Roman de la rédemption, Pluie et Papier, imagine la reconstruction après le désastre yougoslave. Riche sans être compliqué, léger mais pas naïf, malicieux et pas cynique. Formidable, en un mot. Depuis trente ans, on la dit moribonde. Et pourtant, exprimée par les votes et glorifiée par de récents exploits en pelouse, la Nation ne cesse de se rappeler à notre souvenir. Rien de tel, pour évoquer un sujet si brûlant que de profiter d’une expérience réelle et récente. Celle de l’éclatement yougoslave, par exemple, dont Vladimir Tasic a fait la trame de sa dernière oeuvre. Et plus qu’une trame, c’est un prisme, en réalité, à travers lequel l’auteur serbe installé au Canada nous montre six destins marqués par l’exil et le retour au pays. Une mise en garde s’impose immédiatement : Pluie et papier ne tient pas de la fable nationalo-politique façon Max Gallo mais bien d’un grand roman, écrit par un écrivain que le hasard fit naître Serbe. L’appartenance identitaire, nœud de l’intrigue, y est évoquée sans fantasmes, au fil de l’errance des six personnages, jeunes, contraints à vivre dans le souvenir d’une Yougoslavie jadis debout, et à revenir affronter Novi Sad, ville-trou aux ponts détruits par la guerre. Reconstructions C’est incontestablement dans l’art d’éparpiller que Tasic, probablement marqué par l’exil, fait merveille. Un éparpillement d’émigrant, pour qui « l’avenir ne cesse de venir et n’est donc jamais là » quant au contraire « le passé ne cesse de s’en aller ». Entre les deux, le présent n’est plus qu’une suite de tâtonnements nostalgiques. Ceux de Georges, l’informaticien, Ielena, publicitaire et narratrice, Nestor et le couple d’amis que ces trois jeunes gens en exil retrouvent au pays. Tous ensemble, au milieu des marteaux-piqueurs achevant les débris d’une vie révolue, ils échafaudent le projet de se rebâtir une histoire en reconstruisant de toutes pièces leurs sensations passées. On comprend alors pourquoi le livre est construit en dix chapitres décroissants, du dixième au premier. On saisit également la grande pertinence du style, délice de digressions astucieuses et cultivées, qui, loin de faire perdre les fils, tissent au fur et à mesure les liens des retrouvailles. Retrouvailles d’existences en perdition avec une mémoire commune qui, voilà la clé selon Tasic, redonne à ses six destins leur sens individuel. Cette volonté collective de dépasser le fatalisme de la destruction n’est en rien teintée de nationalisme nostalgique. Et, en élargissant le problème yougoslave, on y verra presque une parabole impeccablement maîtrisée sur une question brûlant la plume de tout écrivain aujourd’hui : quoi donc contre le chaos ? À l’inverse de tous ceux si prompts à plaider la guerre, Tasic, qui en a l’expérience, a décidé la paix et la reconstruction patiente. Il le fait avec fantaisie et intelligence. Grande découverte que cet auteur là, dont on va ouvrir de ce pas le Cadeau d’adieu, son premier livre.
Marc Delaunay
Pluie et papier Vladimir Tasic Ed. Les allusifs 293 p / 21 € ISBN: 2-922868-3
Lire aussi :
Articles les plus récents :
Articles les plus anciens :
|