29 Sep 2010 |
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Dans son dernier roman, l’Argentin Alan Pauls livre un récit intimiste et s’arrache littéralement les cheveux pour dévoiler un nouveau chapitre de ses obsessions. Une fois n’est pas coutume, nous vous proposons une petite expérience : la prochaine fois que vous vous rendrez chez votre coiffeur, profitez d’un moment de répit – le temps qu'on laisse votre soin faire effet par exemple – pour enregistrer les conversations voisines. « Je ne sais vraiment plus quoi faire d’eux », « Ils retombent mal, c’est une catastrophe », « Ma dernière coupe était désastreuse »… Vous le constaterez aisément, les clients des salons de coiffure ne font pas dans la demi-mesure. Il faut dire qu’ils sont tous là pour régler un problème relatif à un sujet on ne peut plus grave : les cheveux. Et si, malgré ce constat sociologique, vous n’êtes pas encore convaincu ou si, méfiant, vous pensez que la question n’intéresse que les femmes, plongez-vous dans le nouveau roman d’Alan Pauls, Histoire des cheveux. Comme son nom ne l’indique pas, ce livre n’est pas à ranger sur la même étagère que l’excellent ouvrage de Marilyn Yalom Le sein, une histoire, ni à côté du déjà très capillaire Poils (Histoires et bizarreries) de Martin Monestier. Non. Il s’agit bien d’un roman dont le titre et la facture font écho à un précédent texte de Pauls, publié chez Christian Bourgois l’an dernier, Histoire des larmes. Révolution sourde… Depuis La Vie pieds nus, l’auteur du colossal Passé explore l’intime et ses obsessions. Obsession. Le mot est presque trop faible pour parler de la relation qu’entretient le narrateur d’Histoire des cheveux avec sa coiffure. Pour preuve, l’incipit du roman : « Il ne se passe pas un jour sans qu’il pense à ses cheveux. » Adolescent aux tifs trop raides et au corps trop imberbe, il nourrit très tôt une passion pour la coupe afro à laquelle il s’essaiera un temps : « Il a recours aux moyens qui se trouvent à sa portée : il passe des semaines sans toucher au shampoing, il évite de se peigner le matin, il finit de se doucher et se frotte la tête avec une frénésie démente puis il sort pour se pavaner avec sa toison d’électrocuté. » Bien plus qu’une mode, la coupe afro est le reflet d’une époque de révolution sourde. À la rébellion adolescente du narrateur vient s’entremêler l’histoire de l’Argentine, prise dans l’étau de deux dictatures successives. À travers le prisme capillaire, Alan Pauls traverse les grands courants de pensées des années 1970 et s’autorise quelques digressions pour évoquer notamment l’histoire d’un ancien combattant, reconverti en dealer. … et cauchemar éveillé Blondeur bourgeoise, coupe asymétrique ou perte des cheveux… Tout ce qui pousse (ou ne pousse pas) sur le crâne de son narrateur se transforme sous la plume de Pauls en cauchemar éveillé. Les coiffeurs, quant à eux, se métamorphosent en créatures monstrueuses qui n’ont de cesse de torturer leurs clients : « Le coiffeur néglige ce qu’il a toujours de si important à faire dans quelque autre endroit du salon et s’approche de son fauteuil avec un léger empressement, choisit un peigne et une paire de ciseaux et, l’interrogeant dans le miroir […], lui pose cette fameuse question qui tue ″Que désirez-vous faire ?″, ou sa variante cynique : ″Que désirez-vous que nous fassions ?″, avec ce pluriel venimeux qu’il sent pénétrer dans ses flancs à la façon d’une dague. » Désespéré, à un cheveu de la résignation capillaire, le narrateur croise soudain la route de Celso, un coiffeur paraguayen dont il deviendra bientôt accro. Dans Histoire des cheveux, Alan Pauls offre un exemple brillant du style qui a fait son succès, multipliant les propositions et étalant sa phrase à l’infini sans jamais perdre le lecteur. Entre quête de soi et témoignage d’une époque, il nous offre un récit souvent drôle, toujours profond. Un tour de force littéraire qu’il maîtrise aussi bien que Celso manie sa paire de ciseaux. Histoire des cheveux
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