’autre ? « On n’est pas là pour disparaître », affirme-t-elle. « On », c’est tout le monde. Car le problème avec Alzeihmer, c’est que s’il affecte corporellement et mentalement une personne, c’est l’ensemble de son entourage qui en souffre. Par conséquent, on est tous, de près ou de loin, concernés ou amenés à l’être.
La question n’est donc pas pourquoi parler de cette maladie mais plutôt comment. Car, elle l’avoue elle-même, écrire sur cette maladie est impossible du fait « qu’au bout d’un moment les malades d’Alzheimer ne parlent plus. Prendre la parole à leur place et imaginer ce qu’ils peuvent penser est compliqué. Il s’agit véritablement de bâtir une fiction, ce qui est une entreprise un petit peu désespérée parce que l’on sait bien que l’on remplit des endroits qui sont vides. »
De tels commentaires, ajoutés au choix de la maladie comme sujet, la feraient passer pour austère. C’est tout le contraire. Pleine d’allant, curieuse, elle est sans cesse à l’écoute des autres, même quand elle écrit. On n’est pas là pour disparaître est d’ailleurs le fruit de ce savant mélange d’écriture étayé par un travail de terrain composé autant d’études documentaires que de prises de contact et de « discussions » avec les malades et leur entourage. Après des récits, si ce n’est linéaires, du moins plus classiquement littéraires, ce texte marquerait-il l’entrée d’Olivia Rosenthal dans le territoire du docu-fiction, genre bien côté chez les réalisateurs du petit écran ? C’est à une tout autre sorte de témoignage qu’elle aspire – comment pourrait-on d’ailleurs oser parler à la place de ceux qui souffrent réellement ? Humaniste plutôt que spécialiste ou sociologue, elle entrechoque langues et langages afin de restituer un semblant de sens et de communication là où il semble avoir déserté. C’est d’ailleurs le tour de force qu’elle réalise en composant un récit nourri de malheurs et pourtant résolument optimiste. Une version réaliste mais non lacrimale et dénuée de pathos de l’approche de cette maladie. Si on lui demande comment elle conçoit On n’est pas là pour disparaître, elle répond qu’il traite de «la force de vie. Ce n’est pas un livre joyeux par le sujet, mais j’espère que l’on y comprend les types d’énergie que l’on peut mettre dans la vie pour accepter des choses qui sont de toute façon inévitable. » Agir pour accéder à quelque chose, faire surgir du sens. Une obsession qui lui semble nécessaire et vitale. Une obsession qui requiert une méthode qu’elle s’impose de suivre avec le plus de discipline possible.
C’est là qu’on la découvre également joueuse. Etat d’esprit qu’elle souhaite communiquer à son lecteur en l’invitant à rompre l’unilatéralité de la lecture en se soumettant à un certain nombre de tests bien plus angoissants que ceux des mensuels féminins. Car ni le décan ni le soleil ne sont en jeu, mais bien notre mémoire. Celle qui fait de nous ce que nous sommes, nous ancre dans le quotidien et nous porte vers l’avenir. Cette chronologie qui nous guide et qui soudain peut s’étioler lorsque les neurones s’emmêlent. Donnée d’autant plus cruciale pour un écrivain dont la tête est l’outil même de son travail. La superstition ne serait-elle d’ailleurs pas la clef de l’écriture de ce texte, ainsi qu’elle le laisse entrevoir à quelques moments ? Pour conjurer, le sort, rien de mieux que ce mode de lecture participative dont les vertus prophylactiques demeureront certes indémontrables mais dont l’aspect ludique et pluriel recrée une communauté rassurante.
Sophistication puérile, mascarade intellectuelle que d’aucuns considèrent avant tout comme agaçante ? Pour elle, la provocation n’entre pas en ligne de compte. Elle est avant tout un déclencheur d’écriture et un aiguillon de lecture. A l’image de ses titres, qui remportent pour certains des records de longueur, d’incongruité et d’élaboration : L'homme de mes rêves ou les mille travaux de Barnabé le sage devenu Barnabé le bègue suite à une terrible mésaventure qui le priva quelques heures durant de la parole ou Les aventures de J.H. le sémite. Pour Olivia Rosenthal, les titres préexistent souvent au texte. Certains, comme le précédent, surgissent et s’imposent à elle comme une évidence ou une contrainte à partir de laquelle elle doit construire quelque chose. On n’est pas là pour disparaître serait plutôt l’exception qui confirme la règle. Il a été l’aboutissement plutôt que début, l’idée étant de tenter de créer un slogan, un refrain musical dont chacun pourrait se souvenir aisément et se rappeler fréquemment. Ou comment s’orienter doucement vers d’autres modes et supports d’écriture ? Si les concerts ne sont pas à l’ordre du jour, elle a entamé une tournée d’un autre genre, donnant à ses textes une seconde vie : une série de lectures-performances au cours desquelles elle réinterprète et digresse autour de son dernier texte, seule ou accompagnée, triturant et malmenant la mémoire.
On n’est pas là pour disparaître, on l’aura compris. Pour ne pas faire mentir cet adage, Olivia Rosenthal multiplie donc les interventions. Au risque de s’y perdre ? Que l’on ne s’inquiète pas du télescopage éventuel de ses projets. Elle travaille actuellement son ubiquité. Ainsi, lors de la dernière Nuit blanche, elle était annoncée à Paris pendant que d’autres l’écoutaient à la Roche sur Yon. Aucune annulation n’a été signalée. Quel est son secret ?...
En attendant de le percer, rendez-vous en 2008 au 104, rue d’Aubervilliers. Ces anciennes pompes funèbres vont être transformées en grand lieu culturel de la ville de Paris. Olivia Rosenthal a été chargée d’y réaliser un projet inaugural : « l’architecture en paroles ». On a hâte.
Laurence Bourgeon
Laurence Bourgeon
On n'est pas là pour disparaître
Olivia Rosenthal
Ed. Verticales
216 p / 16 €
ISBN: 9782070785
Last modified onmercredi, 01 juillet 2009 22:26
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